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dimanche 3 août 2025

A Short Love Affair - Umukbaemiui sarang, Jang Sun-woo (1990)

 Après avoir tenté sa chance à Séoul, Bae Il-do décide de revenir dans sa ville natale de banlieue. Depuis trois ans, il partage sa vie avec Sae-daek, une jeune femme issue d’un milieu très pauvre avec laquelle il vient d’avoir un bébé. Si Il-do reste avec elle, c’est uniquement pour sauver les apparences. Le jeune homme se saisit du moindre prétexte pour fuir l’ambiance délétère qui règne chez lui. À l’atelier de couture où il travaille comme tailleur, Il-do fait la rencontre de Min Gong-nye, une femme mariée et mère d’un petit garçon. Entre ces deux êtres malheureux dans leur foyer respectif, le coup de foudre est immédiat...

Jang Sun-woo est un des réalisateur phare de la première Nouvelle Vague coréenne qui, dans le sillage du desserrement de la dictature, parvint à imposer une veine novatrice et personnelle au sein du cinéma local. A Short Love Affair est son troisième film, bien équilibré entre les contingences commerciales de l’industrie coréenne et les éléments esthétiques et thématiques plus spécifiques à Jang Sun-woo. Il s’est notamment fait remarquer sur ses précédents films pour son mélange d’ironie associé à un certain réalisme social, ce qui fonctionnement pleinement ici même si la lecture du synopsis pourrait faire penser à un mélodrame. C’est en quelque sorte les racines de l’art de la rupture de ton du cinéma coréen, capable en un clin d’œil de passer du rire aux larmes, et l’on ne s’étonnera pas qu’un certain Bong Joon-ho n’ait jamais caché son admiration pour Jang Sun-woo.

Ainsi tout au long du film, la condition sociale, économique et intime précaire dans laquelle sont plongés les personnages suscite des émotions contrastées. Cela s’amorce avec le héros Bae Il-do (Park Joong-hoon), dont dès l’ouverture la nostalgie de sa liaison avec Min Gong-nye (Choi Myung-gil) est contrebalancé par sa misogynie décomplexée envers sa femme à travers une infidélité qui ne lui pèse guère. 

La bonhomie du personnage nous le rend néanmoins attachant et Jang Sun-woo s’attache constamment charger d’aspérités ses protagonistes. Sae-daek (Yoo Hye-ri), épouse de Bae Il-do, apparaît à plusieurs reprises comme une mégère vindicative avant que cette hargne s’avère justifiée par l’indolence et l’irresponsabilité de son époux, et surtout par un flashback poignant sur son propre passé difficile. L’amante Min Gong-nye ne s’en sort guère mieux avec un mari violent et un caractère très et trop effacé subissant constamment les évènements, positifs comme négatif.

Les jugements binaires ainsi volontairement questionnés et balayés, on peut s’immerger dans l’histoire simple d’êtres tout simplement humains dans leurs contradictions. Les dialogues triviaux entre les employées de l’atelier de couture témoignent de ce désespoir joyeux lorsqu’elles plaisantent de leurs solitudes respectives et observent avec amusement le rapprochement entre Min Gong-nye et Bae Il-do. Le génie de Jang Sun-woo tient d’ailleurs dans une scène ayant l’atelier pour cadre, lorsque les deux amants s’y retrouvent le lendemain d’une nuit passés ensemble, mais surtout du retour houleux au domicile conjugal pour affronter la fureur de leur conjoint. 

Si l’on a rit de la confrontation musclée de Bae Il-do avec sa femme ayant manifestement des notions de judo, son visage marqué de bleus suscite des rires qui atténuent la vue de celui de Min Gong-nye ayant subit une nouvelle fois les coups de son mari, l’hilarité de l’atelier exposant la liaison démasquée des deux protagonistes. Par une forme d’ironie et de drame, le tragique des violences conjugales s’expose sans pathos.

La romance passe par ce même filtre, les rapprochements timides initiaux cédant à des émois bien plus torrides. Jang Sun-woo profite du relâchement de la censure tout en insérant par la caractérisation (le passé de prostituée de Sae-daek expliquant le mépris de Bae Il-do face à l’innocence de son amante) et les situations (le strip-tease en boite de nuit soulignant à nouveau le manque de tact de Bae Il-do) un érotisme inhérent au sous-genre du film « d’hôtesses » alors en vogue dans les films d’exploitation coréen, tout en enrichissant ses protagonistes. Cette fluidité permet de ne jamais rien appuyer, surligner, l’arrière-plan urbain grisâtre bétonné ou provincial dépouillé et austère suffisant à comprendre les maigres perspectives d’avenir. 

Le trio d’acteurs apporte toutes les nuances nécessaires à l’ensemble, notamment un Park Joong-hoon qui par son mélange de vulnérabilité et d’égoïsme parvient à être touchant, notamment lors de la dernière scène où sa courte vue l’empêche une énième fois de comprendre son interlocutrice enfin consciente de l’être faible qu’il est. Choi Myung-gil et Yoo Hye-ri illustrent quant à elles les facettes les plus déterminées et fragiles de la féminité face à des réactions qui s’entrecroisent et se complètent. A Short Love Affair est une œuvre passionnante et fondatrice du cinéma coréen, posant pour Jang Sun-woo les bases du futur et bien plus sulfureux Fantasmes (1999).

Sorti en bluray français chez Carlotta 

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