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mardi 12 mars 2024

Les Croix de bois - Raymond Bernard (1932)

En France, pendant la Première Guerre mondiale, Gilbert Demachy, étudiant en droit, s'engage pour en découdre avec l'envahisseur allemand. La ligne de Front paraît stagner en Champagne. Terré dans les tranchées, chaque camp attend de passer à l’offensive.

Les Croix de bois est un des grands films évoquant la Première Guerre mondiale en adaptant le roman éponyme de Roland Dorgelès. L’authenticité traverse autant les choix esthétiques du film que le casting, puisqu’une grande part de celui-ci (mais également les figurants) est constitués d’acteurs ayant effectivement participés à la Grande Guerre, comme Charles Vanel ou encore Raymond. Le récit reprend la structure du livre, qui était une représentation du front plutôt qu’une intrigue à proprement parler, faite de chapitres sans liens entre eux présentant des situations guerrières. Raymond Bernard nous présente certes quelques protagonistes à suivre, mais ils représentent davantage des archétypes (le cuisinier corpulent et lâche) que de vrais personnages. Cependant, les rares moments de chaleureuse accalmie et camaraderie suffit à nous y attacher à gros traits, notamment le jeune étudiant Demachy (Pierre Blanchar) qui va découvrir le front, son mentor Sulphart (Gabriel Gabrio). 

Toute cette facette constitue la longue introduction du film sur le quotidien des soldats fait de marches, d’exercice fastidieux et d’attente tandis qu’à se stade, goûter au front est une promesse d’adrénaline pour échapper à l’ennui puisque certains comme Demachy sont engagés volontaire. La spécificité du livre va donc vraiment servir le projet de Raymond Bernard lors des scènes de bataille. Le réalisateur parvient à un mélange surprenant de chaos, d’effroi et de réelle poésie formelle dans son filmage. L’ennemi allemand est en grande partie invisible et la course au sortir des tranchées est avant tout une affaire de survie plutôt que de combat, avec son déluge d’obus, ses plateaux escarpés et la mort qui frappe brusquement dans une lente avancée à tâtons.

C’est l’urgence qui domine dans les joutes de jour, déchaînant une véritable apocalypse d’explosion, d’amoncellements de cadavres sur lesquels il n’y a guère le loisir de s’attarder. La dramatisation classique n’a ainsi pas lieu d’être au plus fort de la bataille, et le réalisateur ne nous la fait ressentir que par un effet de longueur et répétition de cet enfer en fondu enchaîné tandis qui phrase nous assène le fait que la bataille dura dix jours. 

Au fil des ellipses répétant cette information, les troupes se clairsement, les espaces se resserrent, les assauts frontaux laissent place à un jeu de cache-cache tandis que l’ambiance se fait plus silencieuse. Raymond Bernard passe par ce virage d’un filmage sur les vrais champs de batailles de la Grande Guerre (obus et cadavres oubliés ressurgirent d’ailleurs du sol sur les terrains malmenés par le tournage) à une esthétique stylisée et maniériste en observant les nuits anxieuses de nos soldats camouflés. Nous comprenons bientôt que la bataille s’est poursuivie dans un cimetière, manière d’appuyer une aura funeste exprimée dès la scène d’ouverture lorsqu’un fondu transformait les rangs de soldats anonymes en croix de cimetière. Un chant guerrier désespéré évoquera plus tard le choix donné à cette malheureuse chair à canon, celui de terminer cette guerre avec la croix de fer (synonyme de récompense militaire) ou plus probablement de la croix de bois pour leur mort probable.

Plus le récit avance, plus Raymond Bernard entrecroise cette approche heurtée et réaliste avec la dimension onirique, ne laissant aucun doute sur le futur condamné de ses personnages. Au sortir de l’éprouvante bataille de Champagne, notre groupe de soldat est de nouveau sollicité pour un défilé devant une population qu’ils sont supposés exalter. Au contraire, une somptueuse composition de plan superpose en fondu le défilé des vivants avec celui des innombrables morts grimpant symboliquement aux cieux, une église s’intercalant entre les deux niveaux de perceptions. Ce statut de martyrs est renforcé par le leitmotiv musical de l'Avé Maria. Ne reste plus qu’à attendre la prochaine bataille, la prochaine veillée nocturne possiblement sans lendemain, avec la perspective inéluctable de s’aligner aux côtés des innombrables champs de croix de bois.


Sorti en en dvd et bluray chez Pathé

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