Hsiao-kang travaille dans les pompes funèbres. II vend des niches de colombariums, destinées aux cendres des morts. Mei est agente immobilière. Elle vit seule dans un petit appartement. Ah-jung vend des vêtements pour femmes dans la rue, la nuit, en face d'un grand magasin. Par une nuit d'hiver, ils s'introduisent tous les trois dans un appartement vide, au cœur de Taïpei. Ils sont ensemble. Ils sont seuls...
Second film de Tsai Ming-liang, Vive l’amour sera le film de la reconnaissance internationale en remportant le Lion d’or à la Mostra de Venise en 1994. Dans Les Rebelles du dieu néon (1992) le réalisateur creusait sa propre voie par rapport aux ténors de la Nouvelle Vague taïwanaise notamment par sa manière de filmer Taipei. Son urbanité se délestait de toute allusion à un passé socio-culturel ou politique pour se restreindre à la solitude et l’horizon limité de ses personnages juvéniles. Il s’attardait plus particulièrement au quartier de Ximending, espace commercial et de loisir où les héros s’évadaient un temps entre salle d’arcade, cinéma ou patinoire. Des lieux animés, surpeuplés et bruyant où se fondre dans la masse s’oublier avant un retour forcé à son quotidien et ses obligations scolaires, familiale. Vive l’amour creuse le même sillon avec toujours cette problématique sociale et existentielle passant par un pan de l’urbanité de Taipei. Vive l’amour se déroule à Da An, quartier bourgeois et résidentiel (dans lequel réside par exemple la famille de Yi Yi d’Edward Yang (2000) où poussent les habitations modernes. C’est là que naviguent nos trois héros qui n’y ont pas vraiment leur place.
Nous retrouvons Hsiao-kang (Lee Kang-sheng) l’adolescent solitaire de Les Rebelles du dieu néon désormais jeune adulte vivotant en tant que commercial dans une entreprise de pompes funèbres. Il y a également Ah-jung (Chen Chao-jung, également dans Les Rebelles du dieu néon mais tenant cette fois un rôle différent), séduisant marginal vendant des vêtements pour femmes à la sauvette. Enfin il y aura Mei (Yang Kuei-mei), une femme officiant en tant qu’agent immobilier et justement souvent amenée à faire visiter des appartements dans ce quartier de Da An. Malgré se statut social différent, tous se rejoignent spirituellement et géographiquement dans leur solitude, en investissant à leur moment perdu un appartement vide et cossu d’un de ces nouveaux immeubles modernes. On peut y trouver des motifs matériels pour Ah-jung qui semble vivre au jour le jour, c’est moins clair pour Hsiao-kang qui a un emploi et qui lors de sa première effraction tente de s’y suicider alors que Mei semble y amener des amants d’un soir dont Ah-jung en début de film.Quand dans Les Rebelles du dieu néon l’animation de Ximending permettait de fuir les maux domestique, c’est au contraire l’extérieur sans but qu’il s’agit de fuir dans le silence de ce grand appartement vide. Le silence justement est assourdissant dans Vive l’amour où le premier mot est prononcé au bout de 22 minutes. Le reste du film se montrera tout aussi avare en dialogues et échanges. Hsiao-kang (dans la continuité de sa fuite en avant dans le film précédent) est seul et invisible face à ses collègues de travail dont il observe les interactions à distance, sans s’y mêler, ni même y être invité. Les seuls contacts humains ou téléphoniques de Mei se font avec les clients auxquels elle doit faire visiter des appartements. Quant à Ah-jung, l’habitude de la marginalité ne semble pas l’affecter bien que lui aussi n’interagit qu’avec des femmes, celle dont il veut s’attirer les faveurs commerciales en leur vendant des vêtements, ou intimes en les séduisant comme Mei. Quand cela n’est pas possible, il se satisfera de revue porno, le personnage étant tout aussi pathétique que les autres mais trop imbu de lui-même pour être conscient de sa propre détresse.
Tsai Ming-liang ne fait planer aucune tension ni suspense sur le risque éventuel que les protagonistes se croisent au sein de l’appartement. Quand ils s’y rencontrent effectivement, c’est soit d’un accord commun pour une coucherie (Ah-jung et Mei), soit en bonne intelligence pour l’investir discrètement (Hsiao-kang et Ah-jung) mais, à l’image de leur quotidien morne à l’extérieur, aucune place à l’inattendu, à la surprise ou au romanesque pour ces âmes en peine. Le filmage de ces moments « collectifs » dans cet espace clos témoigne de cela. Hsiao-kang entend de l’extérieur de la chambre en début de film, puis caché sous le lit à la fin, les ébats de Mei et Ah-jung sans les voir et ne vit cette étreinte que par procuration. Hsiao-kang et Ah-jung malgré leur cohabitation gardent leur distance physiquement, par leur disposition dans le cadre lorsqu’ils sont ensemble à l’image, par le découpage quand ils partagent un repas, et par le dialogue puisqu’ils se vouvoient. Quant aux scènes de sexe, la manière dont Mei déshabille Ah-jung tout en repoussant le moindre geste tendre de ce dernier envers elle trahit simplement un désir (moins pour l’autre que pour soit et se sentir vivant) à assouvir de manière pulsionnelle. D’ailleurs la rencontre, le dialogue et en définitive l’attirance commune et complice n’a pas été filmée volontairement par Tsai Ming-liang qui les fait passer des rues où il se sont toisé sans un mot à la chambre où ils vont coucher ensemble sans davantage se connaître ensuite. Tsai Ming-liang filme Taipei comme une ville de passage, dans son aspect social comme matériel, où l’on est ce que l’on fait mais jamais vraiment un individu avec une famille, des amis ou des conjoints. On peut ne pas le ressentir et s’en satisfaire comme Ah-jung, en souffrir et vouloir en finir tel Hsiao-kang ou accepter douloureusement son sort à la manière de Mei. La conclusion est d’ailleurs à l’image des trois personnages : Ah-jung repu et endormi après avoir obtenu ce qu’il voulait, Hsiao-kang observateur frustré qui révèle une part des raisons de son mal-être, et Mei qui lâche prise et fond en larmes dans la rue. Tsai Ming-liang effectue d’ailleurs un panoramique qui quitte et retrouve Mei alors qu’elle travers le parc forestier de Da An alors en construction, pour montrer une édification du présent couvrir celle du passé. Un passé qui a disparu et un futur encore incertain et invisible qui représentent bien les personnages, et en particulier Mei et sa longue crise de larmes capturée en un long plan fixe par Tsai Ming-liang. Le lyrisme qui pouvait encore emporter dans les Rebelles du dieu néon a disparu, ne reste que la sécheresse d’un désespoir sans issue.Sorti en dvd zone 2 français chez Survivance dans un coffret réunissant les trois premiers films du réalisateur
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