Polly Franklin, une jeune fermière pauvre, fuit la campagne et la violence de son père comme celle de son environnement pour rejoindre Chicago. Elle va y connaitre un difficile apprentissage de la vie, exploitée à l’usine et derrière les barreaux, puis prostituée. Le destin va un jour mettre sur son chemin un homme qui va lui faire espérer un destin plus radieux. Mais elle ne connait pas sa véritable identité. Il s’agit de John Dillinger, l'ennemi public n°1.
Du Rouge pour un truand est la queue de comète d’un certain revival du film de gangsters des années 30, initiée par le succès de Bonnie and Clyde d’Arthur Penn (1967), mais surtout maintenue par le cinéma d’exploitation durant les années 70. Roger Corman est particulièrement prolifique pour exploiter ce filon et en profite au passage pour lancer de jeunes talents dans des films comme Boxcar Bertha de Martin Scorsese (1972) ou encore Dillinger de John Milius (1973). De Dillinger, il est d’ailleurs de nouveau question dans Du Rouge pour un truand, mais selon un angle différent à grâce à la plume de John Sayles officiant au scénario. Le film fait le choix d’adopter le point de vue romancé de l’actrice involontaire de la mort du célèbre gangster, Polly Franklin qui était sa compagne au sortir de la séance de cinéma qui signa la fin de Dillinger abattu par le FBI dans une embuscade.
Dillinger n’est ici qu’un second rôle, un fil rouge longtemps lointain explicitant l’écho médiatique et la popularité du malfrat devenu l’ennemi public numéro 1. On s’attache cependant davantage au destin de Polly Franklin (Pamela Sue Martin), jeune femme pauvre subissant de plein fouet le dénuement matériel de la Grande dépression, mais surtout l’oppression des hommes. Le film s’inscrit ainsi dans la lignée de toutes les grandes production Pré-Code, notamment de la Warner, dépeignant le destin et l’ascension de jeunes femmes marquées par la vie. Des merveilles comme Baby face (1933), L’Ange Blanc (1931), Frisco Jenny (1932) ou Safe in Hell (1931) en étaient les sommets et archétypes, avec souvent une Barbara Stanwyck en héroïne tragique et un William A. Wellman pour filmer cela avec efficacité. On retrouve de cela ici avec une Polly jouet de la malice et de la brutalité des hommes, piégée dans un inéluctable déterminisme social qui la guide malgré elle vers une déchéance entre prison, prostitution et dangers divers. La prestation farouche de la charismatique Pamela Sue Martin déleste le récit de tout misérabilisme, tant notre héroïne se redresse farouchement de tous les obstacles et ne semble jamais accepter son destin. La femme gangster vêtue d’une robe rouge croisée durant la scène d’ouverture semble être un exemple ambigu de rébellion qui va la pousser à ne plus s’abaisser devant la violence paternelle ou de tout autre homme. Lewis Teague est un jeune protégé de Corman passé par tous les métiers avant d’accéder au poste de réalisateur pour lequel il va devoir faire ses preuves dans les conditions spartiates habituelles. Tourné en 20 jours, le film est une merveille de concision et de densité narrative, impressionnant tant dans sa reconstitution soignée que par ses scènes d’actions éparses mais d’une maestria sanglante. On ressent la putasserie jouissive du film d’exploitation dans les scènes de maison close osant les excès que même les Pré-Code ne pouvaient se permettre, tout en y observant une cruauté témoignant des injustices d’alors – Christopher Lloyd assez mémorable en mafieux aux penchants sadiques. Lewis Teague capture une société prédatrice où la plus solide des amitiés semble pouvoir être sacrifiée sur l’autel de l’individualisme, même si certains parias sauront faire cause commune. La réalité oscille entre un versant réellement sordide et une tonalité de conte moderne s’incarnant dans les références cinématographiques, notamment toutes les références à la comédie musicale et plus particulièrement les films de Busby Berkeley (l’affiche de 42e rue (1932) au début, Polly se faisant appeler Ruby Keeler pour entrer dans une salle de danse) qui abordaient frontalement ce cadre social sinistré de la Grande dépression. Cet entre-deux est symbolisé par la figure de Dillinger (Robert Conrad excellent), malfrat s’étant fondu dans l’inconscient collectif au rang de star de cinéma, tout en représentant une proximité rêveuse pour Polly qui ignore son identité. C’est paradoxalement son prince charmant, le seul homme à l’aimer avec respect même en connaissant son passé, et lui promettant un avenir plus apaisé. Sa face sombre que Polly va tragiquement découvrir traduit la tonalité surprenante du film, entre crudité et conte de fée moderne. Du rouge pour un truand est une belle réussite, une relecture singulière et passionnante du film de gangsters.Sorti en bluray français chez Rimini
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