Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram
The Discarnates - Ijintachi to no Natsu, Nobuhiko Obayashi (1988)
Harada est un scénariste dont le travail
rencontre un franc succès. Son meilleur ami lui d'annonce alors qu'il a
l'intention de fréquenter son ex-épouse. Harada supporte mal cette
annonce. Tandis qu'il est en repérage pour l'un de ses scénarios, il
retourne dans sa ville natale. Il assiste à un spectacle et croise dans
le public un homme qui ressemble trait pour trait à son père, décédé
trente ans plus tôt dans un accident avec sa mère. Ce dernier l'invite
chez lui. Une fois chez l'homme (son père), il y fait la connaissance de
sa propre mère...
Sous sa forme la plus extravagante comme dans House (1977), la plus épurée et poignante pour The Deserted City (1984) ou le plus à fleur de peau avec Chizuko's Younger Sister
(1991), les thèmes du poids du passé, de la nostalgie et des fantômes
qui nous hantent sont au cœur de la filmographie de Nobuhiko Obayashi.
Plus il avance dans son œuvre, plus les excès de l'inaugural House se
distillent avec davantage de finesse et de sensibilité à l'image de The Discarnates.
Il s'agit d'une adaptation du roman Présences d'un été de Taichi Yamada
(publié en France aux édition Picquier) où Obayashi, une fois n'est pas
coutume durant cette période des 80's, a pour protagoniste un adulte
quarantenaire. Il s'agit d'Harada (Morio Kazama) scénariste à succès
mais homme peu avenant. Bourreau de travail, il s'est consacré à sa
carrière au point d'être fraîchement divorcé de son fait et il vit
désormais seul dans une résidence tokyoïte dont il est le seul
locataire. L'isolement symbolique rejoint la solitude concrète et
recherchée par Harada dont la nature antipathique nous apparaît d'autant
plus quand il rejette la compagnie de Kei (Yûko Natori), sa jolie et
manifestement dépressive voisine qui cherchait à nouer contact avec lui.
Mais bien sûr cette misanthropie vient d’une douleur passée plus
profonde à laquelle des évènements extraordinaires vont obliger le héros
à se confronter.
En repérage dans le métro pour un futur scénario, Harada se perd et
bascule dans le quartier d'Asakusa où il n'avait pas mis les pieds
depuis ses douze ans. Son monologue en voix-off nous avertit aussi que c'est
à cette période dont il se souvient avoir pleuré pour la dernière fois,
affirmation d'une capacité d'émotion dont il est aujourd'hui incapable.
Il va dans ce qui semble une temporalité parallèle recroiser son père
jeune, qui va l'inviter dîner avec sa mère dans l'ancienne demeure
familiale. Les séquences "réelles" et contemporaines arborent une
imagerie grise, terne et impersonnelle à la manière froide dont Harada
traverse sa vie quand la photo de Yoshitaka Sakamoto baigne dans des
teintes chaleureuses et colorées à chaque fois qu'il retrouve ses
parents dans ce monde parallèle.
La promiscuité et la modestie de
l'ancien appartement crée un cocon bienveillant où Harada se déride et
s'émerveille de la présence de ses parents qu'on devine décédés en
réalité. Obayashi se déleste de tout onirisme dans ces moments pour
façonner des moments de vie où la bonhomie du père (Tsurutarô Kataoka)
et la gentillesse de la mère (Kumiko Akiyoshi) sont palpables, comme une
véritable recréation d'un passé heureux et oublié. A l'inverse le
présent semble de plus en plus abstrait à travers la romance que va
nouer Harada avec sa voisine, le vide de la résidence, les douloureux
secrets que semble garder Kei et leurs rencontres et étreintes
essentiellement nocturnes. On devine peu à peu que Harada a trouvé une
sorte d'interstice entre le monde des vivants et des morts, l'un qu'il
accepte comme tel avec ses parents et un autre plus ambigu avec Kei mais
qui de toutes les manières le rend plus heureux que ses interactions
avec la réalité.
Obayashi déploie une atmosphère envoûtante, tour à tour
bienveillante ou inquiétante mais toujours au diapason des émotions de
son héros. On a ainsi l'étrangeté du songe dans le montage, les transitions, ou lors de moments surréalistes
où Obayashi introduit puis désamorce une tension sexuelle quand la mère
d'Harada le déshabille pour le mettre à l'aise par cette chaleur, la
gêne d'Harada paraissant incongrue face à cette mère le traitant encore
tel que le garçon de douze ans qu'elle a laissé. Cela amène dans le film
de vraies discussions existentielles et une remise en question pour
Harada face à des parents bien conscients de faire face à un adulte. Par
extension ces réflexions se répercute sur le spectateur imaginant les
échanges possibles avec des proches disparus s'il avait l'occasion de
les retrouver momentanément. Harada imagine ainsi qu'il aurait pu
devenir un homme meilleur que celui hautain et distant qu'il est
désormais s'il n'avait pas perdu ses parents si jeune. Toutes les
scènes familiales se teintent d'ailleurs d'une candeur et innocence
qu'il a perdue et cherche à retrouver.
Cependant ce bonheur à un prix et à chaque retour au réel, le visage
d'Harada vieillit, se fait plus spectral et putride quand il s'observe dans un
miroir, comme si l'au-delà cherchait à l'aspirer définitivement. Le
deuil qu'il a prématurément dû faire enfant, il devra donc l'accepter adulte, ce qui nous occasionnera une scène d'adieu absolument
bouleversante. Morio Kazama livre une performance poignante tandis
qu'Obayashi filme dans un onirisme retenu et poétique les morts
s'estomper délicatement de la perception d'Harada. Il fait face et
surmonte là ses maux d'enfant, mais il lui reste également à se faire
pardonner ses errements d'adultes avec le personnage de Kei.
Là Obayashi
exécute un pur récit de fantôme gothique dans un environnement urbain,
sans la luxuriance et la fantaisie de House
mais plutôt dans un élan baroque, étouffant et tourmenté. Harada
désormais exsangue se doit de se relever et tout reconstruire, renouer
les liens avec ses proches bien vivants dans un réel tangible. Tout en
ayant un protagoniste adulte, le passif de celui-ci l'inscrit pleinement
dans les récits d'apprentissage de ses œuvres adolescentes, mais avec
la gravité et le sentiment du temps qui passe de ses films les plus
matures d'alors comme le magnifique The Deserted City - l'union parfaite
entre ces deux penchants viendra avec Chizuko's Younger Sister.
The Discarnates est en tout cas un de ses films les plus touchants et
habités, le crescendo émotionnel de la dernière demi-heure étant là pour
en témoigner.
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