Kate Fernald, servante de la riche famille Fortune, s'éprend du fils de Christopher, l'enfant prodige promis à une carrière toute tracée dans la marine. Alors qu'il revient blessé de son premier voyage en mer, il décide de consacrer sa vie à la musique, et de fuir à Paris avec l'aide de Kate pour y apprendre le piano.
Désirs d’amour est pour Robert Siodmak une incursion dans le genre peu familier pour lui du mélodrame. Il freinera d’ailleurs des quatre fers lorsque le projet lui sera proposé, à la demande de l’actrice anglaise Phyllis Calvert qui souhaitait absolument travailler avec lui pour son premier rôle hollywoodien. Le film est adapté du roman à succès Time Out Of Mind de Rachel Field publié en 1935, mais tardera à entrer en production alors qu’entretemps L’Etrangère d’Anatole Litvak (1940) d’après la même autrice est un grand succès commercial. Le moment est donc peut-être passé au moment où se fera Désirs d’amour, que Siodmak accepte finalement de faire grâce à une substantielle augmentation de salaire d’Universal.
Le récit est relativement convenu, ou du moins n’exploite pas pleinement le potentiel de certains éléments (la relation fusionnelle entre Christopher et sa sœur, la figure sévère du père disparaissant trop vite). Cependant, le brio formel de Siodmak rend Désirs d’amour très exaltant esthétiquement. Le poids des traditions et de l’héritage auquel se soumettre se ressent dès les premières images à travers les vues de ce domaine somptueux surplombant la mer en ces terres de Nouvelle-Angleterre. Les visions se font tour à tour quasi gothiques, oniriques ou oppressante dans leur faste pour signifier la prison dorée que constitue ce lieu pour Christopher (Robert Hutton) fils de marin empêché dans ses aspirations de musicien. La tardive révélation de sa principale source d’inspiration artistique nous est révélée assez tôt par l’image, le temps d’une somptueuse composition de plan voyant l’ombre songeuse de Christopher face à la mer tandis que la fidèle Kate (Phyllis Calvert) le rejoint. L’atmosphère maritime poétique bercée du bruit lointain du ressac, ainsi que le regard aimant et dévoué de Kate sont tout ce dont a besoin Christopher pour composer mais il ne le sait pas encore.Il ira donc se perdre au loin, à Paris, dans les excès alcoolisés et les amours malheureuses pour revenir des années plus tard sans avoir accompli son destin. Robert Hutton n’a pas tout à fait le charisme requis pour ce rôle torturé, mais qu’à cela ne tienne, Siodmak surmonte cet écueil par sa mise en scène flamboyante. La séquence du premier concert est une merveille d’équilibre entre notes de musiques fuyantes, regard subjectif flottant de Christopher et compassion de Kate, l’échec se dessine à travers les effets de flou, les plans en plongée écrasant Robert désarticulé sur son piano. Kate est la seule à s’interposer dans l’entreprise d’autodestruction de son aimé, par une dévotion surhumaine. Phyllis Calvert retrouve en partie ici l’emploi de ses grands personnages de victimes dans les mélodrames en costumes de Gainsborough (The Man in grey (1943), L'Homme fatal (1944), La Madonne aux deux visages (1945), mais retourne la vulnérabilité de ces derniers en force émotionnelle motrice qui endurera tout tant que son homme ne se relèvera pas. Il y a un travail intéressant sur le décor du domaine, dont les intérieurs se délestent de leurs meubles au fil de la déchéance de Christopher mais qui se faisant libère ce dernier du poids de son héritage et de ses démons. Dès lors, l’espace physique et sonore se vident et lui laisse entendre la mer, et également enfin voir et regarder celle qui l’a porté à bout de bras quelles que soient les circonstances. Siodmak revisite l’esthétique de ses films noirs dans le travail sur les ombres de la photo de Maury Gertsman, qui magnifie la direction artistique de John DeCuir et Bernard Herzbrun dans de somptueux décors oscillant entre une luxuriance très concrète ou une dimension plus abstraite et mentale. Il y a quelques mouvements de caméra réellement impressionnants qui accompagnent toutes ces approches, notamment celui suivant l’avancée déterminée de Kate cherchant à préserver l’harmonie du second concert de Christopher, cette fois confiant et épanouit. Phyllis Calvert excelle vraiment pour incarner cette alliance de force et de douceur, ce roc qu’est la femme derrière le grand homme aux pieds d’argile. Désirs d’amour est réellement une preuve de la maestria de Siodmak qui transcende les scories du film (qui sera un échec commercial) en le réhaussant thématiquement par sa beauté plastique.Sorti en bluray français chez Elephant Films
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