Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram
Condamné à six ans de prison, Malik El Djebena ne sait ni lire ni écrire. À son arrivée en Centrale, seul au monde, il paraît plus jeune, plus fragile que les autres détenus... Le jeune homme apprend vite. Au fil des « missions », il s'endurcit et gagne la confiance des Corses. Mais, très vite, Malik utilise toute son intelligence pour développer discrètement son propre réseau...
Cinquième long-métrage de Jacques Audiard, Un Prophète est sans doute son film le plus ambitieux à ce jour, en plus d’être une date dans le cinéma hexagonal. Depuis le retrait des écrans de Delon et Belmondo, le polar était un genre en désuétude dans le paysage cinématographique français. Quelques productions souvent médiocres, parfois tout juste divertissantes, virent encore le jour dans les années 80, tandis que les années 90 furent un grand désert – hormis les coups d’éclats de grands anciens comme Tavernier et son L627 (voire L’Appât en élargissant un peu), Corneau avec Le Cousin. Un cinéaste capable de grandes choses en la matière comme Éric Rochant donna un excellent Total Western, mais l’échec, quelques années plus tôt, de l’ambitieux Les Patriotes avait déjà sonné le glas pour lui de l’accession à des projets personnels.
La donne a changé en 2003, avec le succès du 36, Quai des Orfèvres de Olivier Marchal, qui relance la production de polar en France. Depuis, pas mal de films plus ou moins réussis ont défilé sur les écrans, mais toujours avec les mêmes similitudes dans les directions proposées. D’un côté, on peut classer ceux affichant leur déférence envers le cinéma américain, que ce soit ses réalisateurs (Michael Mann sur 36, Brian De Palma pour Truands de Schoendoerffer, David Fincher à travers Scènes de Crimes, Contre enquête ou le nanar Six Pack) ou ses grands sous genres tels le biopic, avec ces dernières années le diptyque Mesrine de Richet ou Le dernier gang, inspiré du parcours du gang des postiches. De l’autre, on trouve ceux tentant de poursuivre la tradition du policier français à la Melville ou Verneuil, comme Les Parrains de Frédéric Forestier. Le reste regroupe des œuvres plus personnelles, tel le sordide MR 73 de Olivier Marchal ou le remake du Deuxième Souffle réalisé par Corneau, mais une nouvelle fois ressassant des figures connues (même si plus inattendues, voire l‘inspiration Johnnie To/ Wong Kar Wai du Corneau).
Parallèlement, d’autres cinéastes prenaient certains aspects du polar dans leurs films pour en faire autre chose, comme un Guillaume Nicloux et donc Jacques Audiard dans Sur mes lèvres, De battre mon cœur s’est arrêté et Regarde les hommes tomber, où il a plus que flirté avec le genre. Audiard avait, après son dernier film, manifesté une certaine lassitude dans l’écriture de scénario et affiché sa volonté de mettre en scène des récits écrits par d’autres afin de renouveler son inspiration. Même s’il l’a profondément réécrit et remanié durant deux ans avec Thomas Bidegain (au départ la prison ne constituait qu’une des parties du film), le scénario original de Abdel Raouf Dafri et Nicolas Peufaillit offre donc un terrain de jeu totalement neuf, autant pour lui que pour le polar français.
S’inscrivant dans un sous genre typiquement américain, le film de prison, Un Prophète propose le plus singulier des parcours initiatiques, tout en renouvelant grandement l’imagerie du gangster à la française. Un film raté comme La Mentale avait déjà tenté de confronter la criminalité banlieusarde à l’élite du grand banditisme, ce qu’Audiard réussit avec brio ici, à travers le cheminement de son héros de l’ancienne à la nouvelle école du crime. Petite frappe juvénile et illettrée plongée au milieu de mines patibulaire, Malik est très loin de l’image du gangster bodybuildé et imposant. Rusé, observateur et ayant soif d’apprendre, c’est un diamant brut qui, en acquérant le savoir, vrai symbole de pouvoir, va s’imposer peu à peu.
Pour la première fois depuis bien longtemps, on sent retranscrit ici ce que les américains ont toujours su faire dans ce type d’environnement : la description des rapports de force liés à une appartenance ethnique ou raciale. Audiard dépeint les codes et les mœurs de ses truands avec acuité, notamment l’aspect extrêmement clanique des corses et le racisme latent qui les perdra lorsque Luciani (Niels Astrup, terrifiant parrain corse) se trouvera isolé. On sent la patte de Abdel Raouf Dafri dans la description enfin crédible des nouveaux caïds de banlieue. Nouveaux visages, expressions et types de situations (la confrontation avec « L’Egyptien ») apportent un vrai sang neuf, ajoutés au rapport complexe de ces criminels à l'Islam, au moins aussi passionnant que celui des mafieux italiens avec le catholicisme. Le mépris des uns contre la farouche haine et soif de revanche des autres, un véritable microcosme de la société française agencé avec brio par Audiard dans le cadre pénitentiaire.
L’audace du film est de placer son héros au-dessus de la mêlée, Malik découvrant les arcanes du métier et se créant des contacts par les Corses, puis manipulant les Arabes en attisant leur haine. Déshumanisé par un terrible rite initiatique imposé à son arrivée, il est traité en subalterne chez les Corses et rejetés par les Arabes, pour désormais n’agir que dans son propre intérêt. Le scénario permet à Malik de tisser progressivement sa toile, de missions en petits trafics, dans une redoutable partie d’échecs avec Luciani. L’horizon semble d’ailleurs s’élargir au fil de la progression du héros, au propre comme au figuré. Claustrophobe et oppressante à souhait dans la première partie, la prison devient un vrai terrain de jeu, exploré de fond en comble par Audiard, lorsque Malik y prend ses marques, sans que le sentiment de danger et la vigilance ne s’estompent pour autant (voir l’explosion de Luciani lorsqu’il découvre le business de Malik).
Tahar Rahim est une incroyable révélation, parfait dans toutes les tonalités et nuances du rôle. Visage angélique cachant un esprit roublard, gouailleur mais aussi réellement touchant comme lors de ce moment où il préfère aller à la mer plutôt que courir les prostituées. Parmi les seconds rôles, Adel Bencherif offre également une prestation et une présence magnétiques en meilleur ami malade.
La conclusion magistrale, voyant le passage de relai douloureux entre Luciani et Malik, est d’une grande force, avec son héros désormais tout puissant, proche du Michael Corleone de la fin du premier Parrain. La dernière scène en forme de point d’interrogation, proposant dans le même plan les deux avenirs possibles de Malik, est une belle idée annonçant des développements fort intéressants, Jacques Audiard envisageant une suite en cas de succès. Pas de nouvelle de ce côté là pour l'instant mais on ne peut que le souhaiter tant Un Prophète représente une date dans le cinéma français récent.
Dur : on sort éprouvé de la séance... Mais oui, très beau film.
RépondreSupprimerGRAND PRIX à Cannes mérité.