En 1984, Duane Jackson est désormais le riche chef d'entreprise d'une compagnie pétrolière proche de la faillite. Ses relations avec sa femme, Karla, et son fils Dickie sont mauvaises. Sonny Crawford a quant à lui un comportement de plus en plus erratique et un équilibre mental fragile. Après avoir parcouru le monde, Jacy Farrow revient en ville et dans la vie des deux hommes.
Texasville est pour Peter Bogdanovich la suite tardive de La Dernière séance (1971), son œuvre la plus célèbre et acclamée. Il s’agit pour le réalisateur de renouer avec le succès commercial après une décennie difficile lorsqu’il décide d’adapter le roman éponyme de Larry McMurtry faisant suite à La Dernière séance. Le dernier film de Bogdanovich à avoir trouvé son public remonte à Mask (1985) mais le mal est en fait plus profond. Au début des années 80 Bogdanovich va vivre un véritable traumatisme lorsque sa compagne Dorothy Stratten est assassinée par son ex-mari. Elle jouait dans Et tout le monde riait (1981) dont l’exploitation est compromise par le drame même si Bogdanovich en rachètera les droits pour le ressortir, ce qui le laissera dans une situation financière difficile. Texasville est donc teinté de ce contexte professionnel et intime douloureux et en verra sa tonalité très marquée.
La nostalgie, le regard sur le passé est au cœur de la filmographie de Peter Bogdanovich qui y prolonge sa déférence de cinéphile dans certaines œuvres explicitement référentielle dans les genres et les contextes qu’elles traitent la screwball comedy de On s’fait la valise, docteur? (1972), la comédie musicale avec Enfin l’amour (1975) ou la comédie de la Grande Dépression dans La Barbe à papa (1973). Parfois ce regard derrière soi et les regrets qui s’en nourrissent constituent la matière même de films aussi mélancoliques que Daisy Miller (1974) ou justement La Dernière séance. Ce dernier par 20 ans séparant le cadre de son récit (les années 50) et sa période de production portait déjà le sceau du paradis perdu, de la bascule d’une époque. Les espoirs déçus des adultes se conjuguaient à ceux tout autant voués à l’échec de la jeunesse dans une ville rurale texane sur le déclin. Bogdanovich pouvait y montrer s’estomper à la fois l’imagerie d’un Ouest bienveillant et mythologique d’un John Ford, mais aussi de l’Americana infectée par le désenchantement des années 70 et du Nouvel Hollywood. Texasville se déroule en 1984, trente ans après les évènements du premier film et 19 ans après la réalisation de ce dernier. Nous retrouvons tous les personnages (et donc le casting vieillit ce qui amplifie le sentiment du temps qui passe) du premier film, à un stade fort différent de leur vie. Cependant le sentiment de mélancolie s’estompe ici pour quelque chose de plus amer et désabusé, constamment en miroir déformé de son modèle. Le tabou et le bonheur éphémère des amours entre l’adolescent Sonny (Tim Bottoms) et la femme mûre Ruth (Cloris Leachman) laisse place à une sexualité très triviale (presque de la comédie de boulevard) entre Dickie (William McNamara), le fils de Duane (Jeff Bridges) prompt à satisfaire toutes les ménagères esseulées de la ville. Duane n’est pas en reste, fuyant le tumulte de son foyer et ses problèmes financiers dans les bras féminin qui daignent bien l’accueillir. La nostalgie du film vient à la fois d’un passé que l’on n’a pas vu (les évènements entre les deux films où les personnages ont tutoyés leurs rêves) et d’un autre que l’on connaît de La Dernière séance mais dont le rayonnement est factice. Tout le film laisse planer une tension amoureuse et sexuelle sur la possible réunion du couple entre Duane et Jacy (Cybill Shepherd). On pourrait penser que c’est un couple déchu par le temps qui passe pouvant possiblement se retrouver dans l’âge mûr, mais il existe davantage dans le fantasme et la nostalgie des autres que par la romance n’ayant jamais vraiment eut lieu dans La Dernière séance. Les personnages en sont conscients, discutent et regardent leur persona de « roi et reine de la promo » par le prisme des vieux albums photos mais ne le revivent jamais dans le présent - on est presque dans le Picnic de Joshua Logan (1955) mais sans même avoir eu la brève illusion du réenchantement.Les drames intimes (Jacy qui a perdu un enfant) et les désillusions professionnelles sont passées par là et comme le répète plusieurs fois Duane, il est désormais trop vieux pour tomber amoureux. Bogdanovich fait d’ailleurs parfois un parallèle cruel entre la situation de ses acteurs et celle de leur personnage. Cybill Shepherd n’a clairement pas atteint les hauteurs auxquelles elle aspirait après Taxi Driver (1976) malgré la notoriété télévisuelle de la série Claire de lune et cela est intégré à la caractérisation de Jacy partie faire l’actrice en Europe avant de revenir en ville. Le personnage de Sonny représente à lui seul tout ce désenchantement. Le tendre rêveur de La Dernière séance est figé dans ses souvenirs et en perd progressivement la raison, arpentant les vestiges du passé en ville et revivant les moments où il était encore ardent dans ses désirs charnels, ses aspirations. Le fait que son idéal disparu se représente par les films qu’ils imaginent regarder, les ruines de l’ancien cinéma où il s’installe pour le faire, associe cet horizon plus vaste du passé intime et de la fiction au grand écran de cinéma. Cependant les discussions (Jacy déblatérant sur la vie sexuelle des candidats de jeux télévisés), la vie et l’espace même se réduit désormais aux perspectives étriquées de l’écran de télévision – le film s’ouvrant ironique sur l’image d’une antenne parabolique. C’est même un élément qui dessert directement Texasville puisque si le fond est là pour susciter une émotion semblable à La Dernière séance, la facture du film et notamment l’usage de la couleur empêche la mélancolie de s’installer. C’est parfois voulu comme le marivaudage trivial évoqué plus haut s’opposant aux amours tragiques du premier film, mais dans l’ensemble la grandeur de la forme cinématographique est en retrait et l’ensemble ressemble plutôt à un téléfilm ou soap-opera de luxe de l’époque comme Dallas. Texasville est donc une œuvre attachante mais pas vraiment réussie, n’existant que dans le souvenir de son prédécesseur (Duane prenant la place du patriarche revenu de tout joué par Ben Johnson) mais porté par un ton inapproprié qui ne le rend pas aussi mémorable.
Sorti en bluray et dvd zone 2 franaçsi chez Carlotta
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