Une candide et
innocente princesse allemande, dénommée Catherine (Elisabeth Berger), arrive en
1745 en Russie pour épouser le lunatique héritier au trône Pierre III (Douglas
Fairbanks Jr.) sous l’impulsion de l’impératrice Elisabeth (Flora Robson). Mais
le grand-duc a un comportement indigne et méprisant vis-à-vis de sa moitié, ce
qui n’empêche pas le peuple russe de se prendre d’affection pour la jeune
femme. Alors que guerres et révoltes grondent, la quête de Catherine de Russie
vers le pouvoir et la liberté commence.
Avec La Vie privéed'Henry VIII (1933), Alexander Korda avait enfin rencontré un immense
succès l’imposant au sein de l’industrie britannique et prouvant la viabilité
d’un cinéma anglais exportable à l’international au vu de l’accueil triomphal
aux Etats-Unis, Charles Laughton recevant notamment l’Oscar du meilleur acteur.
Désireux de reproduire la fructueuse formule de cette réussite inaugurale,
Korda se lancera ainsi dans un cycle de grands biopics de personnage illustres
où la petite Histoire vient souvent s’inviter dans la grande.
Suivront ainsi La Vie Privée de Don Juan (1934) et Rembrandt (1936) tandis que Catherine de Russie, deuxième film de la
série sera le seul qu’Alexander Korda ne
réalisera pas, laissant cette tâche à son compatriote hongrois Paul Czinner.
Néanmoins la reconnaissance de La Vie
privée d'Henry VIII aura semble-t-il
donné confiance à Korda puisque la rumeur veut que suite à des
désaccords il ait officieusement dirigé une grande partie du film, Czinner se
contentant de réaliser les scènes où figure son épouse Elisabeth Bergner.
Le film est bien sûr une version romancée du destin de
l’impératrice Catherine II de Russie, mais qui diffère grandement de L’Impératrice Rouge (1934) de Josef Von Sternberg sorti la même année et
traitant du même sujet. L’œuvre de Von Sternberg, tout à la gloire de Marlene
Dietrich en faisait un personnage bien plus actif, séducteur et comploteur ce
qui est bien plus proche de la réalité historique d’une Catherine II qui se
hissa au pouvoir à force d’intelligence en ayant été constamment sous-estimée
par tous. Cette noirceur contrebalancé à
la flamboyance visuelle du film donna un résultat mémorable mais nuisant à
l’empathie et causa l’échec commercial du film.
Catherine de Russie prend
un angle nettement plus romanesque et suscitant un plus grand attachement pour
son héroïne. Catherine y est décrite comme une sorte de Marie-Antoinette ayant
su prendre son destin en main. Les analogies sont nombreuses et simples à
effectuer : une princesse adolescente plongée au sein d’une cour
étrangère, délaissée par un époux et futur souverain immature tandis que le
mécontentement et la révolte gronde au sein du peuple. L’allure frêle et les
manières gauches d’Elisabeth Bergner donneront l’impression d’un agneau jeté
dans la fosse aux lions lorsqu’on la découvrira après avoir assisté à la
débauche dans laquelle vit Pierre III (Douglas Fairbanks Jr) et l’autorité
implacable qu’impose l’Impératrice Elisabeth (Flora Robson) à sa cour.
La
manière d’introduire ces derniers les définit d’emblée dans l’histoire,
l’égoïsme et l’âme torturée de Pierre III s’exprimant déjà tandis que les
maltraitances et les vociférations d’une Flora Robson lui confère une vraie
sympathie et une aura finalement maternelle (voir ce moment où le malheureux Bestujhev
est rudoyé puis cajolé par l’impératrice). Flora Robson figure finalement ce
que doit être une souveraine pour le peuple russe, une mère qui le
comprend et lui ressemble (un dialogue de Douglas Fairbanks jr la dénigre et l’encense
indirectement sur ce point en début de film) avec ses défauts et qualités.
Cette compassion et empathie, Catherine les possède mais
devra apprendre à les diriger dans la bonne direction. Le thème du film repose
sur le parcours initiatique d’une femme amoureuse devant apprendre à devenir
une femme d’Etat. Le scénario fait ainsi de Catherine une rêveuse qui a
idéalisé et aimé son futur époux, ce qui émouvra Pierre III (Douglas Fairbanks
jr détestable et pathétique dans sa vilenie) mais le machisme et la frustration
d’être privé du pouvoir par sa tante en fera un tyran décadent et égoïste une
fois tsar.
Les efforts de Catherine seront ainsi dans un premier temps pour le
séduire (avec cette amusant moment où elle éveille sa jalousie avec ses 17 « amants,
au passage les dialogues grivois sont légion dans le film) mais il est
sous-entendu que cet amour mérite bien meilleur dépositaire tant notre héroïne
semblera dans les moments légers comme dramatique bien plus préoccupée du sort
du pays.
Pourtant elle défendra son homme malgré les appels des partisans au
coup d’état, jusqu’à l’humiliation de trop et le choix de l’amour de tout un
peuple plutôt que celui d’un égoïste qui ne la mérite pas. La crise de larmes
avant l’ultime décision ne trompe pas, Catherine se répétant « Ne suis-je
pas une femme qu’on peut aimer ? ».
La prise de pouvoir de Catherine
est ici bien moins flamboyante que le fondu enchaîné épique qui la consacrait
dans L’Impératrice Rouge mais bien
plus poignant. Ce n’est plus l’épouse aimante mais la mère de la nation qui
assènera un discours galvanisant au peuple lui faisant un triomphe. Czinner et
Korda en font une quasi sainte arrivant au pouvoir malgré elle. Elisabeth
Bergner est fabuleuse pour exprimer cette progression qui passe grandement par
son allure vestimentaire.
Ces atouts purement féminins et séducteur vus lors de
sa première apparition avec celle robe blanche dévoilant ses bras nus et son
cou s’estompent peu à peu alors qu’elle prend la mesure de sa fonction tout au
long du film (cette tenue militaire où elle s'identifie à son armée et gagne son affection) qu’elle conclut en robe noire (l’innocence de la robe blanche
initiale a disparu) ne laissant plus paraître que son seul visage pâle où sa
blondeur lui confère ce côté immaculé, bienveillant mais où transparait cette autorité
souveraine. Petite silhouette au milieu des militaires, on ne voit pourtant qu’elle, s'imposant dans le vaste décor alors qu'elle s'y perdait en début de film.
Loin encore du gigantisme des fresques plus nanties à venir comme son Lady Hamilton (1941), on reste ici dans
la lignée de La Vie privée d'Henry VIII où
la réussite plastique sert constamment la facette intimiste avec cette équipe
hors-pair (que l’on retrouvera dans de nombreuses fresques à venir de Korda)
mettant idéalement en valeur cette belle reconstitution : les décors
fabuleux de Vincent Korda, la photo de George Perinal ou encore une des rares
bande originale de film du grand Irving Berlin. Tous ces élément sont mis en
valeur dans des velléités dramatique plus que pour l’épate tel l’arrestation de
Pierre III où les inserts sur les symboles du pouvoir semble fixer un regard
accusateur sur le tsar dément.
Cette pureté de Catherine s’affiche dans une ultime séquence
où elle apprend déjà le rude prix du pouvoir avec le sacrifice de celui dont
elle a tant essayé de se faire aimer. Le mélodrame et la grande fresque sont
intimement liés dans cette belle réussite qui sera un nouveau triomphe
commercial qui éclipsera la version de Von Sternberg à l’époque (la tendance
semblant s’être inversé avec le temps).
Sorti en dvd zone 2 français chez Elephant Films dans la collection Cinema Master
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