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lundi 11 février 2019

Les Recrues - La commare secca, Bernardo Bertolucci (1962)


Une prostituée a été tuée dans un parc romain. La police interroge toutes les personnes présentes dans le parc cette nuit-là. Parmi elles, se trouve l’assassin...

Le Bernardo Bertolucci des débuts est incontestablement un jeune homme sous influence dans ses choix artistiques. Ces influences peuvent être politiques, esthétiques et/ou thématiques dans ses premiers films où, talent précoce, il cherche son identité de réalisateur. Les préceptes des Cahiers du Cinéma et l’empreinte la Nouvelle Vague, ainsi que son appartenance au Parti Communiste se font ainsi lourdement ressentir dans Prima della rivoluzione (1964) - où la volonté de se différencier du cinéma italien d’alors témoigne paradoxalement d’un manque de personnalité. Pour Bernardo Bertolucci la vocation de cinéaste naît donc de ce contexte et surtout de rencontres, notamment celle d’Henri Langlois alors qu’il fréquence la Cinémathèque française durant un voyage en France.

L’autre personnage déterminant sera Pier Paolo Pasolini, ami de son père (le poète Attilio Bertolucci) et qui l’engage comme assistant sur Accatone (1961), vraie expérience formatrice pour Bertolucci. Satisfait par cette collaboration, Pasolini confie le sujet de Les Recrues à Bertolucci qui doit en écrire le scénario. Le producteur Antonio Cervi souhaitant surfer sur le succès d’Accatone en achète les droits et impressionné par le script de Bertolucci lui en confie la réalisation – Pasolini ayant préféré aller mettre en scène Mamma Roma (1962). Tout juste âgé de 21 ans, Bernardo Bertolucci signe donc un premier film où plane l’ombre de Pasolini mais, contrairement à Prima della rivoluzione, cette influence ne parasite un récit marquée de l’imagerie pasolinienne. Il saura d’ailleurs par la suite faire de cette incertitude un élément central du récit avec le héros de Le Conformiste (1970), le tumulte idéologique des protagonistes de 1900 (1975) et le déracinement de fresques comme Le Dernier Empereur (1987).

L’apport majeur de Bernardo Bertolucci est la beauté suspendue et la préciosité qu’il amène en opposition à la rudesse de Pasolini dans la vision d’environnements, contextes et protagonistes similaires. On pourrait grandement comparer le film à l’interprétation très personnelle que sut tirer un Mauro Bolognini des scripts de Pasolini qu’il filma, notamment le diptyque romain Les Garçons/  Ça s'est passé à Rome (1959,1960). La narration éclatée façon Rashomon sert ainsi différent portraits entourant le drame de la mort d’une prostituée dans un parc. Différents protagonistes au moment des faits vont ainsi donner leur point de vue, prétexte à exercice de style changeant selon la personnalité du narrateur qui joue sur la notion de répétition et dilatation du temps. Le fil rouge est bien sûr le sort de la malheureuse prostituée, corps inerte et anonyme en ouverture qui gagne en présence et identité par fragments. Cadavre désarticulé puis silhouette lointaine que chaque conteur a du mal à décrire, cette femme n’existe que dans les flashbacks où on l’observe en journée se préparer méticuleusement à sa soirée de « travail ». La mélancolie funeste de ce calme avant l’horreur est magnifiquement capturée par Bertolucci qui introduit une forme d’emphase feutrée dans le quotidien.

On retrouve de cette grâce de l’anodin dans une forme plus insouciante avec l’épisode sur ce soldat du sud (Allen Midgette) émerveillé par la cité romaine et ces jeunes femmes qu’il tente avec maladresse de courtiser. Le caractère solaire et naïf du personnage est retranscrit dans la mise en scène où Bertollucci déploie son lyrisme dans le mouvement. Le travelling sert ainsi à accompagner la tentative de séduction de jeunes travailleuses, puis fige notre soldat dans une galerie où il s’est réfugié avec d’autre d’une averse. La pure rêverie surgit alors d’une tranche de vie simple.
La source pasolinienne surgit par le caractère cru de certaines situations et personnalités le réel transcendé de Bertolucci laisse place à quelque chose de plus trivial et assez drôle. 

Toutes les turpitudes du maquereau entretenu par sa compagne et les empoignades mémorables vont dans ce sens même si Bertolucci y amène sa singularité par différents effets de montages (la bascule des cadres et du temps lors de la dispute avec la belle-mère). Ces variations de ton se conjuguent ainsi à celles météorologiques de cette journée alternant langueur estivale et averse. Une même histoire recèle la candeur de charmantes romances adolescentes pour basculer vers la délinquance avec garçons cherchant à commettre un vol pour payer à repas à leur petites amies. La seule beauté du moment à travers l’harmonie des corps, des sentiments et des lieux permet à Bertolucci de déployer un enchantement où brillent les mouvements de caméra inspirés (le panoramique sur le Tibre), la photo de Giovanni Narzisi et la bande-originale de Piero Piccioni.

Le fil rouge criminel laisse planer un réel beaucoup plus sombre sur ce lyrisme ambiant, et qui se rappelle à nous dans chaque histoire à des degrés divers. La noirceur s’invite ainsi dans la rêverie lorsque le meurtre nous est montré sans fard, et l’arrestation du coupable vient interrompre une scène de bal langoureuse. Bernardo Bertolucci par une approche sensorielle évite les scories qui alourdiront Prima della rivoluzione aux velléités intellectuelles mal maîtrisées. Les expérimentations narratives (toute la fluidité des transitions) de Le Conformiste et ainsi que sa veine romanesque se déploient pourtant déjà de fort belle manière. 

Ressort en salle cette semaine 

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