Sur une île au large de la Nouvelle-Angleterre, au cœur de l’été 1965, Suzy et Sam, douze ans, tombent amoureux, concluent un pacte secret et s’enfuient ensemble. Alors que chacun se mobilise pour les retrouver, une violente tempête s’approche des côtes et va bouleverser davantage encore la vie de la communauté.
Après avoir su si bien dépeindre l’inaptitude de grands
enfants au monde des adultes, Wes Anderson inverse les points de vue pour
exprimer cette même idée avec ce qui est sans doute son plus beau film. Pétris
de traumas et de névroses, les adultes cherchant à conserver leur innocence et
une âme rêveuse sont souvent cruellement rattrapés par la réalité chez Wes
Anderson. Le réalisateur retourne ainsi aux sources de cette candeur avec ce Moonrise Kingdom bercé de ce parfum
d’enfance à travers la romance de son couple juvénile.
Dès la magistrale scène d’ouverture, enfance et âge adulte
s’entrecroisent avec ses suites de travelling et de mouvements de caméras
verticaux traversant cette demeure semblable à une maison de poupée tandis que
la bande-son illustre ce délicat équilibre entre ludique (l’initiation aux
instruments d’orchestre de l’extrait de The
Young Person's Guide to the Orchestra de Benjamin Britten) et parfum
tragique avec le pesant thème de Purcell ainsi décortiqué.
Le fait de situer l’intrigue sur une île et en
1965 illustre la volonté d’Anderson de créer une sorte de monde magique et
désuet hors du temps, autant dans la passion naïve de ses héros que dans la
société stricte où ils vivent. Suzy (Kara Hayward) et Sam (Jared Gilman) sont
les dignes petits frères et sœurs de la Margot (Gwyneth Paltrow) de La Famille Tennenbaum (2001).
Tous deux
sont trop anormaux, rêveurs et créatifs, hors des moules bien établis et
étrangers dans leur propre famille quand ils ne sont tous simplement pas
orphelin comme Sam. Face leur excentricité, ils ne rencontreront que l’incompréhension
(Suzy découvrant l’ouvrage sur les enfants perturbés que consultent ses
parents, la famille d’accueil refusant de reprendre Sam et une action sociale n’ayant
que la répression des électrochocs à proposer) et c’est tout naturellement nos
deux asociaux vont se reconnaître et tomber amoureux lors d’une scène de coup
de foudre d’un charme confondant. Leurs but maintenant, s’offrir un moment
intime et inoubliable loin de ce monde qui n’a jamais su les comprendre.
Tout cela est progressivement dévoilé dans une
remarquable introduction où nous est présentée de manière décalée cet univers trop
organisé, trop étriqué (le camp de scouts et son travelling accompagnant l’inspection
du chef Edward Norton homme enfant typique de Wes Anderson) tandis que Sam et
Suzy se découvrent et s’aiment en pérégrinant à travers la nature jusqu’à
trouver leur havre de paix, à l’autre bout de l’île, cette fameuse plage
oubliée « Goulet de marée au mile 3.25 » qu’ils vont rebaptiser
Moonrise Kingdom. Wes Anderson trouve le ton idéal pour nous attacher à ces
enfants et leur romance.
Le décalage est constant entre leurs traits enfantins
et une détermination toute adulte, leur bizarrerie et amour l’un pour l’autre
leur confèrent une distance sur le monde à travers un cocon et une communion qu’ils
ne souhaitent pas voir brisés. La découverte des premiers émois sur la plage
est ainsi une petite merveille, la passion est authentique tout en ajoutant
toujours la petit touche amusée nous rappelant le jeune âge des amoureux (Suzy
s’excusant et déclarant que sa poitrine est amenée à pousser).
Les deux acteurs sont parfaits, faisant preuve
d’une conviction sans faille où Anderson n’en fait pas des adultes dans des
corps d’enfants mais des amoureux sûrs de leurs sentiments. Le réalisateur en
fait des enfants ordinaires aux visages poupins tout en les caractérisant avec
son sens inné du détail qui en fait de véritables petites icônes. La tenue de
scout de Sam, la pipe qu’il fume avec assurance joue de ce côté acidulé tout
comme la robe rose de Suzy, l'ombre à paupière turquoise lui servant de maquillage
et ses jumelles qui la quitte jamais.
Cette facette joue autant pour dépeindre
leur monde intérieur (les livres que lit Suzy dont les couvertures et les
passages furent spécifiquement créés pour le film) que pour magnifier leurs
scène communes : la photo et le zoom façon scopitone avant leur plongeon
dans le lac, le travelling qui les suit se prélassant sur la plage ou encore l’irruption
fort à propos de Françoise Hardy et son Temps
de l’amour.
