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jeudi 4 avril 2024

Future Memories: Last Christmas - Mirai no Omoide: Last Christmas, Yoshimitsu Morita (1992)

Yuko est une mangaka qui peine à connaître le succès dans son travail. La veille de Noël, elle rencontre Ginko, une diseuse de bonne aventure. Les deux femmes échangent leurs numéros de téléphone. Le lendemain, Yuko décède lors d'une partie de golf... pour se réveiller dix ans plus tôt, un matin de 1981. Elle rend visite à son éditeur et lui présente l'ébauche d'un manga qu'elle n'a pas écrit, mais qui est promis à devenir un grand succès de l'année 1991. Devenue une star du manga, Yuko recroise le chemin de Ginko.

En 1989 Yoshimitsu Morita réalise Kitchen, adaptation de l’immense best-seller éponyme de Banana Yoshimoto. Sur le papier il s’agit d’une adaptation très fidèle du coming of age mélancolique mais lumineux de Yoshimoto. Mais le film par la stylisation extrême de ses décors et le jeu maniéré frisant la niaiserie des acteurs créaient une sorte de distanciation ironique par rapport au matériau original. Kitchen semblait formellement l’aboutissement de toute un jeu sur l’esthétique luxuriante du Japon de la bulle économique, mais quand dans de précédent film l’ironie naissait du contrepoint tragique des récits, Kitchen semblait comme constamment au second degré, comme en porte à faux volontaire du roman. Le réalisateur semblait arrivé au bout d’une certaine approche.

Future Memories : Last Christmas réalisé trois ans plus tard, sera le dernier film de Morita avant une longue pause de quatre ans après laquelle il se réinventera avec le magnifique Haru (1996). Future Memories : Last Christmas marque ainsi le stade terminal du Morita des années 80, mais pose aussi les germes des grands films à venir comme Haru et Lost Paradise. Il s’agit de l’adaptation d’un manga de Fujiko F. Fujio, qui entre le conte faustien et la relecture du Christmas Carol de Charles Dickens, dépeignait la seconde chance d’un vieil homme rajeunissant et voyant ainsi la possibilité de mener une vie différente. Morita remanie cette trame originale en usant le procédé pour deux héroïnes, le voyage dans le temps remplaçant le rajeunissement. Nous allons ainsi suivre Yuko (Misa Shimizu), une jeune mangaka venant de subir un énième échec, et Ginko (Shizuka Kudo) quant à elle en échec sentimental. Les deux femmes se rencontrent et se lient d’amitié un soir de noël, partageant leurs déconvenues respectives. Peu de temps après, la mort les frappe chacune leur tour de manière inattendue, mais elles vont ressusciter dix ans plus tôt, à l’époque précise où leur destin a basculé.

Parsemé de tubes FM internationaux (le Last Christmas de Wham en boucle, le bien nommé Time after Time de Cyndi Lauper, Open you heart de Madonna), le film baigne dans une imagerie 80’s luxuriante et tape à l’œil, tant au niveau des décors que des tenues vestimentaires et des coiffures. Le maniérisme kitsch est poussé à son maximum, sans la maitrise des grands films des années 80, mais sans non plus ce sentiment de distance dérangeant dans Kitchen. Cette dichotomie vient du caractère des héroïnes, qui ne sont plus les jeunes filles naïves de leurs malheurs initiaux (la temporalité du récit oscille entre 1981 et 1991) mais qui n’assument pas non plus l’attitude adoptée au cours de cette « seconde chance ». Connaître le futur ne permet pas de changer leur passé sur des détails (un rendez-vous professionnel avancé, suivre un homme plutôt qu’un autre lors d’un speed-dating), mais cela est possible en adoptant le cynisme de la bulle économique, en ne réfléchissant plus que pour sa réussite matérielle. Yuko plagie ainsi un manga pas encore paru mais dont le style sera à la mode, et Ginko s’enrichit dans le monde des affaires.

Morita excelle à faire accepte le principe farfelu de cette fable en jouant sur le mélange de croyance et de kitsch de la magie de noël. Le phénomène de « réincarnation » s’impose de manière fulgurante, par l’image et sans explications, et on l’accepte après quelques moments de stupeur. Le réalisateur nous y prépare cependant par le faste irréel de ses décors, notamment l’incroyable reconstitution de l’horloge Hattori dans le quartier tokyoïte de Ginza. La photo de Yonezô Maeda baigne dans un filtre diaphane tout en néons féérique durant les scènes de noël en 1991, et adopte une gamme chromatique papier glacée et publicitaire dans son choix du pastel, bleu ciel ou blanc immaculé tout droit sorti d’une revue de mode dans la partie 1981. L’introduction s’attarde longuement sur des scènes dont la redite (Yuko éconduite par un éditeur pour son manga, Ginko rudoyée par son époux) prendra une grande importance par la suite.

Malgré la correction financière de leur destin, nos deux héroïnes restent pourtant malheureuses. En copiant le travail d’une autre, Yuko a renoncé à son identité artistique et Ginko s’est perdue dans sa quête de profit. En rencontrant chacune un homme qui leur plaît, elles craignent désormais que ce bonheur soit éphémère alors que se rapproche la date de leur première « mort ». Morita renoue donc avec ses questionnements sur la quête de réussite dans le Japon ultracapitaliste des années 80, mais en faisant le choix d’héroïnes son regard ne se fait pas aussi désabusé qu’avec des protagonistes masculins. Les grands rôles féminins, du moins au centre de l’intrigue, n’était pas si nombreux dans ses films des 80’s tandis que la suite de sa filmographie regorge d’héroïnes et de performances d’actrices extraordinaires (Eri Fukatsu dans Haru, Hitomi Kuroki dans Lost Paradise (1997) Shinobu Otake dans The Black House (1999). S’il cède à quelques gimmicks de mélo un peu forcé (l’interminable attente finale à l’aéroport), Morita annonce l’approche purement émotionnelle, intimiste et sensitive de ses œuvres à venir. Il a un pied dans le blingbling des années 80, et l’autre dans la redescente, la gueule de bois de la récession des nineties. 

En faisant en définitive le choix d’être elles-mêmes par leur aspiration intime plutôt que par leurs richesses visibles, Yuko et Ginko accèdent au vrai bonheur. Tout le risque de guimauve sirupeuse est estompé par l’habile jeu de répétition du scénario. En début de film, Yuko adopte une mine affectée face au refus de son travail par l’éditeur. Lors de sa seconde vie, elle n’arrive pas à exprimer la joie lors de cette même scène car sachant son travail plagié grâce à sa prescience. Et enfin lorsqu’elle parvient à être acceptée avec un nouveau manga personnel qu’elle a retravaillé, elle parvient enfin à exprimer une félicité sincère et démonstrative. Morita travaille un découpage subtil entre variation et répétition à travers ses cadrages, les nuances du jeu de l’actrice. Cela fait merveille sur ce moment ainsi que, dans une moindre mesure, une scène de dispute conjugale de la première vie devenant un joli moment de complicité amoureuse pour Ginko.

Une œuvre vraiment intéressante dans ce qui s’y joue pour le réalisateur, même s’il ne faudra pas être allergique à sa tonalité surannée et son esthétique rutilante. 

Pour les parisiens visibles actuellement à la Maison de la Culture du Japon dans le cadre de la rétrospective consacrée à Yoshimitsu Morita

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