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lundi 1 avril 2024

Do the right thing - Spike Lee (1989)


 À Brooklyn, c’est littéralement le jour le plus chaud de l’année. Mookie, un jeune afro-américain, est livreur à la pizzeria du quartier, tenue par Sal et ses deux fils, d’origine italienne. Chacun vaque à ses occupations, mais la chaleur estivale va bientôt cristalliser les tensions raciales.

Spike Lee signe sans doute son premier opus majeur avec ce fulgurant Do the right thing. C’est un projet en germe à plusieurs niveaux depuis les débuts du réalisateur. Le film retrouve ainsi le cadre du quartier new-yorkais de Bedford-Stuyvesant à Brooklyn, déjà présent dans son premier film étudiant Joe's Bed-Stuy Barbershop: We Cut Heads (1983). Spike Lee s’inspire également de diverses bavures policières médiatiques de l’époque comme la mort d’Eleanor Bumpurs, mais aussi des discussions qu’il eut avec Robert de Niro (premier choix pour le rôle finalement tenu par Danny Aiello) à propos des émeutes de Howard Beach en 1986 qui vit un groupe d’afro-américains attaquer ce quartier italien de New York. 

Spike Lee fait de ce quartier le microcosme d’une Amérique cosmopolite dont il capture une fraternité fragile, mais surtout les tensions palpables. L’essentiel du film est une tranche de vie et un récit choral suivant divers habitants du quartier qui souligneront un motif larvé de de conflit. L’atmosphère caniculaire fait de ce cadre un cocotte-minute prête à exploser, la chaleur semblant être l’élément qui va faire rompre les digues branlantes du vivre ensemble. L’escalade de violence sera le pinacle apocalyptique d’une narration pourtant faites de séquences humoristique, parcourues de figures pittoresque qui participent à l’identité et vie de ce quartier auquel on s’attache immédiatement. La mixité et le rejet sont deux facettes qui s’attirent et se rejettent de bout en bout. La pizzeria locale est tenue par Sal (Danny Aiello), figure bourrue et paternelle attachée au lieu et à ses habitants à travers une clientèle juvénile qu’il a souvent vu grandir. On devine qu’il a probablement ouvert à une époque où la population était à dominante italo-américaine, identité qu’il maintient avec un mur de photo de célébrité de cette origine. Ce choix décoratif à la fois anodin et significatif lui sera reproché par Buggin Out (Giancarlo Esposito), client vindicatif mais assez inoffensif. 

C’est ce même genre de petits conflits « ordinaire » qui rythme le quartier et opposent plus ou moins gentiment les communautés. La radio débitant à haut volume les décibels hip-hop de Radio Raheem (Bill Nunn) lui valent les invectives des latinos écoutant leur salsa, puis de Sal dérangé dans sa pizzeria. Les trois poseurs oisifs et goguenards jalousent la réussite des coréens ayant déjà ouvert un commerce, et ce trouvent à leur tour à invectiver et stigmatiser un « autre », un étranger faussement responsable de leurs échecs. Le métissage existe de manière concrète ou symbolique, mais repose toujours sur un motif de conflit. Ainsi Mookie (Spike Lee) est en couple une petite amie latino, Tina (Rosie) mais s’avère une amante et un père irresponsable. De même Pino (John Turtturo) assume la contradiction d’admirer des célébrités noires (Magic Johnson, Eddie Murphy, Prince) tout en ne masquant pas son racisme et dégoût à la proximité constante des « nègres » qu’il est forcé de côtoyer. La fluidité, l’énergie et la virtuosité de la caméra de Spike Lee offre un liant omniscient nous faisant passer d’un bout de ruelle à l’autre, jongler entre les communautés. Cela témoigne aussi par ses effets de montages heurtés, ses contre-plongées et gros plans saisissants des désagréments et conflits faussement inopinés qui entretiennent l’étincelle qui aboutira au brasier final.

La moiteur qui écrase l’ensemble des personnages les place à égalité face à un mal supérieur. Chacun a ses motifs d’insatisfactions mais aussi ses tares dans sa manière d’y répondre, mais c’est en définitive une même injustice et violence sociale qui les engluent ensemble. Celle-ci est représentée par la présence policière, aussi lâche pour calmer les ressentiments que pour les exacerber dans un final dantesque. Dès lors, même les figures apaisées qui passer sans heurts d’un espace à l’autre prennent parti avec Mookie, personnage insouciant qui sonne soudainement la révolte. Ce virage final coûtera sans doute la Palme d’Or à Spike Lee en 1989, le président du Jury Wim Wenders reprochant au film l’absence d’héroïsme de Mookie durant ce climax – il récompensera Sexe, mensonges et vidéo de Steven Soderbergh. 

Le script original de Spike Lee envisageait une conclusion plus pacifiste et apaisée entre Mookie et Sal, mais le réalisateur fait un choix plus ambigu. La double citation finale préconisant la solution pacifiste selon Martin Luther King ou justifiant la violence de Malcolm X ne signifie pas une absence de choix de la part de Lee, mais plutôt un contraste entre l’apaisement espéré de King et l’inévitable affrontement envisagé par Malcolm X - annoncé par les bagues orné d'un Love et Hate de Radio Raheem. C’est une lucidité qu’assume Spike Lee, conscient du mal rongeant son pays et refusant le manichéisme facile – volonté qu’on retrouvera notamment dans Jungle Fever (1991).

Sorti en bluray chez Universal

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