Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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dimanche 18 août 2013

Un, deux, trois - One, Two, Three, Billy Wilder (1961)


En 1961, pendant la "Guerre froide", C.R. MacNamara, représentant à Berlin-Ouest de la Société Coca-Cola, ambitionne d'en devenir le directeur en Europe, et d'introduire la boisson derrière le "rideau de fer"1. Son patron, Wendell P. Hazeltine, lui demande de s'occuper de sa fille, Scarlett, qui fait un séjour en Europe. Mais la jeune femme disparaît, puis revient accompagnée d'un militant communiste, Otto Ludwig Piffl, qu'elle présente comme son mari...

Billy Wilder avait conclu les 50’s et débuté les 60’s au sommet de son art avec ce qui reste deux de ses films les plus populaires, Certains l’aiment chaud (1959) et La Garçonnière (1960). Ce dernier fut en plus un triomphe critique récompensé par cinq Oscars dont ceux du meilleur film, réalisateur et scénario original. Ainsi consacré, Wilder ouvre la décennie par des films aux sujets audacieux avec la farce politique Un, deux, trois (1961), Irma la douce (1963) ayant pour cadre le milieu de la prostitution et la comédie adultère Embrasse-moi, idiot (1964). Si Irma la douce parait désormais un peu poussif et vieillot, les deux autres films sont de grandes réussites mais portent en germe les mêmes « défauts » qui causèrent l’échec de son essai le plus provocateur, Le Gouffre aux chimères (1951). 

Dans ce brûlot sur l’ambition et la foire médiatique, Wilder avait poussé la noirceur trop loin, s’aliénant toute empathie possible pour le public avec des personnages plus détestables les uns que les autres malgré le revirement final du journaliste joué par Kirk Douglas. Pourtant tout l’art de Wilder repose justement sur l’équilibre entre l’audace de ses sujets et la délicatesse, la finesse de leur traitement qui font passer toutes les provocations. Le réalisateur a justement perdu cet équilibre dans Un, deux, trois et Embrasse-moi idiot, trop extrême et provocateurs dans leurs traitement et qui rencontreront l’incompréhension du public voire s’attireront les foudres de la censure (surtout le second). 

Wilder avec Un, deux, trois semble comme donner une version déjantée de Ninotchka (1939), classique de son mentor Lubitsch dont il signa d’ailleurs le scénario. Dans celui-ci, comédie romantique et farce politique s’entremêlaient avec une Greta Garbo en communiste psychorigide qui se déridait en tombant amoureuse d’un suppôt frivole du capitalisme incarné par Melvyn Douglas et le film opposait avec brio l’austérité du régime communiste avec la vie joyeuse de la communauté parisienne représentant l’Ouest.  Un, deux, trois s’inscrit dans un contexte bien plus explosif avec la Guerre Froide renforçant le conflit idéologique entre les Etats-Unis et l’URSS et le cadre du rideau de fer coupant Berlin en deux bien que le Mur n’ait pas encore été construit. 

Si l’émotion de Ninotchka n’a pas sa place ici, le grotesque est poussé très loin pour notre plus grande hilarité avec un scénario bien délirant. Ambitieux représentant de la marque Coca Cola installé à Berlin-Ouest, C.R. Mac Namara (James Cagney) rêve de devenir le directeur Europe de la firme.  L’occasion de bien se faire voir lui est donné avec l’arrivée de la fille écervelée et séductrice de son patron à Berlin et qu’il est chargé de surveiller. Malheureusement pour lui, la jeune délurée va s’amouracher d’un jeune militant communiste et même l’épouser à son insu. Mac Namara va donc devoir résoudre la situation alors que les parents s’apprêtent à venir chercher leur fille.

Wilder fait feu de tout bois et renvoie tout le monde dos à dos à coup de dialogues vachards,  gimmicks délirants et de gags extravagants.  Les américains sont donc des ignares incultes pour qui l’Europe se résume à un marché à conquérir, et pour qui tout ce qui est rouge où s’en rapproche est synonyme d’abomination (avec le patron de Coca Cola à l’accent de Géorgie trainant représentant à lui seul toutes ces tares). Les allemands ont tous un passé plus ou moins supposé douteux et en ont gardé des habitudes de disciplines sources de running gag tordant comme cette fâcheuse et récurrente habitude de claquer les talons au moindre ordre. 

Enfin, les russes se partagent entre les hypocrites ne rêvant que de passer à l’Ouest (le trio de notable évoquant ceux de Ninotchka justement) et les fanatiques enragés à l’image du fiancé à la morale janséniste joué par un Horst Buchholz hystérique.  Le rythme est absolument éreintant et une vision ne suffira pas pour dénombrer tous les bons mots et situations folles à l’image de cette interrogatoire communiste où la torture se fait à l’écoute de disque de rock’n’roll ! Les seconds rôles sont également mémorable avec l'assistant malmené Schlemmel et la très sexy secrétaire jouée par Liselotte Pulver.

Cette frénésie est symbolisée par la prestation survoltée à la De Funès de James Cagney, véritable pile électrique à l’énergie et au débit impressionnant (mais qui regrettera l’hystérie exigée par Wilder dans sa performance). C’est le personnage le plus lucide du film, s’accommodant des velléités politique de chacun tant qu’il peut en tirer profit quand les autres sont soit trop butés dans leur convictions ou trop facilement corruptibles.  D’ailleurs notre jeune militant ne semble pas si mal à l’aise au final une fois peigné et habillé en produit moderne du capitalisme lors de la conclusion, constat cynique que toute idéologie est sans doute monnayable même chez les plus fervents.

Le film rencontrera quelques problèmes au vu de sa citation explicite de la marque Coca-Cola, Wilder recevant même un appel inquiet d’une Joan Crawford membre du conseil d’administration depuis la mort de son époux Alfred Steele, ancien directeur marketing de la firme. Finalement, Wilder devra simplement retirer le logo de l’affiche initiale du film et trouvera même le moyen de citer Pepsi lors de l’hilarante séquence finale. Wilder signe un de ses films les plus drôles et après cette variante dégénérée de Ninotchka, il rendra de nouveau hommage à Lubitsch avec Embrasse-moi idiot qui cette fois offrira un pendant provocateur à Ange (1937) avec l’adultère comme motif de réconciliation. 

Sorti en dvd zone 2 français chez MGM  et le film ressort en salle en ce moment

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