Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

Pages

vendredi 7 octobre 2022

La Rivière - Hé liú, Tsai Ming-liang (1997)


Après avoir joué lors d'un tournage de film dans une rivière polluée, Hsiao-kang est saisi d'une étrange douleur dans le cou. Aucun médecin ni guérisseur ne parvient à le soulager de son mal. Son père, qui hante en cachette les saunas gays de la ville, voit sa chambre inondée par une fuite d'eau qu'il n'arrive pas à endiguer. Le père et le fils vont alors se trouver confrontés à leur intimité la plus secrète…

Troisième film de Tsai Ming-liang, La Rivière poursuit le cycle entamé avec Les Rebelles du Dieu néon (1992) et Vive l’amour (1994). On y trouve en effet un prolongement narratif en retrouvant en jeune héros Hsiao-kang toujours incarné par Lee Kang-sheng, acteur fétiche du cinéaste. Tsai Ming-liang mettait en parallèle l’urbanité extérieure de la ville de Taipei, ses mues sociologiques, en parallèles avec des intérieurs cossus ou insalubre, mais néanmoins toujours austère, l’ensemble traduisant la solitude et le dénuement matériel/sentimental des personnages. On reste dans cette idée même si cette fois, plus le récit avance plus l’idée d’extérieur, de respiration et d’évasion par le panorama urbain de Taipei s’estompe contrairement au film précédent. Les personnages sont enfermés dans leurs corps meurtris, leurs désirs refoulés, ce qui se traduit par une atmosphère claustrophobique et oppressante.

Il y a à la fois une forme de continuité et de contradiction dans la manière dont Tsai Ming-liang nous fait retrouver les personnages. Jeune adulte émancipé et précaire dans Vive l’amour après avoir été adolescent dans Les Rebelles du Dieu néon, Hsiao-kang retrouve ici le domicile de ses parents comme si le second film n’avait pas eu lieu. Néanmoins le récit s’ouvre sur la rencontre de celle que l’on suppose être Ah Kuei, jeune femme croisée dans le premier film mais désormais jouée par une autre actrice pour ajouter à la confusion. La différence se ressent également par la cellule familiale désormais éclatée de Hsiao-kang. Son père (Miao Tien) et sa mère (Lu Yi-ching) font désormais chambre à part, le premier arpentant les saunas gays de la ville tandis que la seconde a un amant. Cette nouvelle situation est-elle la cause ou la conséquence de ce schisme familial, le mystère demeurera. La ville dans ces lieux et milieux de plaisirs interlopes représente le déplacement secret et coupable des désirs des adultes. Un jeu de regards dans une galerie marchande suffit à aboutir à une expédition honteuse et torride au sauna pour le père, tandis que l’amant de la mère évolue dans le monde du porno, source d’éveil et de frustration de la libido de cette dernière. 

Cette surface hypocrite de ses parents, de la ville et littéralement de la société, Hsiao-kang va en être contaminé. Après s’être baigné pour un tournage (l’occasion d’un caméo de Ann Hui en réalisatrice)  dans une rivière polluée, notre héros se met à souffrir d’un mal mystérieux et incurable lui atrophiant le cou. Il porte physiquement les stigmates du relent coupable d’un monde, mais également de ses propres maux. Les Rebelles du Dieu Néon et Vive l’amour avait plus que suggéré la possible homosexualité du personnage, mais la scène de l’hôtel en début de film montre qu’il semble encore chercher à se fondre dans une norme. Il endosse donc et partage la contamination symbolique d’un monde, condamné non pas pour ses désirs mais à cause de son déni de ceux-ci. 

Dès lors la dimension contemplative, les appels d’air bienvenus des précédents films disparaissent quasi complètement pour nous plonger dans une pure sécheresse et austérité narrative/formelle. Les bandes-originales ont disparu du cinéma de Tsai Ming-liang passé l’entêtant thème de Les Rebelles du Dieu Néon, et c’est dans un silence et une épure froide que nous observons les protagonistes se débattre, s’enfoncer et in fine se montrer leur vrai visage le temps d’une séquence choc où les masques tombent. Qu’adviendra-t-il de leur relation après s’être aussi impudiquement révélé ? Tsai Ming-liang laisse la question en suspens dans une belle conclusion en pointillé.

Sorti en dvd zone 2 français chez Survivance

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire