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lundi 4 août 2025

Fort Saganne - Alain Corneau (1984)

 Le lieutenant Charles Saganne, fils de paysans ariégeois, se couvre de gloire au Sahara en 1911. De retour à Paris, il vit une folle passion amoureuse. Cependant, déçu par la politique, il retourne dans le désert...

Fort Saganne est une œuvre qui s’inscrit dans une logique de superproduction au sein du cinéma français des années 80, cherchant via un grand spectacle ambitieux à enrayer l’érosion de spectateur causée par la concurrence de la télévision. Tess de Roman Polanski (1976) produit par Claude Berri a en quelque sorte anticipé cette tendance qui verra notamment sortir le diptyque Jean de Florette/Manon des Sources du même Claude Berri, Chouans ! de Philippe de Broca (1988) ou encore L’Ours de Jean-Jacques Annaud. Il s’agit également de la première incursion hors du polar d’Alain Corneau avec cette fresque, le retour au genre de ses premiers succès ne se faisant que bien plus tard avec Le Cousin (1997). Le film est adapté du roman éponyme de Louis Gardel publié en 1980 et ayant remporté le Grand Prix du roman de l'Académie française. 

Corneau s’attèle au film après un refus initial auprès d’Albina du Boisrouvray (qui avait produit ses deux premiers films France société anonyme (1974) et Police Python 357 (1957)) qui lui avait proposé le projet. Entretemps, Robert Enrico avait pris le relai avant de se désister à son tour, le décès tragique de Romy Schneider (prévue pour le rôle finalement tenu par Catherine Deneuve) l’ayant poussé à se retirer. Néanmoins, son passage aura permis de résoudre les problèmes d’adaptations qui semblaient insolubles pour Alain Corneau qui va revenir sur sa décision et réaliser le film. Fort Saganne est la production française la plus onéreuse pour l’époque, dont la lourde logistique mettra en difficulté le tournage, ainsi que les finances d’Albina du Boisrouvray dont ce sera la dernière incursion cinématographique.

La scène d’ouverture voit Charles Saganne (Gérard Depardieu) enfant et fils de paysan, observer la belle maison bourgeoise voisine et en être chassé avec rudesse par les propriétaires. Une ellipse nous le fait retrouver au même endroit, adulte et vêtu d’un uniforme militaire, regarder cette même maison désormais abandonnée et qu’il compte faire sienne. L’armée fait donc figure de marchepied social pour le jeune homme, et le retour dans ce foyer désiré ne devra se faire qu’au termes d’aventures et d’exploits loin de cette France dont les carcans sociaux l’empêchent de s’élever. Engagé sur le front du Sahara, il va pouvoir faire ses preuves en affrontant des tribus révoltées. 

Les meilleurs moments du film reposent vraiment sur sa veine introspective. Corneau joue avant tout sur une narration visuelle pour traduire la tonalité romanesque, notamment le nouvel écueil social rencontré par Saganne au sein de l’aristocratie coloniale contrariant ses amours avec Madeleine (Sophie Marceau). Les bons mots restent pour mettre en valeur le bagout de Dubreuilh (Philippe Noiret), gradé chargé de mettre à l’épreuve notre héros. Les enjeux politiques se dessinent harmonieusement et le réalisateur les déploie dans une ampleur formelle et une étude de caractères très réussie.

Ainsi la nature de jeune homme mal dégrossi et ambitieux de Saganne se traduit dans l’action lors de la parade militaire faite pour Dubreuilh, tout comme lors de la première traversée du désert et des missions mineures durant lesquelles sa santé est mise à rude épreuve. L’inévitable comparaison avec Lawrence d’Arabie de David Lean (1962) se manifeste à plusieurs reprises, mais Corneau a l’intelligence d’en rester à une approche humaniste et modeste, plutôt que de se confronter à la grandiloquence mystique du classique anglais. Néanmoins, le cheminement de Saganne, sa préoccupation sincère des autochtones et l’aura de sauveur qu’il gagne auprès d’eux rejoue à sa manière et sans avoir à en rougir la partition du classique de David Lean – y compris la rencontre en plein désert avec un chef de tribu dont l’amitié ne sera cependant pas aussi fouillée que celle d’un Omar Sharif.

Le bât blesse surtout lorsque la fresque se veut réellement spectaculaire, mais malheureusement le souffle épique n’y est pas vraiment lors des différentes batailles. Les jalons initialement posés ne sont guère exploités, que ce soit en termes géopolitiques ou romanesque (les moments avec Catherine Deneuve trop court, Sophie Marceau trop jeune et tendre pour proposer un idéal romantique tangible à Depardieu). Dès lors, l’errance mentale et la tentative de noirceur de la dernière partie tournent un peu à vide, le vide existentiel renvoyé par l’immensité du désert n’atteignent pas la profondeur espérée. 

Même s’il traite certes d’une période et d’une zone africaine différente, une œuvre comme R.A.S. d’Yves Boisset (1973) embrassait davantage l’odyssée intime, la chronique sociale et le propos politique – qui n’est qu’effleuré ici à travers le cynisme de Dubreuilh ou le racisme d’un officier sadique. Malgré son ambition et ses qualités certaines (le superbe score de Philippe Sarde en tête) Fort Saganne laisse donc un certain goût d’inachevé qui se traduira par un box-office décevant (2 millions d’entrées tout de même) qui ne remboursera pas son lourd investissement.

Sorti en bluray français chez StudioCanal 

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