Charlie, un chien un rien roublard, est assassiné par le gangster Carcasse. Il n'a jamais fait grand-chose de bien au cours de sa vie, mais il est pourtant accepté au paradis des chiens. Décidé à se venger, Charlie trouve le moyen de ressusciter et de revenir sur Terre. Mais il va devoir choisir : continuer à vivre comme avant ou venir en aide à Anne-Marie, une orpheline poursuivie par Carcasse.
Au moment de réaliser Charlie mon héros, Don Bluth a atteint l’ambition qu’il s’était fixée lors de son départ fracassant des studios Disney et avant de réaliser Brisby et le secret de N.I.M.H. (1982). Il s’est posé à la fois en alternative et perpétuation ambitieuse de Disney, en les supplantant à la fois artistiquement et commercialement par le plébiscite critique et le triomphe commercial de Fievel et le Nouveau Monde (1986) et Le Petit Dinosaure et la Vallée des merveilles (1988). Sur Charlie, il va néanmoins rompre avec Steven Spielberg, partenaire actif de ces triomphes via sa société de production Amblin, pour retrouver une certaine indépendance. Spielberg était en effet une force créatrice majeure dans le choix des sujets et le ton des deux films (Fievel ayant notamment pour base l’arrivée aux Etats-Unis en tant que migrant du grand-père de Spielberg), ce dont Bluth souhaite se détacher sur Charlie mon héros. Le film est en effet la reprise d’un ancien projet de Don Bluth, envisagé après Brisby, un film de détective anthropomorphique avec des chiens sous forme de récit à sketches. L’échec en salle de Brisby laissera un temps cette idée dans les tiroirs, même si certaines idées perdureront dans le film fini comme d’envisager Burt Reynolds au doublage du berger allemand détective avec un design calqué sur lui. L’option d’un film de genre avec des chiens perdure mais lorgne cette fois vers le film de gangster (Disney ayant coupé l’herbe sous le pied de Bluth avec Basile, détective privé (1986) lors de la réécriture, saupoudré d’une ambiance rétro par son intrigue se déroulant en 1939.
Charlie est en effet au carrefour de plusieurs influences bien identifiables pour l’amateur de cinéma hollywoodien des années 30. Le postulat initial fait de rivalité, trahison et vengeance entre deux chefs de gangs est typique du récit de gangster d’alors, avec des clins d’œil appuyé puisque le gangster Carcasse se nomme Corface en VO. L’argument d’une petite fille encombrante pour les affaires mais attendrissant le cœur d’un gangster est littéralement reprise de Petite Miss d’Alexander Hall (1932) avec Shirley Temple, la caractérisation de Anne-Marie chez Bluth rappelant d’ailleurs fortement les films de Temple même sans avoir spécifiquement lé référence de ce film. Enfin la dimension onirique et mystique s’inscrit certes dans le sillage des précédentes œuvres du réalisateur (réminiscence de son expérience au sein de l’Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours), mais la vision surréaliste de l’Au-delà est un leitmotiv courant de la comédie américaine des années 30/40 (Le Défunt récalcitrant d’Alexander Hall (1941) encore lui, Le Ciel peut attendre d’Ernst Lubitsch (1943)), et les instants de comédie musicale qui s’y superposent ne sont pas sans rappeler Un petit coin aux cieux (1943), merveilleux premier film de Vincente Minnelli. La force du film est de ne pas édulcorer cette somme d’influences dans son traitement, et d’adopter une tonalité singulière dans le cadre de l’animation des années 80. Brisby sans se départir de l’ADN Disney de Don Bluth était une proposition surprenante notamment par sa noirceur, tandis que Fievel l’était tout autant par l’ancrage social de son récit engagé. Charlie offre un entre-deux passionnant, notamment par le traitement de l’anthropomorphisme. L’univers des chiens, véritable décalque dans ses situations (l’évasion de prison de la scène d’introduction, la tentative d’assassinat sur Charlie) et son décorum du film de gangster, permet toutes les extravagances et cette teneur anthropomorphique pour les personnages. Il y a une vraie dichotomie avec le monde des humains au sein duquel ils retrouvent leurs caractéristiques animales tout en conservant leur intelligence. Le pont entre les deux se fait à travers la petite fille Anne-Marie, qui possède le pouvoir de comprendre les animaux. Ce lien n’est absolument pas une facilité, la part gangster anthropomorphisé de Charlie représentant une sorte de facette justement bien « humaine », imparfaite, individualiste et manipulatrice chez lui. La part animale dénuée d’artifices illustre à l’inverse la bienveillance du personnage. Les chiens n’offrant jamais cette dualité sont bel et bien les méchants comme Corface, mais tous les autres animaux, même les plus loufoques (l’alligator à la fois dangereux prédateur puis féru de chant) font montre d’une même nature double. Don Bluth joue avec ce sentiment, en conservant une certaine rudesse chez Charlie dont le cynisme longtemps maintenu empêche un attachement trop simple et facile. Cela n’en rend que plus touchant le moment où la douce et naïve Anne-Marie découvre explicitement cette facette de lui, cette perspective créant une tension intéressante tout au long du récit en filigrane, notamment quand Anne-Marie freine la tendance au larcin de Charlie. Dès lors quand celui-ci cède aux remontrances d’Anne-Marie, on ressent typiquement ce questionnement entre cynisme et réelle évolution de notre anti-héros, au cœur justement des meilleures comédies dramatiques hollywoodiennes des années 30. Le réalisateur sait faire passer ces questionnements par de splendides idées formelles. Une des séquences les plus saisissantes repose sur un cauchemar de Charlie se pensant rattrapé par les enfers après avoir fuit le paradis, l’esthétique morbide et créatures démoniaques offrant des tableaux particulièrement impressionnants (cette prou de bateau squelettique échappée de Terry Gilliam). Les moments suspendus de pure candeur mettant en scène Anne-Marie sont très touchants aussi, l’usage de la stéréoscopie (une vraie petite fille fut filmée) ajoutant une dose d’imperfection paradoxalement « authentique » de la fillette notamment lors du magnifique numéro musical Soon You'll Come Home. Bluth manie parfaitement ces problématiques, évitant de surligner grâce à une symbolique subtile (la montre figeant le possible décès de Charlie représentant son individualisme jusqu’à ce qu’il y renonce pour sauver Anne-Marie) tout en variant les tons. Les moments de pure folie cartoonesque (la course de chevaux, la confrontation avec l’alligator) sont encadré d’une direction artistique épurée et stylisée dans sa description de la Nouvelle-Orléans notamment le beau plan d’ensemble sur des bâtisses de la ville durant la grande scène d’appel au sauvetage des chiens de la ville. Don Bluth ne cède pas à la mièvrerie en assumant une conclusion mélancolique mais rédemptrice pour son héros, et nous laisse sur une belle émotion liée à la fois au spectacle vu mais aussi à l’hommage de la dernière chanson, Love Survives, hommage à l’actrice Judith Barsi doublant Anne-Marie et décédée un an avant la sortie dans un fait divers sordide. Le film sortira en grande pompe, auréolé d’une grande attente après les succès de Don Bluth, mais rencontrera un succès inférieur sans pourtant démériter. En effet le nouvel âge d’or de Disney se profile après une décennie de disette avec la sortie simultanée de La Petite Sirène (1989) qui sera un triomphe. Néanmoins le marché vidéo donnera une vraie seconde vie à Charlie, mon héros, au point d’en faire un des opus les plus populaires de Bluth et qui connaîtra une suite ainsi qu’une série télévisée plus dispensables.
Sorti en bluray français chez Rimini
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