Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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lundi 29 avril 2024

20th Century Nostalgia - 20-seiki nosutarujia, Masato Hara (1997)


 Deux lycéens s'imaginent possédés par l'esprit d'extraterrestres venus étudier la terre, et filment leurs impressions avec leurs caméscopes.

Le Japon est véritablement le pays qui aura le plus anticipé la place du virtuel dans le quotidien, et réussit à l'inscrire de manière crédible et romanesque dans la fiction. La série d'animation Serial Experiments Lain (1998) nous emmène dans un spleen adolescent et métaphysique nous perdant dans un réseau internet naissant, Haru de Yoshimitsu Morita (1996) anticipe les mues de la rencontre amoureuse 2.0 et surtout All about Lily Chou-chou de Shunji Iwai (2001) annonce pour le meilleur et pour le pire le poids des communautés virtuelles. Un des points les plus visionnaires de All about Lily Chou-chou était la manière dont il voyait l'outil numérique comme un journal intime filmé, la construction de l'identité adolescente avant même l'émergence et la démocratisation des smartphones. 20th Century Nostalgia est une œuvre tout aussi précurseurs sur ce point, à cheval entre les outils du vingtième siècle finissant et les usages à venir du vingt-et-unième.

Le film s'ouvre sur la course effrénée de la jeune Anzu (Ryôko Hirosue), alertée par le programme en cours de la chaîne télévisée du lycée. Celle-ci a commencé à diffuser par inadvertance un extrait du film qu'elle a réalisé un an plus tôt avec Toru (Tsutomu Enjima). Toru ayant quitté le lycée pour vivre en Australie, le film est resté inachevé mais un professeur et une camarade d'Anzu l'encouragent à le finaliser en montant les nombreuses bandes stockées dans l'établissement. Dès lors, en plongeant dans les images ainsi qu'en effectuant une forme de pèlerinage sur les lieux filmés, Anzu revisite le souvenir des moments passés avec Toru. Afin d'échapper à son quotidien, ce dernier s'imaginait possédé par un extraterrestre nommé Chungse venu étudier l'humanité au vingtième siècle et immortalise ses réflexions dans un journal intime vidéo au caméscope. Croisant par hasard Anzu dans la rue elle aussi armée d'un caméscope, il se présente sous son identité "alien" et a la surprise de la voir entrer dans son jeu. Elle sera désormais Poze, acolyte extraterrestre étudiant l'humanité à ses côtés dans un film commun.

Le film surprend tout d'abord par son multiple régime d'image et ses différents niveaux de narrations, de perceptions, tous rendus immédiatement limpide. Le présent de Anzu est baigné d'une atmosphère estivale aux teintes chaudes dans sa colorimétrie et les tenues de la jeune fille. Le passé commun avec Toru bénéficie lui plutôt d'une photographie froide et bleutée, saisissant une certaine nostalgie quant au souvenir qu'en entretient Anzu. Et entre les deux, il y a l'image vidéo correspondant aux rushs filmés par les deux adolescents où là aussi le réalisateur Masato Hara parvient à faire distinguer qui tourne quoi. Toru filme Anzu, Anzu filme Toru, peu à peu ils se filment ensemble, la voix-off de chacun s'estompe pour les laisser communiquer leurs impressions face caméra. Le grain vidéo des images filmées créent une distance ou un rapprochement entre eux, quand ce ne sont pas leurs identités extraterrestres qui occupent cette fonction.

Le sentiment amoureux ou sa fuite naît de l'équilibre entre ces différentes échelles de récit. On devine ainsi assez vite les sentiments d'Anzu sortant assez vite de son "personnage" pour se rapprocher physiquement ou par les confidences de Toru, quand ce dernier ne s'écarte jamais du projet filmique ou de son identité alien. On est vraiment impressionné par la limpidité du dispositif qui ne nous perd jamais, et surtout par l'esthétique novatrice qui annonce tout le langage désormais assimilé du vlog. Notre duo tient son caméscope, se filme, se cadre et met en scène comme le feront les futurs possesseurs de smartphones, les youtubeurs et autres influenceurs. Cependant l'heure n'est pas encore aux narcissismes et aux postures calculées de ceux-ci car, en se façonnant un univers et en capturant leurs pérégrinations sans le souci du devenir des images, Anzu et Toru saisissent un instantané d'eux-mêmes à ce moment-clé de leurs vies.

Il y a un savant mélange de spontanéité fantasque contenus dans les rushs vidéo et de recul plus mélancolique traduit par le regard d'Anzu revoyant ou même découvrant certaines images, l'occasion d'entrevoir un pan de la personnalité de Toru qu'elle n'avait su percevoir sur le moment. Masato Hara fait du passé et du présent des environnements réalistes mais néanmoins stylisés par les ruptures de ton dans la gamme chromatique, qui changent complètement l'atmosphère de l'urbanité tokyoïte d'une temporalité à l'autre même en filmant des lieux similaires. A l'inverse le "film dans le film" avec la crudité de l'image vidéo semble le lieu de tous les possibles, un véritable écrin pop qui se lâche dans des envolées musicales totalement euphorisantes, de véritables petits clips. 

Là encore le réalisateur sait parfaitement nous faire comprendre qui filme, ou si au contraire l'harmonie entre les deux apprentis cinéastes rend cette notion imperceptible. Le sourire constant et la présence solaire de Ryoko Hirosue (connue plus tard aussi pour son rôle dans le superbe Departures (2008)) transparait dans le ton et les images joyeuses qu'elle a filmé, alors que Tsutomu Enfjima traduit la nature plus opaque et taciturne de Toru qui se réfugie derrière son alias extraterrestre pour poser ses réflexions désenchantées sur ses segments filmés. Sans jamais surligner sur la vie personnelle des deux adolescents, on saisit qui vit le mieux son quotidien loin des caméras bien que tous les deux rencontrent des situations proches avec leurs parents séparés.

Il y a toute une candeur et un spleen adolescent se dessinant en pointillé, et on ressent à postériori cette "nostalgie du 20e siècle" du titre original en observant la manière dont ces outils si dévoyés désormais servent avec sincérité cette romance balbutiante. A la fois capsule temporelle des 90's et fenêtre sur le futur, 20th Century Nostalgia est un petit bijou qui n'a pas pris une ride.

 Sorti en dvd japonais

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