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mardi 11 janvier 2022

Sexe, Mensonges et Vidéo - Sex, Lies, and Videotape, Steven Soderbergh (1989)


 Graham Dalton (James Pader) collectionne les interviews vidéo de femmes qui racontent sans ambages leur vie sexuelle. De retour dans sa ville natale il retrouve John (Peter Gallagher) un ancien copain de fac qui a "réussi" et sa femme Ann (Andie MacDowell). Cette rencontre va avoir pour tous des conséquences surprenantes.

Le temps passant, on peut souvent distinguer deux types de projets dans la filmographie de Steven Soderbergh. D’un côté ceux se prêtant à une recherche formelle et narrative marquée, travaillant une stylisation et expérimentation constante. De l’autre des œuvres creusant l’épure, la traduction d’une authenticité et d’une modestie dans les récits, les milieux sociaux voire les castings (le choix d’acteurs non professionnels de certains films). Le budget n’influe pas forcément sur la direction de la catégorie, un Erin Brockovich (2000) porté par Julia Roberts s’inscrivant plutôt dans la seconde, l’alambiqué L’Anglais (1999) dans la première tout comme Hors d’atteinte (1998) et sa distribution prestigieuse. Cette dualité traduit la volonté contradictoire d’un film à l’autre de poser un regard plus démiurge et distant dans la première partie de sa carrière puis dans ses productions plus récentes au contraire d’observer une réalité intime et/ou économique autour d’un microcosme social.

Cet équilibre, Soderbergh l’avait déjà magistralement atteint dès son premier film Sexe, Mensonges et Vidéo. L’idée du film naît d’une rupture amoureuse où il imagine la vidéo comme échappatoire à son personnage pour surmonter, ou du moins endormir sa douleur. Les œuvres qu’il envisage comme modèles sont notamment La Dernière séance de Peter Bogdanovich (1971), Ce plaisir qu’on dit charnel de Mike Nichols (1971) et Cinq pièces faciles de Bob Rafelson (1970). Ces trois films se caractérisent justement par les éléments évoqués plus haut : microcosme géographique et social prégnants qui déterminent l’esthétique très singulière de chacun tout en abordant des problématiques introspectives. Le titre, le postulat et l’amorce de Sexe, Mensonges et Vidéo ont tout du mauvais thriller érotique avant de bousculer progressivement nos certitudes. Graham (James Spader), est un séduisant inconnu qui s’immisce dans le quotidien du couple en crise de son copain de fac John (Peter Gallagher) et ne laisse pas indifférente son épouse Ann (Andie MacDowell). 

Graham exerce une fascination immédiate par le mélange de proximité et d’austérité qu’il dégage. Il a une manière très déstabilisante de poser des questions intrusives à ses interlocutrices, tout en révélant crûment des facettes de lui-même susceptible de les mettre en confiance (ou de les décevoir ?) comme le fait qu’il soit impuissant. Sa vulnérabilité est surprenante et rassurante pour les femmes dont l’intimité peut se révéler à son contact, de façon inconsciente pour les plus pudiques (le geste équivoque d’Ann avec son verre lors de la conversation au bar) et exhibitionniste pour les autres (Cynthia (Laura San Giacomo) se déshabillant et se masturbant face à lui) à travers sa marotte de filmer leurs confidences sexuelles. Le gimmick de montage faisant débuter un dialogue de la séquence suivante à la fin de la précédente tout au long du film est là pour placer chaque protagoniste sur un pied d’égalité dans leurs impasses personnelles. Cynthia a certes une sexualité active et décomplexée, mais c’est au prix de la trahison de sa sœur Ann et d’un rapprochement avec son détestable beau-frère John. Ce dernier est un cynique et individualiste qui a fini par ne s’attacher qu’au paraître. Enfin Ann est une femme pétrie de complexes dont le mal-être se répercute sur sa désormais absence de libido. Graham par son attitude neutre et ambiguë sert de révélateur aux failles de chacun tout en ayant ses propres démons.

L’erreur serait de le prendre pour un grand maître du jeu manipulateur alors que son attitude ne sert que d’accélérateur à des évènements qui auraient fini par arriver, quand sa situation est finalement plus tragique. Soderbergh escamote chaque séquence de confidence filmée, nous faisant vite comprendre que le plus troublant n’est pas la parole libérée des femmes, mais l’attitude de Graham. Si détaché d’ordinaire, il devient soudain plus concerné, impliqué par ce qu’il entend. Nulle excitation ou perversité là-dedans, c’est simplement un instantané d’humanité et d’émotions dont il n’est plus capable qui s’offre à lui à travers ses discussions. La manière dont Soderbergh le filme lorsqu’il interroge une femme ou revoit ses rushes vidéo, les inflexions de sa voix et surtout le langage corporel de James Spader exercent une fascination constante. L’intention supposée de ces scènes est totalement inversée en faisant par la mise en scène de l’intervieweur celui qui s’expose et de la confidente celle qui se joue de lui – même si la conversation entraîne des conséquences sur leur vie à tout deux. 

Cela reste diffus jusqu’à la magistrale confrontation finale entre Graham et Ann. Lasse de son existence morne, Ann est enfin prête aux aveux filmés et ce faisant avoue à Graham le désir qu’elle éprouve pour lui. C’est désormais à lui de sortir de sa torpeur et d’expliquer son incapacité à répondre à cette avance, et dès lors la curiosité, la fascination est du côté d’Ann face à cet homme acculé dans ses contradictions. Soderbergh donne une portée plus grande encore à cette séquence en la faisant visionner sous forme d’enregistrement à au mari infidèle avant de pleinement amener la révélation. Une nouvelle fois c’est le supposé voyeur qui doublement est renvoyé à ses manques. 

L’exploit de Soderbergh sera de traduire cette atmosphère de sensualité et de désirs refoulés en se montrant d’une sobriété exemplaire dans les scènes de sexe réduites à leurs plus simples expressions, ou escamotées lors des confidences vidéo les plus crues. Au début du film, Graham dit dans une phrase que « plus un homme désire une femme et plus il l’aime tandis que plus une femme aime un homme et plus elle le désire ».  C’est plus ou moins le cheminement qui aboutit à la magnifique scène d’amour (pudiquement interrompue) finale entre Graham et Ann. Coup d’essai et coup de maître pour Steven Soderbergh récompensée par la Palme d’Or en 1989, et dont il reste le plus jeune lauréat à ce jour. 

Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez Sony

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