War at the Age of Sixteen est le troisième long-métrage de Toshio Matsumoto, cinéaste associé à la Nouvelle Vague japonaise et dont l'essentiel de l'œuvre est plutôt associé à l'avant-garde, que ce soient ses nombreux court-métrages et ses installations vidéo. Il avait réussi à façonner un tout cohérent et relativement accessible avec son premier film, le fascinant Les Funérailles des roses (1969), plongée au cœur de la marginalité queer tokyoïte des sixties. Si la touche expérimentale dominait largement dans ce galop d'essai, War at the Age of Sixteen semble au premier abord plus classique à travers ce récit d'apprentissage. On va y suivre Jin (Itsuro Shimoda) un jeune homme parcourant le Japon en auto-stop et qui, dans la contrée rurale il va échouer, va se lier d'amitié voire plus avec Azusa (Kumiko Akiyoshi) une adolescente de 16 ans. Cette dernière le présente à ses parents qui lui proposent de passer quelques jours chez eux. Dans ces premières minutes, la narration, l'interaction des personnages et le développement de l'histoire se teinte d'une évidence qui rend le film très étrange. Jin observe les cadavres de deux noyés que les secours repêchent et croise le regard d'Azusa, ce qui suffit à établir leur connexion/complicité et déjà échanger les confidences dans la déambulation de la scène suivante. Le hasard de leur rencontre s'estompe au fil de cette première discussion. Aimant tirer les cartes, Azusa a vu l'arrivée prochaine de Jin et est partie à sa rencontre. De même Jin révèlera qu'il a perdu jeune sa mère puis son père qu'il savait ne pas être ses parents biologiques, sa vraie mère l'ayant abandonné à seize ans vivant peut-être dans la région où il se trouve.Matsumoto passe par le dialogue, des effets de montages et des expérimentations formelles pour faire passer toutes ces informations qui s'expose de manière à la fois logique et incongrue, comme un élément omniscient et enfouit dans le passé des personnages. Ainsi Azusa est une adolescente rebelle et torturée sans que l'on en comprenne la raison concrète, reprochant à sa mère Yasuko (Michiko Saga) de lui cacher l'existence d'un frère qu'elle a abandonné à seize ans. La mère nie les faits et rien ne nous laisse deviner comment et pourquoi Azusa entretient pareil grief. Toujours est-il que l'information sème le trouble chez Jin qui s'interroge désormais sur le fait que Yasuko soit sa mère. Le titre War at the Age of Sixteen désigne autant le conflit qu'instaure Azusa avec son entourage que le passé de ce dernier, Yasuko ayant vécu ses seize ans en 1945 dans le dénuement et la menace quotidienne des bombes américaines. Ce traumatisme est explicite avec un personnage "d'oncle" frappé par la folie et se croyant toujours au front, par les stigmates de ce passé sur la région même, et implicite par les secrets familiaux né de cette période. Peu à peu Matsumoto installe une tonalité poreuse entre passé et présent. Les personnages sont à la fois tels qu'ils nous ont été introduit mais aussi des réminiscences, réincarnations ou projections mentales du passé et le réalisateur entretient l'ambiguïté entre troubles mentaux, rêveries et incursion explicite du fantastique.
L'imagerie de ce cadre rural passe de la pure féérie pastorale à quelque chose de plus sourd et inquiétant à travers la photo de Ryusei Oshikiri, les acteurs oscillent en espièglerie (Azusa), silence mystérieux et pure hystérie comme influencé par les maux secrets de cette région meurtrie. Formellement Matsumoto nous plonge dans un onirisme progressif qui trouble nos repères, notamment les vingt dernières minutes somptueuses où a lieu le O-bon, la fête des morts estivale japonaise. En parallèle des hypnotiques séquences de cérémonies et recueillement collectif, les masques tombes et les réponses attendues s'offre à Jin. Cependant nous ne sommes pas dans l'emboitement scénaristique "logique" du fantastique anglo-saxon, si les zones d'ombres du passé s'éclairent, leur cheminement vers le présent reste tout aussi insaisissable. Récit de fantômes, de possessions, de réincarnations ? Impossible d'avoir une réponse claire quand arrive la conclusion, si ce n'est que notre héros est apaisé peut arrêter là son errance et retourner à sa vie. La bande-son folk envoûtante (assurée par l'acteur Itsuro Shimoda) n'est pas sans raviver le souvenir d'un autre film coming of age contemporain et rural, Journey into solitude de Koïchi Saito. Les expérimentations de Matsumoto et Ryusei Oshikiri faisant de l'été et du soleil un élément organique et mystique altérant l'image annonce aussi un autre chef d'œuvre du fantastique nippon estival, August in the Water de Sogo Ishii (1995). Très beau film en tout cas, peut-être plus abordable (l'expérimentation sobre étant au service d'une émotion plus franche) que Les Funérailles des roses pour les néophytes de Matsumoto.
Sorti en dvd japonais
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