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dimanche 18 septembre 2022

Les Chiens de guerre - The Dogs of War, John Irvin (1980)


 Jamie Shannon est un mercenaire de renom. Son job : parcourir le monde et participer à toutes les guerres qui peuvent l’enrichir. Il vient d’accepter la mission la plus dangereuse de toute sa carrière : organiser un putsch au Zangaro, État africain gouverné par un dictateur sanguinaire. Pour remplir son contrat, il doit recruter une équipe de dangereux mercenaires… de véritables chiens de guerre.

Le film de « mercenaires » est un sous-sous genre du film de « commando », lui-même dérivé du film de guerre. Cette figure du mercenaire est devenue avec le temps un élément pittoresque et insoumis synonyme de cinéma d’action décomplexé pouvant se marier à d’autres genre comme le fantastique avec Predator (1987), mais surtout dénuée de sa dimension politique dans des œuvres comme L’Agence tous risques (la série et l’adaptation cinématographique qui en fut tirée). Cette mue du film de guerre vers le divertissement spectaculaire et ce mélange des genres ne sont pas nouveaux. Le Hollywood classique avec un pétaradant Sabotage à Berlin de Raoul Walsh (1942), les films de commandos des années 60 comme Quand les aigles attaquent de Brian G. Hutton (1968) empruntent cette voie. Le film de mercenaire avant sa veine d’entertainment contemporaine (The Expendables de Sylvester Stallone en tête) est un cas plus particulier, du fait de la politisation obligatoire de son propos dans la période où en seront produit certains fleurons. Vera Cruz de Robert Aldrich (1954) ou Les Professionnels de Richard Brooks (1966) intègre le mercenaire au western pour parler de maux bien contemporains comme la perte d’âme au service du profit ou encore l’interventionnisme américain sous-terrain en Amérique du Sud – à l’inverse Les Sept mercenaires de John Sturges (1960) ne déborde pas de son statut de divertissement. 

Les purs films de guerre intégrant des mercenaires s’inspirent des soubresauts politiques d’alors, plus particulièrement en Afrique noire agitée aux lendemains de l’indépendance coloniale par l’influence et la corruption occidentale, ainsi que les anciennes guerres ethniques favorisant les massacres et le défilé au pouvoir de dictateurs sanguinaires. C’est un cadre qui guide le féroce Le Dernier train du Katanga de Jack Cardiff (1968) ou encore Les Oies sauvages de Andrew V. McLaglen (1978). Si ces films instaurent certains clichés tels le mercenaire rigolard décimant les autochtones cigare au bec, ils travaillent aussi certains vrais questionnements moraux des protagonistes sur la motivation, la nature de leurs actes. Les Chiens de guerre est un descendant naturel de ce que ces films ont de meilleur, car baigné en plus de l’angoisse et des doutes des années 70. 

Le film adapte le roman éponyme de Frederick Forsyth publié en 1974. Forsyth dans ses ouvrages d’espionnages est dans une profonde volonté de réalisme, ce pourquoi il se nourrit de ses expériences et va régulièrement se documenter sur le terrain. Son premier succès littéraire Le Chacal (adapté au cinéma par Fred Zinnemann en 1973) s’inspire d’un contexte – les tensions autour de la Guerre d’Algérie et l'attentat du Petit-Clamart contre le général De Gaulle, le 22 août 1962 - qu’il a observé de près lorsqu’il fut correspondant de l’agence Reuters à Paris. Les Chiens de guerre fait preuve de la même rigueur puisque reposant sur la couverture de la guerre du Biafra (au Nigéria) que Forsyth couvrit pour la BBC en 1967. Constatant le rôle trouble des occidentaux dans le conflit et la volonté de la BBC de biaiser ses retours où il prend parti pour la cause biafraise, Forsyth qui la BBC. Lorsqu’il se documentera durant l’écriture de Les Chiens de guerre, Forsyth infiltre le milieu du trafic d’armes à Hambourg et leur fait miroiter la possibilité d’un coup d’état dans un pays d’Afrique, avant d’être trahi par sa photo en quatrième de couverture de l’édition allemande du Chacal qui l’oblige à interrompre son immersion. L’adaptation cinéma a la sagesse de creuser le même sillon tangible à tous les niveaux. John Irvin dont c’est le premier film après avoir officié sur la télévision britannique remplace un Don Siegel initialement envisagé mais qui n’aimait pas le script. Michael Cimino sera également envisagé avec Clint Eastwood et Nick Nolte au casting, mais il choisira finalement de faire La Porte du Paradis (1980). Cependant Irvin fut auparavant documentariste et amené à couvrir la guerre du Vietnam, ce qui lui confère une certaine aptitude à filmer de façon rigoureuse (ce que confirmera sa filmographie à suivre avec des réussites comme Hamburger Hill (1987)) les séquences guerrières. 

