Nicolas Cage est un des acteurs américains incontournables des 40 dernières années, tout en occupant une place singulière dans le paysage hollywoodien. Il n’est pas la star glamour à l’image verrouillée comme son contemporain Tom Cruise, ni l’acteur total et mimétique adepte de la Méthode à la manière des Pacino et autre De Niro. Non, Nicolas Cage creuse un sillon unique et aventureux recherchant dans les arts, expériences et stimuli divers la matière à nourrir et renouveler constamment son jeu. Ce goût du risque entraîne forcément quelques sorties de route dans sa filmographie, l’associe parfois à une certaine excentricité qui sera source de moquerie au fil du temps, mais aussi la source de vraies prestations de génie et inclassable. C’est tout ce spectre que va explorer Lelo Jimmy Batista dans cet excellent ouvrage consacré à l’acteur.
Le livre n’est pas une biographie à proprement parler, mais une suite de chapitres partant de mots-clés propres à explorer toutes les bases intimes de l’art de Nicolas Cage, toutes les étapes qui ont contribuées à forger, pour le meilleur et pour le pire, l’espace qui est le sien aujourd’hui dans l’histoire du cinéma. Parler de Nicolas Cage, c’est forcément se pencher sur la dynastie Coppola et l’aura du prestigieux et envahissant oncle Francis Ford. Fils de August Coppola, frère aîné de et génie déchu de la famille après le succès de Francis, Nicolas par extension partage les complexe et la jalousie de son père, peu aidé par un contexte familial difficile tant économiquement que moralement avec une mère aux troubles mentaux. L’excentricité, l’attrait pour le transformisme et l’expression artistique sont donc une manière de s’extraire de lui-même, de devenir un super-héros dans la lignée des comics qu’il dévore enfant. Lelo Jimmy Batista marie talent de narrateur prenant à une documentation riche sans être envahissante pour nous faire partager tout le parcours de Nicolas Cage.
Le patronyme « Cage » est comme on le sait une manière de créer son personnage public (inspiré du super-héros Luke Cage) et se débarrasser du poids du nom Coppola. Cette place à façonner passe par des prestations hors-normes désarçonnant ses partenaires (Kathleen Turner consternée par son phrasé inventé pour Peggy Sue s’est mariée (1986)) et en faisant un bête curieuse propre à intriguer l’industrie et nourrir la presse à scandale. Une grande part de la carrière de Cage le verra se perdre, devenir prisonnier et parfois sublimer le monstre qu’il a créé. Cette implication totale renforce sa présence incongrue dans les films qui ne la mérite pas et forme un tout idéale quand l’osmose est au rendez-vous avec le réalisateur. Le « trop » devient naturel dans la folie cartoonesque d’un Arizona junior (1987), la fougue rock’n’roll d’un Sailor et Lula (1990) ou la déliquescence de LeavingLas Vegas (1996) qui lui vaudra un Oscar. La construction du livre autorise à Jimmy Lelo Batista la non-exhaustivité et la subjectivité sur les films et rôles de Cage. Ainsi certains titres célébrés comme Volte-face de John Woo (1997) ou de gros succès d’action tel que Les Ailes de l’enfer (1997) sont remis en question tandis que des œuvres plus oubliées sont saluées comme le formidable Kiss of Death de Barbet Schroeder (1995).
La plus belle réussite du livre est cependant de scruter l’homme au-delà de l’histrion survolté. Le livre se lit vraiment davantage comme un roman plutôt qu’un essai grâce à la verve de Batista qui entre les tournages, saisit les doutes, atermoiements et sursauts de Cage à travers des évènements méconnus. Le road-trip que réalise Cage en 1991 pour le magazine Details est un passionnant instantané de l’Amérique d’alors et le regard qu’y pose l’acteur. Le chapitre consacré à la cours assidue et folle envers Patricia Arquette montre un Cage tout autant en quête d’absolu à la scène qu’à la ville, cette fougue s’avérant aussi effrayante que touchante et séduisante pour l’intéressée. Enfin l’un des derniers segments montrant Cage prisonnier de sa propre caricature à l’ère des réseaux sociaux faisant de lui un gimmick dont il est bon de se moquer est très touchante. Pourtant de DTV fauché en blockbuster friqué, du film d’auteur expérimental en film de genre excessif, Cage ne cesse jamais d’être cet expérimentateur tout en grain de folie toujours apte à surprendre tel Bad Lieutenant : Escale à La Nouvelle-Orléans (2009), stupéfiant remake du film d’Abel Ferrara. Finalement un livre fort captivant et presque frustrant par sa brièveté (le tout fait une centaine de pages), ce qui est bon signe finalement. Cependant pour avoir le regard de Batista sur le reste plus ou moins glorieux de la carrière de Cage et profiter à l’oral de son bagout, il est vivement recommandé d’écouter les différents épisodes du podcast Discordia consacré à l’acteur auquel il a participé.
Publié aux éditions Capricci
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