Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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dimanche 7 avril 2024

Chaos - Coline Serreau (2001)


 Malika, une jeune prostituée, est agressée sous les yeux passifs de Paul et de Hélène, un couple de bourgeois conventionnel. Prise de remords, Hélène retrouve la jeune femme à l’hôpital où elle gît dans le coma et décide de s’occuper d’elle, abandonnant mari et fils. Mais les proxénètes qui ont agressé Malika ne renoncent pas…

Coline Serreau est une réalisatrice dont la filmographie a le constant souci de coller voire de précéder les questionnements sociétaux de son époque. La réussite n’est pas forcément toujours au rendez-vous comme avec la fable écologique La Belle verte (1996), mais la prise de risque est constamment à saluer. Le trio amoureux de Pourquoi pas ? (1977) bouscule ainsi le modèle classique du couple et de la famille dans un cadre plus normé et moins machiste que Les Valseuses (1974), Trois hommes et un couffin (1985) expose une face plus tendre de la masculinité, Romuald et Juliette (1989) réunit de façon moderne un couple mixte tandis que La Crise (1993) témoigne des angoisses intimes et collectives de notre monde moderne. Dans nombre de ces films, Coline Serreau observe les mues des relations homme/femme sous des angles toujours audacieux et novateur. Chaos est dans la pleine continuité de ce cursus, même si sa raison d’être tient initialement d’un désir d’émancipation technique pour la réalisatrice.

Après la lourde logistique de la production à gros budget que fut La Belle verte, Coline Serreau ressent le besoin d’un tournage plus libre pour son film suivant. C’est l’époque, en cette fin des années 90, où apparaissent les premières caméras numériques et que des mouvements cinématographiques tels que le Dogme95 frappent des grands coups avec Festen de Thomas Vinterberg (1998) et Les Idiots de Lars von Trier (1998). Sans être aussi radicale et contrainte que le Dogme, la méthodologie, l’approche formelle et la dynamique du tournage vont donc évoluer grandement dans Chaos. Cette modernité frappe d’autant en redécouvrant le film aujourd’hui à travers des thèmes qui, s’ils n’étaient pas absents des débats à sa sortie, sont désormais bien plus au centre des discussions depuis le mouvement Me Too. L’esthétique crue induite par l’imagerie numérique et la mise en scène frontale de Coline Serreau se conjugue ainsi à une approche tout aussi agressive des sujets sensibles abordés par le film. 

De sa brutale entrée en matière (Malika agressée sous les yeux passifs du couple Paul/Hélène) à l’ironie mordante de ses scènes introductives (Paul (Vincent Lindon) esquivant la visite impromptue de sa mère (Line Renaud), et Hélène (Catherine Frot) vivant la même situation humiliante avec son fils Fabrice (Aurélien Wiik), Coline Serreau dresse une vision globale et cinglante de la normalité du patriarcat. Ce mélange habile entre regard social plus ciblé de ce patriarcat et constat sociétal plus universel permet à Chaos d’esquiver toutes les possibles accusations de racisme. Il y a le temps d’un éprouvant et long flashback de Malika (Rachida Brakni) le prisme culturel et religieux à travers l’islam du patriarcat, dans lequel l’héroïne et plus généralement les femmes sont toujours les victimes et perdantes. Parallèlement, les moments de comédie grinçante suivant le désagrégement du couple bourgeois Paul/Hélène, mais la trivialité des amours juvéniles de Fabrice, témoigne à une échelle différente de cette désinvolture masculine. Paul, indifférent de son épouse, obnubilé par son métier, confirme dans le quotidien le manque d’empathie affiché lors de la scène d’ouverture – et un machisme exprimé durant un monologue abject sur son rapport au désir. Plus le récit avance, plus ce mimétisme s’accentue et met en place la rébellion de ses figures féminines, notamment le refus de l’assignation aux tâches ménagères de Zora, jeune sœur de Malika, et Hélène de retour dans son foyer. 

Si la gravité se dispute à la satire pour traiter de ce patriarcat ordinaire selon les milieux et culture, le versant thriller avec la problématique de la prostitution est cette fois la manifestation d’un asservissement littéral et barbare de la femme. Le processus de marginalisation, de séduction, d’assujettissement moral et physique de Malika suit une logique cruelle et implacable qui marque durablement. La profonde noirceur de ces moments est contrebalancée par une candeur et des mécanisme plus romanesque assumée (les machinations sexuelles et financières de Malika), mais reposant avant tout sur une profonde affirmation et croyance dans la sororité. 

Cette sororité transcende les clivages de classe dans la touchante relation Hélène/Malika, cette dernière reconnaissant la solidarité de la femme qui l’a aidé davantage que la bourgeoise qui l’a abandonnée à son sort. Les femmes de tous âges font à leur échelle front face aux manquements des hommes, punissant les plus vils et invitant les autres à se remettre en question sans jamais tomber dans la misandrie. Vincent Lindon est à ce titre bien plus nuancé et intéressant que dans ses récents et trop systématiques emplois de chevalier blanc. Catherine Frot est épatante également mais la grande révélation reste Rachida Brakni, impressionnante d’intensité et de détermination. Elle pose les mots les plus crus et affirmés sur les maux illustrés par Coline Serreau, rend palpable la teneur du message qui grâce à sa prestation ne se perd jamais dans la facilité. Chaos est un film choc dont le propos coup de poing s’avère encore plus moderne aujourd’hui qu’à l’époque de sa sortie. 

Sorti en bluray chez Tamasa

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