Enfin, le directeur photo Jack Cardiff fut comme évoqué plus haut le réalisateur d’un des fleurons du film de mercenaire avec Le Dernier train du Katanga et ajoute encore à cette approche réaliste. On va suivre ici Jamie Asheton (Christopher Walken), mercenaire chevronné et pétri de contradictions. Le film s’ouvre sur une mission s’achevant dans le chaos en Amérique du Sud où le mélange d’adrénaline, de chaos et de désolation offre un instantané spectaculaire et cinglant de cette vie de bras armé des plus offrant. Ces aptitudes semblent incompatibles à la vie civile comme le montre un quotidien morne où néanmoins le temps d’une séquence, l’ambiguïté d’Asheton s’illustre. Interpellé par un jeune gamin noir lui faisant la mendicité, Asheton lui fait porter ses courses jusque chez lui avant de le récompenser d’une pièce. Une forme de réelle empathie se devine tout en nous faisant bien comprendre que rien ne s’offre à nous gratuitement, il faut savoir monnayer une action, une compétence, un savoir-faire pour s’en sortir. Cette ambiguïté naît aussi du contraste entre le cadre austère de son quartier, son appartement, et la tension qui émane du personnage à travers ce regard psychotique de Christopher Walken. Le désir d’une vie rangée mais sans éclat s’oppose ainsi à l’appât du gain et certainement une vraie addiction au souffre du champ de bataille. Asheton se ment à lui-même sur l’attente du premier point et son entourage (l’ancienne fiancée qu’il retrouve le temps d’une nuit, son ami médecin qui recense ses multiples blessures passées) n’en est que trop conscient.

L’expérience de Forsyth se ressent grandement durant la partie où Asheton infiltre la contrée africaine imaginaire du Zangaro. Travail d’observation subtil où il s’agit de louvoyer sans s’attirer les foudres des autorités, corruption ordinaire, sentiment de paranoïa dès la moindre interaction avec les autochtones, John Irvin manie parfaitement l’ironie et le suspense durant cette péripétie à la conclusion douloureuse pour notre héros. La description des commanditaires pourra paraître grossière mais est finalement en adéquation avec le cynisme carnassier des occidentaux capitaliste plaçant leur pion dans ces pays, tout comme l’excentricité arrogante du colonel Bobbi (George Harris) aspirant dictateur. John Irvin allie d’ailleurs ces figures monstrueuses visibles à celle secrète du président du Zangaro, longtemps invisible mais dont la mégalomanie et la folie imprègnent les pérégrinations d’Asheton. Le film tout en assumant le cliché de ces frères d’armes jamais aussi dans leur élément que durant les préparatifs/exécutions bien aidé notamment par son casting hétéroclite et buriné (Tom Berenger, Paul Freeman, Jean-François Stevenin), dépeint à l’échelle collective le sentiment de attirance/répulsion pour ces joutes guerrières rémunératrices. Cependant Irvin n’assène jamais et reste dans l’efficacité pour exprimer cela, que ce soit le dialogues cinglants et machistes (Paul Freeman préférant le front à l’ennui auprès de sa femme enceinte) ou l’excitation de l’assaut final. 

Le réalisme, les manœuvres savamment exécutées et la violence sèche sont dans cette notion de réalisme témoignant du professionnalisme du groupe, tout en y incluant une pyrotechnie plus outrée cherchant à traduire cette exaltation, cette épreuve du feu où peuvent faire parler leurs bas-instincts. Christopher Walken tutoie l’intensité de sa prestation de Voyage au bout de l’enfer dans ces instants, le regard halluciné qui ne se raccrochera que de justesse à son humanité. C’est également un réveil de conscience qui court en fil rouge tout au long du film pour le personnage et qui se concrétise pour un coup d’éclat final qui rabat les cartes et rétablit un certain équilibre entre la manipulation occidentale et le souverainisme local. Néanmoins le doute demeure quant à l’issue de cette action, plus de justice ou nouvel enrichissement des puissants ? Les Chiens de guerre marie à merveille dans une œuvre sèche et directe toutes les contradictions d’un système et de ses individus. 

Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez L'Atelier d'images

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