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mardi 9 août 2022

In the Heat of the Sun - Yang guang can lan de ri zi, Jiang Wen (1994)


 Le récit se situe dans la Chine des années 70 en pleine Révolution culturelle et décrit le quotidien d'une bande d'adolescents livrés à eux-mêmes après le départ de leurs parents à l'armée pour appuyer Mao...

In the Heat of the Sun est la première réalisation de Jiang Wen, jusque-là plus connu pour ses activités d'acteur. Après être sorti diplômé de l'Académie centrale d'art dramatique de Pékin en 1984, il s'inscrit pleinement dans le renouveau du cinéma chinois des années 80 en jouant dans Hibiscus Town de Xie Jin (1986) ou encore le fondateur Le Sorgho Rouge de Zhang Yimou. Ces deux films montrent ainsi qu'en tant qu'acteur il jouait déjà dans des œuvres discutant l'héritage de la Révolution Culturelle ou pour des cinéastes la remettant en question. Il va à son tour frontalement aborder le sujet en réalisant In the Heat of The Sun où il adapte le roman éponyme de Wang Shuo, auteur controversé car lui aussi abordant les pans sombres de cette Révolution Culturelle ou de maux de la société chinoise, et dont l'émergence est totalement en accord avec cette période de remise en question par les arts de la société chinoise.

In the Heat of the Sun se distingue cependant par son angle très original. Les grands films ayant la Révolution Culturelle en toile de fond en dépeignent avant tout les pans sombres et oppressant à travers le regard des adultes qui eurent à en subir les brimades, humiliations publiques et autres dénonciations arbitraires dans Vivre de Zhang Yimou (1994) ou Adieu ma concubine de Chen Kaige (1993). Les adolescents de l'époque le vécurent cependant autrement. Il y avait tout d'abord les gardes rouges, jeunes gens instrumentalisés par le pouvoir pour épier, tourmenter et créer la peur chez les citoyens, et les autres adolescents relativement livrés à eux-mêmes car pour certains leurs parents étaient mobilisés par l'armée. Il y a donc pour les personnes ayant été adolescents à cette période une forme de nostalgie d'un moment de totale liberté.

C'est le point de départ du roman (en partie autobiographique) de Wang Shuo et donc du film de Jiang Wen (qui de la même génération y a aussi inséré certains élément personnels), dans ce Pékin des années 70 déserté par les adultes et immense terrain de jeu pour une bande d'adolescents. Parmi eux on va suivre Ma Xiaojun (Yu Xia), garçon au père absent physiquement pour ses obligations envers l'armée et dont la mère est-elle absente mentalement, aigrie par la dépendance façonnée pour elle par le régime. Ma Xiaojun fréquente donc vaguement l'école selon ses envies mais surtout zone dans la ville avec ses amis. L'une de ses distractions favorites est de fabriquer des clés qui lui permettent de crocheter les serrures et investir en journée les demeures d'inconnus partis travailler. C'est ainsi qu'il va en s'introduisant dans un appartement tomber amoureux de Mi Lan (Jing Ning), une belle jeune femme dont il va être éblouit par le portrait. Ayant réussi de fil en aiguille à faire la connaissance de celle-ci, il va vivre au cours de cet été les bonheurs et douleurs d'un premier amour. Dans un premier temps, Jiang Wen entremêle ce monde de l'enfance/adolescence à cette toile de fond politique. 

