Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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dimanche 21 avril 2024

Hunter's Diary - Ryojin nikki, Ko Nakahira (1964)


 Ichirô Honda, marié à la fille d’un grand indus­triel, mène une dou­ble vie. Grand séduc­teur, il consi­gne dans un jour­nal ses ren­contres à répé­ti­tion. Un jour, il apprend par les jour­naux qu’une de ses ancien­nes conquê­tes, Keiko Obana, s’est sui­ci­dée. L’affaire est clas­sée sans suite par la police. Quelques jours après, le meur­tre d’une autre « proie » de Honda fait la une des jour­naux. Ce der­nier ne se sent pas concerné et pour­suit ses par­ties de chasse galan­tes. Entre-temps, la sœur de Keiko a décidé d’enquê­ter seule sur les cir­cons­tan­ces du drame. Elle finit par appren­dre l’exis­tence de Honda…

Hunter's Diary est la première adaptation cinématographique d'un roman de Masako Togawa, un des grands talents émergents de la littérature policière japonaise au début des années 60. Dès son premier roman Le Passe-partout publié en 1961 (et tout récemment édité en France pour la première fois), elle fait montre d'un talent remarquable pour dresser des portraits féminins marquant et tisser des récits de machinations à la construction diabolique. Le Passe-partout remporte le prestigieux prix Edogawa Ranpo en 1962, avant d'être suivi par un succès plus grand encore de son second roman Ryōjin nikki publié en 1963 et qui va donc avoir les honneurs du grand écran avec Hunter's Diary. En plus de son talent littéraire, Makoto Togawa est une grande figure des nuits japonaises, ayant été chanteuse de cabaret, plus tard tenancière de night-club, et s'affichant pour sa sexualité libérée. C'est donc tout un spectre de la nature humaine dans ce qu'elle peut avoir de plus ou moins reluisant qu'elle a été en mesure d'observer qui se retrouve dans ses livres, et par extension dans le film.

La scène d'ouverture installe une atmosphère froide et clinique, qui dans un premier temps semble avoir peu de rapport avec l'histoire. Il s'agit d'une longue séquence de simili cours de criminologie où une voix-off nous explique toutes les méthodes permettant de récolter les indices "biologiques" (sang, sperme, cheveux...) afin de confondre un criminel, tout en nous indiquant les failles possibles. Cette introduction opaque ne fera sens que bien plus tard. Autre moment choc de ce début de film, le suicide d'une jeune femme, dépitée par l'abandon d'un homme avec lequel elle n'a passé qu'une seule nuit. La sœur de la défunte (Yôko Yamamoto) se met alors en quête de l'homme lui a funestement brisé le cœur. C'est alors que l'on va adopter le point de vue de ce dernier, Ichiro Honda (Noboru Nakaya), adepte de la double vie. Dans sa ville d'Osaka, il est marié à Taneko (Masako Togawa jouant dans l'adaptation de son livre), fille d'un riche industriel, et lorsqu'il est en voyage d'affaires, il se mue en séducteur carnassier. 

Se faisant passer pour un métisse japonais, il traque les jeunes femmes esseulées en sachant trouver les mots et attitudes adéquates pour les entraîner dans son lit, ce après quoi il consigne ses impressions dans son journal de prédateur. En effet c'est bien d'une chasse qu'il s'agit dans sa manière d'épier et suivre ses proies, de les amadouer par la ruse et quelques verres d'alcool, puis de s'inviter chez elle ou à l'hôtel pour conclure. Ko Nakahira façonne une imagerie surréaliste pour illustrer des faits tristement ordinaires. Fondus enchaînés sur les bons mots écrits du journal, effets de surimpressions où se confondent les silhouettes dénudées des différentes conquêtes de Honda, caméra subjective adoptant le point de vue de ce dernier lorsqu'il arpente les trottoirs nocturnes et illuminés en quête de sa prochaine conquête. La voix-off souligne l'autosatisfaction du personnage, tandis que le filmage de Nakahira saisit parfaitement les étapes croissantes de proximités, du bar à la chambre, menant à l'étreinte attendue. Là aussi le timing du séducteur, entre timidité de façade et assaut torride est parfaitement dosé par le réalisateur qui équilibre habilement érotisme et un certain malaise.

Pourtant le dispositif se dérègle lorsque, après le suicide vu en ouverture, Honda constate dans les journaux que toutes ses anciennes amantes d'un soir sont assassinées après avoir fait sa rencontre. Dès lors tous les effets initiaux servent désormais un climat paranoïaque où Honda remonte la piste morbide de ses conquêtes dans un piège qui semble irrémédiablement se refermer sur lui. On en vient à se demander si une victime malheureuse de ses actes se venge sur lui, voire si le séducteur ne souffre pas de schizophrénie et s'avère être en plus un serial-killer. L'imagerie de plus en plus hallucinée entretient le doute, le tombeur perd de sa superbe d'autant que l'on va enfin découvrir le versant ordinaire de sa vie personnelle qui s'avère pathétique. Il fait lit à part avec son épouse Tanako depuis la mort tragique de leur bébé, ce qui explique en partie ses envies d'ailleurs. Cependant, Nakahira applique la même imagerie angoissante et cauchemardesque à cette part de la vie de son héros, notamment par un saisissant flashback dans lequel on découvre le sort du bébé disparu. Les situations dans lesquelles se retrouvent engoncés Honda sont de plus en plus surréalistes, faisant douter de ce que l'on voit y compris son arrestation et procès après lesquels il se retrouve condamné à mort et subit la vindicte morale publique lorsque ses mœurs seront dévoilées. 

C'est à ce moment que le film endosse une nouvelle rupture de ton et de point de vue. Nous allons désormais suivre l'enquête tout ce qu'il y a de plus terre à terre de Hatanaka (Kazuo Kitamura), avocat chargé de défendre Honda. Si la première partie partait de situations banales et triviales pour glisser vers une imagerie baroque, ce second acte au contraire va dépeindre des faits réellement extraordinaires à travers une tonalité tout à fait rationnelle. On ne peut en dire plus sans dévoiler une machination et un rebondissement final magistralement amené, mais les explications techniques de l'introduction prennent alors tout leur sens. Il y a presque un travail d'entomologiste à la Imamura dans la manière d'explorer des pans moins respectables de la société nippone dont le monde de la nuit, de dévoiler la libido émancipée des jeunes japonaises et ainsi contredire la nature de victime entretenue par la première partie qui ne servait en définitive que le narcissisme d'Honda, l'aura factice de mâle alpha dans laquelle il se voyait - ce qui rend le propos plus moderne et féministe que de faire des femmes de simples victimes. 

Cette manière de ramener la mise en scène, les éléments très concrets du mystère, à quelque chose de soudainement plus réaliste est une manière d'orienter le thriller jusque-là haletant vers le terrible drame humain qui se joue. Quand vient l'heure des explications, la surprise se dispute à la profonde tristesse et un véritable sentiment de gâchis. Le twist n'a plus rien de jubilatoire mais s'avère un crève-cœur pour tous les protagonistes, le thriller se mue en mélodrame poignant. Une grande réussite à laquelle Ko Nakahira donnera plus tard un remake hongkongais lorsqu'il travaillera pour la Shaw Brothers, Diary of a Lady-Killer (1969).

Sorti en bluray japonais

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