Iori a été adoptée très jeune et placée dans
une famille où elle ne s'épanouissait pas. Un voisin la prend en charge
et quelques années plus tard quand elle devient adolescente, elle
éprouve des sentiments pour celui-ci.
Shinji Somai poursuit son exploration des maux de l'enfance avec ce Lost Chapter of Snow : Passion objet curieux qui, à la manière de Sailor suit and Machine gun
(1981) mais dans un registre plus dramatique opère un surprenant mélange des
genres. On y suit le destin de Iori (Yuki Saitō), jeune orpheline qui
entre l'enfance et la fin d'adolescence se trouvera en plein
questionnement dans sa raison d'être, ses sentiments. Le point le plus
immédiatement frappant du film consiste en ses ruptures de ton, tant
esthétiques que narrative. L'ouverture est ainsi un magistral
plan-séquence de 13 minutes qui dépeint la rencontre de Iori, jeune
orpheline minée par la solitude et le désespoir au sein d'une famille
d'accueil lui menant la vie dure. Yuichi (Takaaki Enoki) la rencontre et
s'attache à elle au point de l'accueillir et de l'élever lui-même. Le
plan séquence abolit la notion d'espace et de temps pour nous plonger
dans une atmosphère de conte hivernal à la Dickens où la neige fait
figure d'élément pur propre à traduire la candeur de l'enfant et la
bienveillance de Yuichi.
Les mouvements de grue nous emmènent d'un décor
à un autre, et les états d'âmes ainsi que les situations passent par la
seule image dans un jeu sur les cadrages, composition de plan et
travail sur le hors-champ. L'isolation d’Iori dans sa famille adoptive
se ressent donc autant par le mal-être qu'exprime à voix haute la
fillette que dans sa place toujours à part (à l'extérieur dans la scène
introductive, dans une pièce séparée quand elle y reviendra avec
Yuichi), tout un plan d'ensemble où elle se brosse les dents avec Yuichi
souligne leur lien naissant. L'élément perturbateur viendra toujours
d'une voix/présence souvent féminine qui l'expulse/l'isole du foyer,
dans ce début de film avec la servante méprisant ses origines (et plus
tard la fiancée de Yuichi venant l'inciter à partir) tandis que les
éléments masculins font figure de protecteurs - Daisuke (Kiminori Sera)
meilleur ami de Yuichi la ramenant au foyer après sa tentative de fugue
(élément déjà présent dans Sailor suit and Machine gun
où le mentor de l'héroïne était masculin. Cette entrée en matière est
d'une telle force que l'on en oublie l'incroyable virtuosité du
plan-séquence pour n'en retenir que la portée émotionnelle, superbement
conclue par les larmes de rage et d'apaisement de la fillette.
La
suite diffère totalement par son traitement plus réaliste, mais le fil
rouge du sentiment d'insécurité de Iori, désormais adolescente, demeure.
Malgré l'affection de Yuichi, son entourage ne cesse lui rappeler son
statut précaire et à quel point elle est supposée être un poids et
l'objet de sacrifice pour Yuichi. Shinji Somai n'égale pas son
incroyable entrée en matière même si les moments de ruptures et/ou de
rapprochement se construisent également à travers le plan-séquence. Le
meurtre qui introduit une inattendue trame policière fonctionne ainsi
avec des coupes habilement placées, il en va de même pour l'errance et
les confidences sur son propre passé d'orphelin de Daisuke envers Iori
sur une plage pluvieuse, mais aussi du dernier moment de bonheur commun
dans un parc sous un cerisier en fleur. Ces bascules de ton et genre
pourrait nous perturber si ce n'était la magnifique prestation à fleur
de peau de Yuki Saito (idol pop emblématique au Japon à cette période),
confirmant le talent de directeur de jeunes actrices de Shinji Somai.
La
joie, le désespoir, l'indécision entre la séduction naissante et la
vulnérabilité enfantine, tout cela passe magnifiquement dans l'attitude
corporelle (où la prostration se dispute à l'hyperactivité exutoire) et
les moues changeantes de la jeune actrice que le réalisateur fige dans
des situations ordinaires ou alors d'un onirisme inspiré - notamment dans le motif exutoire de l'eau que l'on retrouve dans Typhoon Club (1985) et le beau final de Moving (1993). La trame
policière était sans doute de trop (mais peut-être mieux introduite dans
le roman de Marumi Sasaki que Somai adapte ici) mais permet à travers
la révélation finale d'élargir le spectre des conséquences d'une enfance
meurtrie. La conclusion typique des grands écarts du "shojo" est
d'ailleurs dans la lignée des revirements inattendus du film. Une œuvre
passionnante donc malgré quelques errements et dont l'introduction
justifie à elle seule le visionnage.
Disponible en dvd japonais
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Shinji Somai ou le secret le mieux gardé du cinéma japonais... Un peu à la manière d'Edward Yang pour le cinéma chinois et ses copies dégueulasses sur internet à une certaine époque avant que tout soit restauré et disponible.
RépondreSupprimerLa période du cinéma nippon 80's étant particulièrement sous estimée, cela n'aide pas.
Pour en revenir au film,c'est surement celui qui me bouleverse le plus du réal avec Déménagement. Le cinéma dans tout ce qu'il y a de plus pur et poétique, à la fois doux, pudique mais aussi tragique. Il faudrait sérieusement qu'un éditeur français se bouge à sortir ses films. Même remarque pour Obayashi ;) Hormis Hausu, les gens n'ont rien vu!
Tout à fait d'accord pour le cinéma japonais des 80's très délaissé notamment en France. Avec le succès de Kore-eda ce serait le moment de remettre en lumière Shinji Somai, grand cinéaste de l'enfance/adolescence qui l'a précédé et probablement influencé. Et idem pour Obayashi ce fut ma grande découverte de l'an dernier j'en ai chroniqué un paquet durant cette période.
SupprimerEn parlant de Déménagement/Moving de Somai je recommande vivement les films de la jeune cinéaste coréenne Yoon Ga-eun dont le 2e film "House of us" est un petit bijou où plane l'ombre de Shinji Somai. Son premier film "The World of us" est excellent aussi, mais plus sous influence Kore-eda pour le coup. J'avais chroniqué les deux ici https://chroniqueducinephilestakhanoviste.blogspot.com/2019/11/the-house-of-us-uri-jib-yoon-ga-eun-2019.html
https://chroniqueducinephilestakhanoviste.blogspot.com/2016/11/the-world-of-us-u-ri-deul-yoon-ga-eun.html
Pas sorti en France malheureusement mais quand on sait trouver du Shinji Somai ça ne sera pas bien difficile ^^
Et pour Obayashi totalement d'accord pour House ça m'attriste (même si j'adore le film) que ce soit la seule référence des gens alors que son cinéma est bien plus varié que la folie bariolée de House.
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