Les adultes s’étant perdu en chemin et ayant renoncés à tout
offre un contrepoint cruel à cette délicieuse romance. Le couple légitime Bill
Murray/Frances McDormand n’a plus que des questions professionnelles à échanger
dans le silence de leur chambre à coucher et celui illégitime entre Bruce
Willis et Frances McDormand illustre ce même renoncement à travers des échanges
ternes et sans passion. Jamais Suzy et Sam n’abandonneront ainsi leurs rêves et
même après avoir été capturés relanceront la course poursuite pour ne jamais
être séparé.
Wes Anderson laisse définitivement le rêve contaminer son film
dans la dernière partie et on ressent l’influence énorme qu’a eue son échappée
dans l’animation avec Fantastic Mr Fox
(2009). L’esthétique de Moonrise Kingdom
semble en effet tout droit sortie d’un livre d’enfant à la Roald Dahl justement
, le peu de raccords et les mouvements de caméra semblant constamment comme
balayer les illustrations d’une page à l’autre. La palette de couleurs à
dominante jaune et verte et la photo teintée de Robert D. Yeoman ajoutent à cette dimension
rêvée et onirique.
Nous sommes dans la
grande aventure désuète à la Enid Blyton et revenu au temps de la Bibliothèque
Rose pour des péripéties de plus en plus extravagantes. La foudre, la tempête
et les flots ne pourront pas séparer Suzy et Sam, pas même un antagoniste
rouquin malveillant (rappelant le Rat de Fantastic
Mr Fox dans sa fonction dans le récit) et c’est l’adulte le plus conscient
de ce qu’il a perdu (Bruce Willis merveilleux de vulnérabilité, son meilleur
rôle récent) qui saura résoudre le conflit dans une merveille de final
alternant mélodrame et imagerie cartoonesque.
L’épilogue sobre et toujours aussi romantique laissera au spectateur un sourire béat tout en distillant un sentiment nostalgique sur un fondu enchaîné entre une peinture puis la vraie plage du Moonrise Kingdom. Les révolutions culturelles à venir feront de la singularité de nos amoureux un atout, mais ce doux parfum d’innocence de leurs aventures de l’été 1965 restera elle indélébile. Certainement le plus beau film de 2012 et le chef d’œuvre de Wes Anderson.
Sorti en dvd zone 2 et en blu ray chez Studio Canal
Je partage avec vous le sentiment que son escapade du côté de chez Roald Dahl a été profitable à Wes Anderson, et l'a encouragé à cette sorte de retour aux sources qu'est Moonrise Kingdom; c'est ce que j'avais essayé d'exprimer dans cette petite chronique: http://tororoshiru.blogspot.fr/2013/02/a-little-electronic-metronome-sets-time.html.
RépondreSupprimerBravo pour votre billet ça donne très envie de lire du Steven Millhauser ! Pour vous ça concerne plus tout son cinéma moi c'était plus au niveau de "A bord du Darjeeling" qu'Anderson s'était un peu mis à ronronner et effectivement "Fantastic Mr Fox" a complètement redynamiser son imaginaire et sa manière de filmer.
RépondreSupprimerSon sens du détail, son fétichisme des objet et le côté vintage faisait vraiment merveille dans l'adaptation de Roald Dahl et il a enfin (c'était plus intermittent avant même dans ses meilleurs films) réussi à retranscrire cette énergie dans un film live avec "Moonrise Kingdom".
Et tout cela en maintenant une vrai émotion à fleur de peau (alors que ce fétichisme amenait presque de la froideur au bout du compte dans "Rushmore") puisque tout ce sens du détail souligne constamment ce monde de l'enfance. Il a vraiment réussit à transcender sur ses 2 derniers films toutes les qualités qui font son cinéma.
Je parlais là de Fantastic Mr Fox justement
http://chroniqueducinephilestakhanoviste.blogspot.fr/2013/07/fantastic-me-fox-wes-anderson-2009.html
Et là de la Famille Tenenbaum où un lecteur a fait un rapprochement très intéressant entre l'univers de Wes Anderson l'oeuvre de J.D. Salinger
http://chroniqueducinephilestakhanoviste.blogspot.fr/2013/06/la-famille-tenenbaum-royal-tenenbaums.html
Donner envie de lire Millhauser? Tant mieux, c'était un peu ça l'idée!
RépondreSupprimerVotre réaction me fait plaisir.
Bien que ce billet ait été rédigé dans l'ambiance d'euphorie résiduelle laissée par le visionnage de Moonrise Kingdom (j'espère que cela se devine!), j'ai donné plus de place à Milllhauser qu'à Anderson: si le premier a une solide base de fans (et ce n'est sûrement pas Moonrise Kingdom qui lui en fera perdre) je trouve qu'on ne lit pas assez le second.