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vendredi 10 juin 2022

Blow-Up - Michelangelo Antonioni (1966)


 Photographe de mode en vogue, Thomas (David Hemmings) assiste sans le réaliser au meurtre d’un politicien dans un parc londonien. Il découvre détenir en sa possession les photos qui en attestent. La jeune femme immortalisée sur celles-ci, Jane (Vanessa Redgrave), désire qu’il les lui fournisse séance tenante.

Blow-up est la première réalisation de Michelangelo Antonioni hors de son Italie natale, qui le voit prolonger les angoisses existentielles de sa filmographie à l’aune des soubresauts de son époque. Il se délocalise dans ce qui est alors le noyau culturel mondial de la jeunesse, le Swinging London au sein duquel il transpose la trame de la nouvelle Les Fils de la vierge de Julio Cortázar. Le spleen et la mélancolie associés à Antonioni se fondent dans ce monde coloré, hédoniste et juvénile et le pervertissent à travers les pérégrinations du photographe de mode Thomas (David Hemmings). Dès la scène d’ouverture et le déferlement d’une horde de jeunes déguisés en mimes, Londres nous apparaît comme une ville hantée de spectres. Tous les éléments évoquant l’effervescence londonienne nous sommes dépeint comme ternes, répétitifs. Les séances photos de Thomas réduisent les mannequins à des automates auxquels il est impossible d’arracher un sourire, notre héros blasé et solitaire ne semble tirer aucune passion de son métier hormis l’emprise qu’il a sur ses modèles. Mais même cette toute-puissance le lasse et, après avoir laissé entrevoir un soupçon d’autorité excessive, il s’excuse et s’efface pour fuir cette monotonie. La vraie grisaille dont se teinte ce quotidien et cette volonté d’exploiter l’autre chez Thomas se révèle notamment dans les photos volées de sans-abris dont il veut constituer un futur livre, ni par compassion, ni par amour de l’art mais simplement par voyeurisme et narcissisme. 

Antonioni imprègne le film des grandes peurs contemporaines, notamment le spectre de l’assassinat de JFK et sa captation par les images du film Zapruder. L’horreur d’un crime, le mystère de son exécution et de son (ou ses) exécutants se révélaient ainsi aux yeux du monde et en direct, nourrissant les plus grands fantasmes paranoïaques. Ce n’est cependant pas la tension du thriller que recherche Antonioni lorsque Thomas, prenant une photo volée dans un parc londonien, assiste en fait à un crime. Pour cette énigme comme pour le reste, Thomas s’intéresse, scrute, décrypte, puis tergiverse pour retourner à sa langueur. Le réalisateur étire longuement les pérégrinations quelconques de son héros avant de raccrocher à mi-film les wagons d’une possible enquête. Poursuivie par la jeune femme photographiée à son insu (Vanessa Redgrave), Thomas se disperse dans ses intentions envers elle, tour à tour joueur, séducteur ou compatissant. Armée d’un vrai objectif (récupérer le négatif des photos), la jeune femme appartient à un autre film que celui de ces larves languissantes, et ne peut traverser le récit que comme une fulgurance, guidées vers des intérêts supérieur et nébuleux.

Chaque fois que Thomas veut poursuivre cette autre intrigue ancrée dans le réel possiblement politique, ou dans le cinéma de genre porté par les codes du suspense, son apathie le rattrape. Antonioni construit son mystère, non pas sur une tension, mais sur un vide à combler. Thomas prend la fameuse photo après avoir fuit son studio, et l’analyse entre deux moments d’ennuis. Le réalisateur par les possibilités techniques alors impossibles à l’époque, et par son montage subliminal et hypnotique, laisse même supposer que tout le processus d’analyse et d’agrandissement d’image qui conduiront Thomas à suspecter un crime sont de l’ordre du rêve, du fantasme. Lorsque le quotidien ne suffit, plus, il faut le stimuler par le fantasme. C’est littéralement la métaphore de cette série de photos en apparence banales mais au cœur desquels on va repérer un secret, une fantasmagorie. Antonioni fait même d'une contrainte de production un atout. Souhaitant filmer la scène du meurtre en dernier afin de bénéficier d'une rallonge budgétaire par son producteur Carlo Ponti, le réalisateur se voit opposer un refus. Dès lors le meurtre n'existe que dans les bribes que pense en rassembler Thomas dans ses photos, et par conséquent peut-être aussi que dans son esprit.

Toute la dernière partie tend à confirmer cette hypothèse. L’entourage de Thomas a une capacité d’attention et d’abnégation tout aussi relative que lui (les deux jeunes femmes se présentant chez lui dont une Jane Birkin encore inconnue) et, au moment de franchir le pas de l’engagement concret dans l’enquête, il préfère s’enfoncer dans les brumes opiacées d’une soirée chic de plus. La dernière scène faisant revenir la troupe de jeunes mimes est une acceptation, une résignation définitive. Thomas accepte la nature de simulacre sans but de son existence. Antonioni poursuivra ce mariage de ces thèmes aux agitations de son temps avec ses deux œuvres suivantes, Zabriskie Point (1970) et Profession : reporter (1975). Quant à Blow-up, il fera école à travers la variation giallo qu’en offrira Dario Argento avec Profondo Rosso (1975) tandis qu’aux Etats-Unis les fantômes du Watergate en offriront des pendants paranoïaques et tragiques dans Conversation secrète de Francis Ford Coppola (1974) et le bien nommé Blow Out de Brian de Palma (1981).


 Sorti en dvd zone 2 français chez Warner

 

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