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mardi 2 août 2022

Viva Erotica - Sik ching nam lui, Derek Yee et Law Chi-leung (1996)

Un réalisateur se voit proposer de réaliser un film érotique pour relancer sa carrière. Il devra choisir entre son intégrité artistique et l'argent.

Viva Erotica est un des derniers feux du sous-genre de la « Catégorie 3 » dans le cinéma de Hong Kong. Ce terme désigne au départ une classification interdisant aux spectateurs de moins de 18 ans de visionner certains films à cause de leur contenu à teneur violente, sexuelle ou encore politique. Cette classification est apparue à la fin des années 80 après plus de vingt ans de censure très stricte (dont fit par exemple les frais Tsui Hark avec son sulfureux L’Enfer des armes (1980)) avant que sa raison d’être soit contestée car ne reposant sur aucune législation officielle. Un phénomène inattendu va cependant voir jour puisque la Catégorie 3 va progressivement devenir un sous-genre et argument commercial où vont s’engouffrer les productions les plus putassières, nauséeuse et provocatrices avec des films aussi extravagants que The Story of Ricky (1991), The Untold Story (1993) ou Ebola Syndrome (1996). Cependant la Catégorie 3 peut aussi être le refuge de vrais films d’auteur qui y trouvent un espace à des sujets dérangeants tel le brûlot School on fire de Ringo Lam, la crudité des bas-fonds de Crime Story de Kirk Wong ou encore la description d’une romance gay avec Happy Together de Wong Kar Wai (1997). 

Viva Erotica s’inscrit dans ce dernier courant et constitue une véritable mise en abyme du genre, mais aussi du cinéma de Hong Kong. L’histoire (qui rappelle beaucoup l’excellent On aura tout vu de Georges Lautner (1976)) voit Sing (Leslie Cheung), jeune réalisateur au chômage, se voir proposer de réaliser un film érotique de Catégorie 3. Sing malgré ses grandes aspirations artistiques se voit contraint d’accepter par nécessité la proposition. Prenant de haut acteurs, techniciens par ses velléités auteurisante, et finalement honteux de la tâche à laquelle il s’attèle, Sing va peu à peu droit dans le mur. Le film fait plusieurs allusions à la réalité de l’industrie du cinéma hongkongaise, que ce soit l’opprobre jetée sur les réalisateurs œuvrant dans le cinéma érotique, les producteurs véreux aux liens douteux avec le monde des triades. 

L’un des éléments les plus intéressants sur ce point voit le réalisateur Derek Yee se mettre en scène (mais joué par l’acteur Lau Ching-wan) en tant qu’artiste brisé et incapable de concilier art et nécessité commerciale. Si Derek Yee n’a pas connu pareille situation, l’inspiration est néanmoins réelle puisque venant de l’expérience de Bosco Lam (ici co-scénariste) qui après avoir été l’homme à tout faire du producteur Wong Jin dû batailler avec lui sur son premier film A Chinese Torture Chamber Story (1994). Décidé à signer un vrai film d’auteur, il fut forcé de tirer son projet vers l’outrance du Catégorie 3. Derek Yee et Law Chi-leung puisent donc largement dans ce vécu pour nourrir leur scénario. 

Cependant Viva Erotica est loin de se montrer condescendant où moralisateur envers le Catégorie 3. Au départ c’est la distance que met Sing entre lui et ce milieu qu’il méprise qui crée toutes les frictions. Le côté caricatural naît ainsi de son regard biaisé (notamment les attitudes capricieuses de sa star féminine jouée par Shu Qi) et il cède finalement aux bas-instincts à travers plusieurs séquences à sensation qu’il ajoute par calcul commercial à son film quitte à le dénaturer. Ce narcissisme du héros se manifeste par un imaginaire débridé où il se met en scène intérieurement, pour se valoriser ou se rabaisser, toute son existence faisant office de fiction dont il est le centre sans interaction aux autres. Lorsque Sing décide de changer d’attitude et de reprendre le projet dans un autre état d’esprit, tout change. On sent soudain le rapport de confiance et de complicité se nouer avec ses acteurs lorsqu’il doit les diriger dans une scène d’amour, ses techniciens montrent enfin leurs aptitudes face à des directives moins pédantes. 

Et surtout, le cinéma érotique trouve ses lettres de noblesses dans le regard du personnage qui en apprend les codes, l’histoire et les vrais artistes établis qui en sont issus. Le film fait ainsi explicitement référence aux artistes japonais habitués à ces grands écarts en plaçant un extrait d’Une famille dévoyée de Masayuki Suo (1984) détournement érotique d’Ozu par le futur réalisateur de la comédie romantique populaire Shall we dance (1996). De plus, une des grandes influences de Derek Yee et Law Chi-leung sera le japonais Juzo Itami, célèbre réalisateur de la comédie culinaire Tampopo (1985) et lui aussi habitué à marier touche auteuriste, surréalisme et envolées érotique dans ses œuvres. Le film tient ce même numéro d’équilibriste entre vraie forme chatoyante (la photo de Jingle Ma lorgnant sur le travail de Christopher Doyle chez Wong Kar Wai) et un hilarant sens du grotesque. 

C’est donc drôle, attachant et captivant dans sa manière de capturer sans mépris la réalité d’une cinématographie et des aléas d’un tournage, tout en s’amusant des petits travers inhérents à cette promiscuité (Leslie Cheung fantasmant sur son actrice Shu Qi) et les à côté fâcheux avec les vie privée – comment se montrer vivace dans son couple quand toutes nos émotions sont dévouées à notre art ? On pourrait d’ailleurs poursuivre la mise en abyme sur l’actrice Shu Qi qui débarquant de sa Taïwan natale dans l’industrie hongkongaise, fut contrainte au départ de jouer de ses charmes dans des catégories 3 avant d’accéder à des rôles et productions plus ambitieuses. Viva Erotica est d’ailleurs sa dernière vraie prestation dénudée et, même si l’on ne pouvait pas encore deviner son avenir artistique plus radieux à ce stade, le film joue habilement du statut de son personnage se confondant avec sa vraie carrière. Viva Erotica est donc, à la manière de son protagoniste principal, une manière de découvrir toute la richesse et les nuance d’un genre décrié. 

Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez Spectrum Films

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