Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram
Le Roman de Mildred Pierce - Mildred Pierce, Michael Curtiz (1945)
Mildred Pierce est une mère de famille qui affronte les reproches de sa fille ainée. Les goûts de luxe de cette dernière poussent Mildred à devenir serveuse, puis à ouvrir un petit restaurant...
Après 18 ans de bons et loyaux services la grande Joan Crawford se voyait contrainte de quitte la MGM, studio où elle avait gagné ses galons de stars et dont elle avait assurée quelques des plus grand succès du muet à la fin des années 30. Les raisons de la rupture étaient une suite d'échecs commerciaux d'une Joan Crawford dépassée et cantonnée aux yeux du public à un certain type d'emploi de jeune fille pauvre et ambitieuse popularisé notamment par le célèbre Grand Hotel (1932). Elle se retrouve finalement à la Warner où elle bénéficiera de l'agacement du studio pour les caprices de la star maison Bette Davis qui décide d'en faire sa rivale (une concurrence qui se poursuivra près de vingt ans plus tard dans le Qu'est-il arrivé à Baby Jane ? de Robert Aldrich qui relancera la carrière des deux stars vieillissantes).
Consciente de l'enjeu, Joan Crawford prend son temps pour choisir le premier projet au sein de sa nouvelle maison puisqu'il s'écoule 2 ans entre son dernier film MGM Un espion a disparu (1943) et Le Roman de Mildred Pierce. Le rôle-titre de ce dernier rejeté par Bette Davis et Barbara Stanwick la captive immédiatement tant elle y voit une occasion se réinventer avec ce rôle tragique de mère. La nature du film mélange audacieux de film noir et de mélodrame y est aussi pour beaucoup notamment grâce à la présence derrière la caméra de Michael Curtiz mais aussi des modifications apportées au roman éponyme de James M. Cain. La tonalité de film noir plus et la structure en flashback sont ainsi de purs ajouts la version cinématographique.
Un coup de feu, une silhouette masculine qui s'écroule, une femme bouleversée qui fuit à tout hâte la maison de plage où a eu lieu le crime. Le tout s'avère encore plus incompréhensible lorsque celle-ci après avoir tenté de se suicider, attire un homme qui semble être un ami sur ces mêmes lieux pour lui faire endosser le meurtre. Quelques rebondissements plus tard nous amènent au poste de police où cette femme, Mildred Pierce, va pouvoir confesser les douloureuses circonstances qui l'ont menée à cette situation. Modeste femme au foyer au petit soin de ses filles et surtout son aînée, Mildred Pierce doit soudain faire face au départ de son époux. Le motif de cette désertion marque d'emblée plusieurs éléments clés du récit.
La faillite masculine tout d'abord avec tous les hommes du film accumulant les tares : infidélités, avidité, fourberie et même perversion avec un adultère final en forme d'inceste fort osé. Le plus fiable s'avère finalement le personnage peu recommandable de Jack Carson qui réellement amoureux de Mildred va malgré son côté entreprenant et plusieurs actes discutable soutenir Mildred dans toute ses entreprises. L'époux joué par Bruce Benett est lui bien trop faible de caractère et effacé malgré ses bonnes intentions. La progéniture vue comme un poids et une malédiction est également un thème important, le départ du mari pour infidélité semblant plus un prétexte à ce qui ronge vraiment le couple, l'amour inconditionnel de Mildred pour sa fille qu'elle gâte sans réserve.
On peut voir en Mildred une réminiscence de la crise des années 30 où cette femme de milieu modeste n'ayant quitté sa condition que par le mariage et n'ayant pas d'autre expérience de la vie souhaite élargir l'horizon de ses enfants. Plus que par ce contexte, c'est en fait la dimension sociale et universelle de parent souhaitant voir leur enfant réussir ce qu’ils n’ont pu réaliser, leur offrir les opportunités qu'ils n'ont pas eues qui est en fait questionnée ici. Mildred Pierce, trop aimante et indulgente crée finalement un monstre d'égoïsme qui ne lui causera que des tourments.
Joan Crawford est tout simplement extraordinaire dans ce personnage tragique. Le conflit constant entre le regard où se lit la désapprobation pour les méfaits de sa fille et le geste qui n'ose jamais faire preuve de la fermeté nécessaire (où qui se le reproche quand il y cède) de peur de la perdre crée une émotion et un déchirement constant qui atteindra des sommets dans la dernière partie (ce regard embué de larme alors que sa fille ingrate la supplie de raccrocher le téléphone et de la sauver, encore...).
Ce statut plus mature n'empêche d'ailleurs pas l'actrice de conserver son aura glamour et élégante, bien au contraire. De femme d'intérieur à l'allure quelconque, son ascension lui confère une aura de plus en plus sophistiquée dans ces tenues tandis que Curtiz prend un malin plaisir à l'érotiser discrètement lorsque sa caméra et l'œil des hommes s'attarde sur ses jambes ou par certaines situation (la nage avec Beragon et ce qui s'ensuit, Jack Carson et ses avances lourde alors qu'elle est nue sous son peignoir lors de sa visite nocturne. Curtiz use de ses effets autant pour magnifier sa star que pour dans l'intrigue punir Mildred d'avoir cherché à être une femme avant d'être une mère, tel l'évènement tragique qui suit la rencontre sur la plage.
A cette beauté sobre de Joan Crawford répond celle étincelante de jeunesse d'Ann Blythe dans le rôle de la mauvaise fille. La sophistication de la photographie d'Ernest Haller pour l'éclairer traduit de manière de plus en plus marquée l'aspect orgueilleux, superficiel et finalement repoussant de cette fougue juvénile. La moue boudeuse enfantine devient peu à peu un masque de haine insensible plein de calcul et on déteste avec force cette affreuse Vera. C'est dire si la prestation d'Ann Blyth est puissante également, le script lui glissant foule de répliques parfaitement abjectes.
Michael Curtiz par la sophistication de sa mise en scène dilue brillamment dans la touche criminelle les aspects les plus sulfureux du film tel ce final où l'obscurité révèle progressivement, comme un crime, la liaison indécente entre Vera et Beragon (Zachary Scott absolument détestable). L'intime côtoie constamment la recherche esthétique marquée typique du réalisateur avec ses jeux d'ombres, ses décors immenses pesant comme le poids d'un destin inéluctable sur les personnages.
Un vrai tour de force visuel et narratif qui fusionne pour séparer mère et fille une ultime fois dans une conclusion puissante. Immense succès commercial, Le Roman de Mildred Pierce rendrait la revanche de Joan Crawford plus éclatante encore lorsqu'elle remporta l'Oscar de la meilleure actrice face notamment à la candidate MGM Greer Garson pour La Vallée du jugement. Grand film !
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