Paris 13e, quartier des Olympiades. Emilie rencontre Camille qui est attiré par Nora qui elle-même croise le chemin de Amber. Trois filles et un garçon. Ils sont amis, parfois amants, souvent les deux.
Si ce qui suivit le grand aboutissement que fut Un Prophète (2009) était très décevant, on ne pouvait pas reprocher à Jacques Audiard d’avoir cédé à la facilité dans les années 2010. Le raté De rouille et d’os (2012), le douteux Dheepan (2015) et le mineur Les Frères Sister (2018) avaient pour chacun d’eux un parti pris formel intéressant, un point de départ original et une caractérisation singulière même si la réussite n’était pas forcément au rendez-vous. Cela témoignait d’un cinéaste en perpétuelle recherche et remise en question, démarche que vient récompenser l’éclatante réussite qu’est Les Olympiades.
Audiard adapte ici trois nouvelles graphiques de l’auteur américain Adrian Tomine : Amber Sweet, Killing and dying et Hawaiian getaway. Le but est de tisser un récit de marivaudage au sein de la jeunesse moderne à l’aune des nouveaux modes de rencontres/séductions comme les applications de rencontres et les réseaux sociaux. La base d’Audiard est paradoxalement Ma nuit chez Maud d’Éric Rohmer (1969), film où le couple passait la nuit à discuter sans qu’il y ait rapprochement charnel, ce qui suffisait à tirer l’essentiel des possibilités de la relation amoureuse. Audiard imagine donc une construction inverse dans un cadre actuel où la coucherie précède sans appréhension la découverte de l’autre par la discussion. La modernité du propos réside bien sûr dans l’interaction des personnages mais aussi à travers le cadre du récit. Audiard installe l’action dans le quartier des Olympiades, au sein du 13e arrondissement à Paris. Initialement reconstruit et façonné pour attirer une population française bourgeoise dans les années 70, il a été finalement investi par la communauté asiatique. Audiard en fait le cinquième personnage du film, les vues en hauteurs, les paysages urbains modernes et sa ligne claire froide en font le symbole des rapports distants et sous contrôle entre les personnages. D’un autre côté, vu d’en bas on ressent cette modernité dans un sens positif en capturant la dimension cosmopolite des lieux. Le noir et blanc (superbe photo de Paul Guilhaume) et les pulsations électroniques du score de Rone déleste d’ailleurs Paris de son côté Haussmannien trop identifiable pour donner à ce cadre un aspect futuriste souligné par l’architecture brutaliste du panorama urbain des Olympiades.La nouvelle donne du rapport amoureux dans ce qu’il a de positif comme négatif est parfaitement saisie. Emilie (Lucie Zhang) et Camille (Makita Samba) fraîchement colocataires ne vont ainsi pas avoir le besoin de ressentir la promiscuité, la gêne et la curiosité propre à faire monter le désir pour au contraire immédiatement coucher ensemble. Tous les personnages possèdent un envers et un endroit qui peut être sentimental ou davantage en quête d’aventures, sans que la connexion se fasse au même moment avec l’objet de leur attirance amoureuse ou simplement sexuelle. C’est notamment le cas avec Emilie immédiatement amoureuse de Camille alors que ce dernier remarquant cela dès lors se montre plus froid. Il ira à son tour vers une semblable déconvenue quand sous le charme de Nora (Noémie Merlant) celle-ci ne voit en lui qu’un moyen d’assouvir un désir passager. Nul jugement chez Audiard où la « bagatelle » peut naître du quotidien comme du virtuel avec une même satisfaction selon l’état d’esprit du moment. Une amitié puis une romance improbable va ainsi voir le jour entre Nora et Amber Sweet (Jehnny Beth), une « camgirl" avec laquelle elle a été confondue dans des circonstances malheureuses. Une fois le vernis de la supposée prestation sexuelle virtuelle brisé, le mimétisme justement physique et artificiel entre elles s’estompe pour laisser naître une complicité, des confidences, une affection. A l’inverse Emilie se trouvant dans une impasse sentimentale mais gardant un désir intact va se trouver des amants de passages sur des applications de rencontres. La séquence où elle prend une pause dans le restaurant où elle travaille pour passer un bon moment avec un inconnu est une merveille à ce titre, notamment le retour triomphant, dansant et épanoui de notre héroïne après s’être fait plaisir. Les maux des personnages s’inscrivent pleinement dans un dessein intime et collectif à travers la description de ce quartier des Olympiades. Emilie, jeune femme chinoise de la troisième génération d’immigration est ainsi française assimilée, vivant dans un quartier imprégné de cette culture et où elle se sent bien. D’un autre côté les éléments plus intimes comme la famille lié à ces origines vivent soit à l’étranger, soit désormais incapables de communiquer avec elle comme sa grand-mère souffrant d’Alzheimer. L’absence de repères la rend donc désormais ambiguë face cette culture faisant partie d’elle, un déséquilibre qui se répercute par sa maladresse dans ses (tentatives de) relations amoureuses. Les autres protagonistes sont dans ce cas, le passif familial et sentimental se confondant toujours avec la manière de se fondre dans l’environnement. C’est brillamment amené avec le personnage de Nora, provinciale montée à Paris pour reprendre ses études. Les codes non maîtrisés vous cataloguent et isolent immédiatement (le simple fait de sortir studieuse une trousse et des cahiers dans un amphithéâtre de fac suffit à changer le regard sur vous), rappelant l’insécurité d’une romance passée difficile avec son oncle pour Nora. Dès lors elle verrouille à son tour ses sentiments face à Camille qui en a fait autant précédemment avec une autre.Le côté « à la carte » des possibilités amoureuses et/ou sexuelle est une libération et une malédiction en laissant augurer la perspective du bon partenaire dans la projection future, le "swip" plutôt que dans la pause sur ce qui se présente à nous. C’est assez captivant et dans l’ère du temps sans jamais porter de jugement. Cela tient notamment à l’écriture et l’interprétation très fine et alerte des héroïnes où l’on sent la patte de Céline Sciamma qui a collaboré au scénario et s’y entend grâce à des réussites comme Bande de filles (2014). Côté masculin on retrouve en revisité les héros de Jacques Audiard, rustres incapables de répondre à l’amour qu’on leur porte et qui devront apprendre à aimer, mériter d’être aimé par LA femme qu’ils n’ont pas su voir. C’est typiquement la construction de Sur mes lèvres (2001) ou De rouille et d’os. Mais avec un personnage d’intellectuel comme Camille, Audiard ne réduit pas cela à une caractéristique primaire typiquement masculine, mais à une forme de peur et incommunicabilité universelle de notre monde moderne. Les scènes de sexe nombreuses, sensuelles et frontales ont ainsi ce côté cathartique et immédiat mais en définitive, les couples formés à la fin du film sont ceux qui auront pris plaisir à discuter ensemble. L’ancien interdit/tabou du sexe a sauté et désormais la vraie question repose sur l’après. La magnifique conclusion joue d’ailleurs sur les deux tableaux. Le couple qui a commencé par seulement se désirer, Emilie/Camille, se déclare enfin par le verbe, par le mot, sans apparaître ensemble à l’écran. Celui qui a commencé par s’apprivoiser par les mots, Nora/Amber Sweet, se trouve déstabilisé par une soudaine proximité physique et se déclarera par le geste. Une belle démonstration du regard éclairé de Jacques Audiard qui signe là un de ses plus beaux films.Sorti en bluray français chez Memento Films
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