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mardi 30 août 2022

Les Rebelles du dieu néon - Qīngshàonián Nézhā, Tsai Ming-liang (1992)


 Hsiao Kang (interprété par Lee Kang-sheng) passe son temps à déambuler dans les rues de Taipei à pied ou à motocyclette. Un jour, alors qu'il circule exceptionnellement dans le taxi de son père, il remarque un jeune homme à scooter. Ce dernier, agacé par les coups de klaxon de son père, casse le rétroviseur de la voiture. Hsiao Kang le retrouve quelque temps plus tard et le suit. S'ensuit une fascination progressive de Kan-sheng pour ce jeune homme et sa petite amie.

Les Rebelles du dieu néon est le premier film de Tsai Ming-liang, qui va le poser en chef de file d’une seconde Nouvelle Vague taïwanaise après celle du début des années 80 qui marqua l’émergence de Hou Hsiao-hsien et Edward Yang. D’origine malaisienne et ayant émigré à Taïwan en 1979 pour ses études, Tsai Ming-liang aura d’ailleurs l’occasion d’observer de près le virage apporté par cette Nouvelle vague qui se conjugue à la fin de la dictature et l’instauration de la démocratie sur l’île en 1988. Il débutera en tant que scénariste puis réalisateur au cinéma et à la télévision, entre Taïwan et Hong Kong, et va réaliser plusieurs moyen-métrages où l’on décèle déjà sa thématique autour de l’adolescence, comme Tous les coins du monde (1989) et Les Garçons en (1991) où figure déjà son acteur fétiche Lee Kang-sheng. Lauréat d’un concours de scénario de la Central Motion Pictures Corporation (compagnie qui produisit justement les premiers films de la Nouvelle Vague taïwanaise), Tsai Ming-liang va avoir l’occasion de signer son premier long avec Les Rebelles du dieu néon

Le style du réalisateur marque d’emblée sa différence avec celui de ses prédécesseurs, notamment dans la manière de capturer la ville de Taipei. Edward Yang (That day on the beach (1983), Taipei Story (1985), The Terrorizers (1986)) et Hou Hsiao-hsien (Les Garçons de Fengkuei (1983), Poussière dans le vent (1986), La Fille du Nil (1987)) filmèrent aussi la ville dans leurs premiers films, dans un équilibre entre capture de sa modernité, ses mutations et une évocation de son passé, à la fois dans la nature nostalgique et/ou autobiographique des récits ou en s’attardant longuement sur des vestiges historiques, architecturaux marquant l’histoire de Taipei. Tsai Ming-liang s’éloigne de cette approche en saisissant l’urbanité de la ville par le seul prisme étriqué de ses jeunes héros. Très peu de panorama, de plan d’ensemble donnant une sorte de regard omniscient et supérieur sur Taipei. Nous naviguerons ici entre appartements modestes ou insalubres, chambre d’hôtel exiguë, et des lieux de vie ou de passages tels que les routes que l’on traverse en scooter/moto, les salles de jeu d’arcades. Les perspectives sont minces et étroites pour Hsiao Kang (Lee Kang-sheng) et Ah Tze (Chen Chao-jung) même s’ils ne le ressentent pas de la même façon. Hsiao Kang est issu de la classe moyenne, dans un quotidien fait d’ennui, de solitude et d’exigences scolaires dont il souhaite se défaire. Sa condition sociale lui permet en quelque sorte de réfléchir et comprendre l’impasse où il se situe, une conscience qui l’amène à déraper de manière plus maladive et imprévisible où il passe du mutisme à des crises de démence régressive. Pour Ah Tze, cet horizon sans but est la norme et il vit au jour le jour sa condition de délinquant et les opportunités matérielles ou sentimentales qu’elle lui offre.

Tsai Ming-liang par son montage, la jeunesse de ses héros et une semblable errance qui les rapproche, crée entre eux un mimétisme constant au point éventuellement de les confondre le temps des 5/10 premières minutes avant que la situation de chacun ne se mette en place. Le même dépit dans la solitude d’une chambre d’adolescent ou dans un logement miteux, les mêmes ruelles parcourues sur ses deux roues, les mêmes salles de jeux investies jusqu’à pas d’heure. Hsiao Kang n’est cependant qu’observateur, figurant impassible pour lequel rien ne se déroule, d’un Ah Tze actifs et irréfléchi. C’est cette désinvolture qu’il jalouse chez Ah Tze qui va donner envie à Hsiao Kang de le suivre de loin, le premier exerçant une influence sur le second sans le savoir. Les deux se rejoignent aussi par leur froideur envers leur entourage, Hsiao Kang avec ses parents et Ah Tze avec la jolie et tout aussi paumée Ah Kuei (Wang Yu-wen). 

La mise en scène de Tsai Ming-liang donne dans une claustrophobie, un absurde et spleen lancinant pour accompagner les pérégrinations de Hsiao Kang. Il y a quelque chose de plus fougueux, séduisant et juvénile dans ce que dégage Ah Tze mais ce côté plus immédiat est contrebalancé par la relation sentimentale désincarnée. Le réalisateur filme par exemple les scènes de sexe hors-champ (la première où l’on n’a qu’un aperçu sonore), les préliminaires ou la fin de l’acte mais jamais directement celui-ci, soit le moment d’une vraie connexion, lâcher-prise et complicité entre les individus. Le physique des deux héros est aussi une manière d’exprimer leur détachement à ce qui les entoure : chétif, renfrogné et complexé pour Hsiao Kang, imposant (on s’attarde souvent sur les poses dans ce marcel blanc où il a fier allure) taciturne et (trop) confiant pour Ah Tze. 

Si l’influence indirecte de Ah Tze sur Hsiao Kang a pour conséquence de le faire basculer de façon supposée irrémédiable dans le nihilisme, celle plus directe et nuisible de Hsiao Kang sur Ah Tze va servir d’électrochoc. Tsai Ming-liang laisse donc ouverte la porte d’une perdition comme d’une rédemption dans l’enchevêtrement des récits (le père taxi a-t-il reconnu son ancien agresseur tout en se montrant bienveillant malgré tout ? Cela le fera-t-il changer d’attitude envers son fils ?), fermant ou ouvrant le cœur des personnages. La scène de baiser spontanée, maladroite et fougueuse entre Ah Tze et Ah Kuei a ainsi plus de portée romanesque et sensuelle que les scènes d’amour plus explicite mais désincarnée que l’on a vu entre eux précédemment.  Le leitmotiv musical synthétique et entêtant de Huang Hsu-chung sait accompagner ces émotions contradictoires d’introspection, de désespoir et d’attente résumée dans la dernière scène passant dans un lent mouvement de contre-plongée d’un plan fixe de la ville à une vue du ciel. Une très belle porte d’entrée au cinéma de Tsai Ming-liang. 

Sorti en dvd zone 2 français chez Survivance dans un coffret regroupant les trois premiers films du réalisateur et pour ceux préférant le bluray le film est disponible seul en édition française chez Spectrum

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