Angleterre, 1645. Tandis que la guerre fait rage entre les troupes républicaines de Cromwell et l'armée fidèle au roi Charles II, l'inquisiteur Matthew Hopkins et son redoutable assistant sillonnent les routes du pays, convoqués par les notables des villages pour mettre fin à l'activité de celles ou ceux qu'ils considèrent comme des sorcières et suppôts de Satan. Entre la potence et le bûcher, au terme d'abominables tortures, peu échappent à la sanction suprême. S'estimant au-dessus des lois, Hopkins commet l'erreur de s'attaquer à un prêtre et à sa nièce, dont le fiancé, un soldat, fait vœu de vengeance...
Le Grand Inquisiteur est une des productions Hammer les plus cultes et originales, dont la singularité doit beaucoup au talent de son jeune réalisateur Michael Reeves, véritable étoile filante qui mourra quelques mois après la sortie du film. L’horreur repose ici sur une réalité historique, et plus particulièrement une figure sulfureuse en la personne de l’inquisiteur Matthew Hopkins. Il s’agit d’un chasseur de sorcières ayant « exercé » durant la première révolution anglaise, et dont les méfaits lui valurent de rentrer dans la culture populaire locale. Le film adapte le roman éponyme de Ronald Bassett, spécialiste de la fiction historique. Cette base confère au récit un équilibre solide entre contextualisation historique et pure veine romanesque.
La scène d’ouverture montre ainsi crûment l’exécution par pendaison ordonnée par Matthew Hopkins (Vincent Price), la tonalité hallucinée et « folk horror » tenant au mélange d’ambiance rurale paisible et de violence frontale et hallucinée. Michael Reeves n’introduit aucune notion d’horreur surnaturelle, c’est la folie « normalisée » des hommes qui confère au film sa dimension à la fois excessive et retenue. Le réalisateur eu d’ailleurs maille à partir avec Vincent Price afin de le forcer à une prestation plus sobre que sur ses rôles dans les adaptations d’Edgar Allan Poe pour Roger Corman. Productrice de ces dernières et coproductrice avec Hammer de Le Grand Inquisiteur, la firme American International Pictures imposa Price alors que Reeves souhaitait Donald Pleasence. Ce registre retenu, sournois et calculateur rend cependant Hopkins plus glaçant encore, la démence venant de ceux réclamant ses « services » dans les villages visités, ainsi que de son répugnant complice John Steam (Robert Russell détestable à souhait) faisant office de bras armé. Cette épure fait davantage du film un drame historique qu’un film d’horreur, mais comme souligné plus haut, la dichotomie entre la douceur pastorale et la monstruosité des exactions en font un spectacle assez unique. Cette souillure traverse également les victimes innocentes, tel le soldat valeureux Marshall (Ian Ogilvy) devenant progressivement une bête assoiffée de sang dans sa quête de vengeance. La douce Sara (Hilary Dwyer) subit également tout les outrages et voit clairement son équilibre mental vaciller dans l’éprouvante dernière scène – et un plan fixe mémorable au sein duquel se prolonge son hurlement. Les excès graphiques vont graduellement avec le sentiment d’impunité d’Hopkins. Reeves obéit à une certaine réalité historique du processus de torture de l’inquisition (la noyade dont le corps flottant ou non est supposé exprimer la présence de Satan), à la fois sobre dans la mise en scène et éprouvant dans la description crue des brutalités. Ivre de puissance et se sentant intouchable après tout ce à quoi il a échappé, Hopkins affirme donc explicitement et publiquement son sadisme avec une inquisition finale sur le bûcher cette fois précisément dépeinte et filmée avec emphase par Reeves. Le film transcende sa nature de récit d’exploitation par l’allégorie politique évidente et intemporelle qui peut en être faite. L’exploitation des peurs, la paranoïa, l’opprobre et la persécution lancée sur autrui par malveillance, soif de pouvoir, cela pouvait évoquer le Maccarthysme à la sortie du film, d’autres firent un rapprochement avec la guerre du Vietnam. Décrié à sa sortie, le film a depuis gagné le statut de galon majeur des productions Hammer. On peut vraiment regretter que la disparition prématurée de Michael Reeves (âgé d’à peine 25 ans) l’ait empêché d’offrir d’autres propositions d’horreur au vu du talent déployé ici.Sorti en bluray français chez BQHL
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