Un chef de gang en quête de rédemption et une prostituée
prête à tout pour recouvrer sa liberté se retrouvent au cœur d’une chasse à
l’homme. Ensemble, ils décident de jouer une dernière fois avec leur destin.
Diao Yinan avait été grandement mis en lumière par son
brillant Black Coal (2014) et permit,
avec d’autres, d’anticiper la vitalité récente du cinéma d’auteur chinois. On
retrouve donc ici la patine réaliste et sociale de Black Coal mais l’approche atmosphérique se fait moins prégnante
pour laisser place au polar urgent et brutal. L’une des premières scènes nous
montre l’organisation d’un gang de voleurs se formant au vol de moto avant de
se partager les ruelles de la ville pour de lucratifs travaux pratiques. Ce semblant
de communauté vole vite en éclat lorsque certains seront mécontents de leurs
attributions et la séquence bascule dans un pugilat collectif brutal. L’égoïsme
de cette Chine contemporaine et la résolution d’une insatisfaction par la
violence sèche ou la traîtrise, tout cela est contenu dans cette introduction
qui s’inscrit dans un récit en flashback.
Les conséquences de ce règlement de compte vont faire de
Zhou Zenong (Hu Ge) un fugitif traqué par la police et les malfrats. La
narration éclatée distille progressivement les enjeux, les différents
protagonistes et les jeux d’alliance et de trahisons qui vont se nouer. Diao
Yinan fonctionne de la sorte essentiellement pour nous dépeindre une Chine des
bas-fonds dans des environnements et des mœurs singuliers. On s’imprègne ainsi
du cadre pour finalement appréhender par l’image les enjeux intimes des
personnages. Cela est vrai pour le monde criminel violent de Zhou Zenong, ça
l’est tout autant pour le fameux « lac aux oies sauvages », beauté naturelle dissimulant
de sombres pratiques comme la prostitution des « baigneuses » avec Liu Aiai
(Kwai Lun-mei). L’association inattendue et vacillante de cette dernière avec
Zhou illustre ainsi cet individualisme contemporain et pas si spécifique à la
Chine, même si cette course à la réussite s’y affirme de façon plus crue. Les
maux de Zhou Zenong viennent de la noble intention qu’il souhaite tirer de sa
périlleuse situation pour sa famille, un altruisme qui trouve son contrepoint
dans le pur instinct de survie de Liu Aiai.
Les personnages s’accompagnent, se suivent et/ou se séparent
tout au long du récit, rendus faibles par leur situation (Zhou Zenong) ou leur
statut de femme (Liu Aiai mais aussi Yang Shujun l’épouse de Zhou Zenong
(Regina Wan)) dans ce monde au machisme rampant. C’est leur conscience d’autrui
qui les rapproche en dépit de ce contexte dans de pures envolées sensorielles
et formelles. On pense à cette ballade en barque où l’étreinte des corps,
l’enveloppe brumeuse et nocturne façonnent brièvement pour eux un monde à part.
Hors de ces lieux, l’individualisme domine le collectif, qu’il soit criminel
comme évoqué plus haut ou policier avec des agents prêts a toutes les bassesses
pour le chiffre et la gloire (civils abattus, chantage, un glaçant selfie
final).
Cette approche pulsative et émotionnelle fonctionne bien sûr
aussi dans les purs moments de polar. Une embuscade en pleine danse publique
explose après une mise en place savamment orchestrée par la gestion des bruits
ambiants et une caméra mobile accrochant brillamment tous les points de vue. On
retrouve cet art apprécié dans Un grand
voyage vers la nuit de faire naître une image marquante d’un élément
trivial, ici avec les chaussures phosphorescentes des danseurs qui créent une
vignette nocturne surprenante. Autre moment suspendu avant l’explosion, cette
traversée armée de la flore autour du lac et les faces à faces hypnotiques avec
les bêtes sauvages, brisés par le sifflement des balles. La crasse du réel se
confond constamment avec la grâce du rêve, ce qui est, ce qui paraît et ce qui
pourrait être formant un tout clair ou confus selon la volonté du cinéaste.
La vision très noire de l’humanité et de son pays de Diao
Yinan est atténuée dans un beau final où pour un court instant, la solidarité
et une forme de bienveillance silencieuse s’affirment. Entre chaos impitoyable
et apaisement éphémère, Diao Yinan nous offre une nouvelle grande réussite.
En salle
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