Le film s'ouvre sur les festivités voyant l'envoi d'adultes en mission militaire, jouant d'une grandiloquence propagandiste (la première image du film est une immense statue de Mao Zedong) et de la fascination exercée sur les yeux émerveillés des jeunes héros. Dès lors la Révolution Culturelle représente pour Ma Xiaojun et ses amis une mythologie, un idéal héroïque auquel ils aspirent pour échapper à leur quotidien ou plus tard impressionner celle qu'ils aiment. Cette dimension de gloire un peu puérile et immature se ressent dès les premières scènes comme ce moment où Ma Xiaojun subtilise les médailles et l'uniforme de son père pour parader seul dans la maison. Il y a une facette idéologique inculquée de puis la plus tendre enfance certes, mais avant tout l'invocation d'un modèle de fiction héroïque comme peuvent en avoir tous les jeunes gens mais qui dans ce contexte s'avère aussi politique. Néanmoins nos personnages ne semblent guère endoctrinés et ont bien toute l'insouciance et insolence de leur âge. Les rares scènes de classe sont plutôt turbulentes et lorsque le groupe de garçon invoque des références culturelles ou politiques autour du communisme dans leurs discussions, c'est plus potache que réellement exalté, là aussi l'environnement faisant que ces éléments remplacent les répliques de films ou paroles de chansons rock des jeunes occidentaux. Ce sont des facettes qui participent à leur bagage commun, à leur camaraderie.

Formellement Jiang Wen imprègne profondément son film de nostalgie à travers la voix-off adulte nourrie de regrets, ainsi que l'imagerie solaire et rêveuse. Les teintes chaudes de la photo de Changwei Gu baignent dans une lumière diaphane et parfois saturée qui laisse entendre que nous ne sommes pas forcément dans le seul souvenir, mais le fantasme de ce qui aurait pu, de ce que l'on aurait espéré être. Mi Lan apparaît comme un idéal amoureux proche et distant, dont la narration entretient progressivement le doute quant à la véracité des moments de proximité avec Ma Xiaojun. Leur intimité s'illustre seulement par l'ellipse, par des échanges à l'écart des autres, tandis qu'ils semblent camarades fondus dans le groupe dès que les scènes sont collectives. L'éveil amoureux initial s'étant fait seul face à une photo, il est plus que suggéré que l'amour de Ma Xiaojun fut entretenu à distance et non exprimé, ou alors avec une terrible maladresse lors d'une confrontation finale assez douloureuse où le fantasme ne peut rejoindre la réalité. Jiang Wen entretient cette ambiguïté tout le film, dans la voix-off où le héros admet sa mythomanie, dans des scènes dont le déroulement s'interrompt car le présenté sous un jour héroïque forcément faux - il y a d'ailleurs un moment-clé quand Ma Xiaojun comprend qu'il a seulement imaginé Mi Lan en maillot de bain rouge (qu'elle n'arborera que plus tard dans l'histoire) sur la photo qui déclenche sa passion. 

La bande-son nourrie de multiples références travaille aussi cette perception du réel discutée, ou parfois l'ironie voulue par Jiang Wen, avec l'irruption d'un extrait de l'opéra Cavalleria rusticana (entendu dans Raging Bull ou Le Parrain 3), une réorchestration héroïque de L'Internationale (en préambule d'une rixe de bande) ou des chants traditionnels russes comme Katyusha revisitée façon folk par le groupe d'amis lors d'une belle scène de communion. Finalement tout le film est une longue hésitation dans la narration du héros à raconter ce qu'il a vécu ou à embellir ce qu'il en a remodelé à son avantage. 

Le côté parenthèse enchantée n'apparaît donc jamais complaisant au regard des vrais évènements (d'autant que dans les années 70 l'acmé de la Révolution Culturelle est passé) se jouant en toile de fond, et au contraire par ce basculement de perspective les baigne derrière cette nostalgie d'un sentiment doux-amer. Sans totalement en égaler la grandeur, il y a tout de même quelque chose des premiers Hou Hsiao Hsien (Les Garçons de Fengkuei (1983), Poussières dans le vent (1986)) ou de la grâce de A Brighter Summer Day d'Edward Yang (1991) dans la magie que dégage In the Heat of the Sun. En tout cas coup d'essai et coup de maître pour Jiang Wen qui marquera de nouveau les esprits avec son second film Les Démons à ma porte (2000).

Sorti en bluray français chez Spectrum Films

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