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mercredi 22 juin 2022

Deux épouses - Tsuma futari, Yasuzo Masumura (1967)


 Shibata, employé dans la maison d'édition de son beau-père, rencontre par hasard son ancienne amante. Elle lui raconte sa vie misérable et les mauvais traitements que lui inflige son concubin. Ce dernier débarque un jour chez Shibata et tente de le faire chanter.

Deux épouses est un film captivant où Masumura se trouve à la frontière de ses films dénonçant les travers du capitalisme et l'oppression du monde de l'entreprise (Géants et jouets (1958), Black Test Car (1962)) et ceux observant les maux de la sphère du couple (Confession d'une épouse (1961), Vixen (1969)). Le héros Kenzo (Kôji Takahashi) est ainsi un salaryman étouffé dans les conventions de son quotidien, tant dans son métier que son foyer. Il travaille dans une maison d'édition possédée par son beau-père (Masao Mishima) et dirigé par son épouse Michiko (Ayako Wakao). Il a renoncé pour cela à ses aspirations littéraires de jeunesse et à un amour passé pour Junko (Mariko Okada), cédant à la sécurité financière et à l'ambition. Il retrouve Junko bien des années plus tard bien mal en point et aux prises avec un amant abusif, Kobayashi (Takao Ito). Celui-ci apparait comme un miroir négatif de Kenzo, étant lui aussi un aspirant écrivain mais rêvant secrètement un mariage d'argent pour lequel il vise la belle-sœur du héros Rie (Kyôko Enami). Kenzo est ainsi contraint de laisser faire ou alors d'avouer ce passé à son épouse.

Le poids des apparences semble être la malédiction des tous les protagonistes. Il y a ceux pour lesquels ces apparences importent plus que tout, dans une quête de droiture morale impossible à tenir comme Michiko. On a également ceux qui y cherchent un refuge à leur condition sociale de manière implicite ou criminelle (Kobayashi et Kenzo), et enfin ceux qui en font une façade à leur vraie corruption morale comme le beau-père. Le début du film nous montre l'intransigeance de l'entreprise envers le moindre écart des employés qui pourrait en salir l'image, et plus particulièrement celle de Michiko à laquelle Ayako Wakao confère une allure pleine de dignité inquisitrice. Plus le récit avance, navigue entre les genres (un rebondissement brutal nous fait basculer dans le faits divers policier), et plus chaque protagoniste est confronté à ses contradictions, doit répondre de la figure saine qu'il croit incarner. 

Dès lors Masumura oppose l'ancienne amante Junko supposément avilie mais finalement portée par une pureté sacrificielle tandis que Michiko découvre sa part d'ombre et de lâcheté. Dans un premier temps Masumura oppose de façon manichéenne les environnements des deux "épouses", chambre insalubre et bar à hôtesse douteux pour Junko tandis que l'élégance du foyer conjugal, la modernité des bureaux d'entreprise dominent pour Michiko avec un travail sur la photo et gamme de couleur pour traduire cette différence. Progressivement les comportements se révélant de part et d’autre rendent intenable ce schisme et expose l'hypocrisie des aristocrates que symbolise Michiko. La fin du film suggère même ironiquement que c'est cette inflexibilité morale envers son entourage (son père auquel elle a refusé toute nouvelle liaison en mémoire de sa mère, sa sœur dont elle s'oppose au mariage) qui a précipité leur chute par réaction aux règles qu'elle leur imposait.

Ayako Wakao pourrait rendre ce personnage détestable et c'est tout l'inverse, enfermée dans sa tour d'ivoire d'intégrité, elle est condamnée à être respectée et crainte plutôt qu'aimée. Tous les symboles auxquels elles s'attachent s'avèrent imparfaits et corrompus, à commencer par elle-même. Michiko passe la dernière partie du récit à l'accepter et devient enfin touchante dans cette vulnérabilité. L'ensemble du casting est brillant (notamment Kôji Takahashi et ses faux airs de Gregory Peck japonais) mais Ayako Wakao est vraiment le cœur émotionnel de l'ensemble après avoir paru initialement si distante. Masumura explore tout un spectre de sa filmographie, du regard cinglant sur un système capitaliste aliénant où l'ascension repose sur le renoncement de soi, croisé à un regard sensible sur l'intimité du couple.


 Sorti en dvd japonais

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