Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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mercredi 4 janvier 2012

Rendez-vous - The Shop Around the Corner, Ernst Lubitsch (1940)


À Budapest, Alfred Kralik et Klara Novak travaillent dans la boutique de maroquinerie de Monsieur Matuschek. Les deux employés ne s'entendent guère. Alfred correspond par petites annonces avec une femme qu'il n'a jamais vue. Il découvre bientôt que cette mystérieuse inconnue n'est autre que Klara, l'employée qu'il déteste au magasin. Sans révéler à celle-ci la vérité, il cherche à se rapprocher d'elle et à s'en faire aimer.

Dans le flot de glorieuse comédie qu’il enchaîna durant les années trente, Ernst Lubitsch connu un de ses rares échecs commercial lorsqu’il daigna fendre l’armure avec le magnifique et plus retenu Ange. Le bien plus enlevé La Huitième Femme de Barbe-Bleue qui suivrait le verrait revenir aux vertus de la si efficace Lubitsch’s touch : sexe, argent et romantisme saupoudré d’un joyeux cynisme. Pourtant les derniers films du réalisateur à partir de Ninotchka (1939) témoignent d’une volonté de bousculer la formule à succès. Sans doute sensible à la situation politique inquiétante en Europe, Lubitsch engage progressivement son propos qui ira de l’audacieuse critique du Stalinisme dans Ninotchka à l’hilarante et féroce diatribe contre le nazisme dans le légendaire To Be or not to Be. Rappelons que ce dernier bien que sorti en 1942 fut tourné avant Pearl Harbor et donc de l’engagement américain dans la Seconde Guerre Mondiale ce qui en fait un réel acte politique (au même titre que Le Dicteur de Chaplin) de la part du réalisateur.
Ce changement chez Lubitsch se manifeste aussi et surtout au niveau du ton et du contenu des films. L’ironie s’atténue pour montrer une sensibilité et une simplicité aux antipodes de la Lubitch’s touch. Les personnages sophistiqués et/ou issu de la grande bourgeoisie en vogue dans la comédie américaine (chez Lubitsch, Cukor, Hawks et quelques autres) laissent place à des êtres ordinaire dans lesquels le spectateur peut se reconnaître. Ce seront le mari défunt attachant du Ciel peut attendre, Jennifer Jones femme de chambre adepte de la plomberie dans La Folle Ingénue et surtout les employés de magasins de The Shop Around the Corner.

Les intrigues se déplacent de la société américaine (ou des cadres mondains français souvent revisités par Lubitsch) pour un retour aux sources moderne en Europe de l’est, que ce soit la Pologne de To Be or no to be ou le Budapest de The Shop around the Corner. Dans ce cadre sous la légèreté on distingue désormais une angoisse latente quant aux évènements dramatiques à venir puisque l’intrigue de La Folle Ingénue (1946) se déroule en 1938 en Pologne la veille de la guerre (avec un Charles Boyer dans le rôle d’un juif) et que le monde dépeint dans The Shop around the Corner est déjà révolu au moment de la sortie du film.

Modeste fils de tailleur berlinois ayant passé son enfance dans le magasin familial, Lubitsch pose donc un regard particulièrement tendre et personnel dans The Shop Around the Corner. Les scénarios aux timings millimétrés des films précédents laissent place à une belle tranche de vie qui prend son temps pour dépeindre le quotidien des employés de cette petite boutique de Budapest. Les personnages loufoques sont toujours là, les quiproquos et répliques assassines aussi, tout comme le couple mal assorti qui finira inévitablement ensemble. L’approche modeste, chaleureuse et intimiste change pourtant tout.

Margaret Sullavan n’en sera que plus touchante dans sa quête idéalisée d’une âme sœur flamboyante aux antipodes de son ordinaire de vendeuse, au point de ne jamais voir qu’elle l’a sous les yeux depuis toujours en la personne de James Stewart. Celui-ci est une fois de plus parfait en Alfred Kralik, emprunté et gauche pour exprimer ses sentiments, ordinaire et unique à la fois. L’alchimie avec Margaret Sullavan fait des étincelles et réserve son lot de moment de comédies irrésistibles et d’échanges savoureux:

Well I really wouldn't care to scratch your surface, Mr. Kralik, because I know exactly what I'd find. Instead of a heart, a hand-bag. Instead of a soul, a suitcase. And instead of an intellect, a cigarette lighter... which doesn't work.

On saluera aussi la prestation de Frank Morgan en patron bougon mais aimant ou Felix Bressart (un des trois communiste converti de Ninotchka) en heureuse victime de ses remontrances. Les hauts et les bas de cette boutique et de ses employés soumis aux humeurs de leur employeur qu’ils aiment néanmoins comme un père en dépit de ses excès enchantent de bout en bout. Lubitsch se réinvente avec talent abandonnant courageusement tous les artifices qui ont fait son succès. Il ne signe pas là son film le plus drôle (To be or not to be accomplit aisément cette prouesse) mais sûrement le plus attachant. Chef d’œuvre.

Sorti en dvd zone 2 français chez Warner

1 commentaire:

  1. Aaaah, The Shop Around the Corner ^_^
    Je l'avais découvert au cinéma, en lors d'unfestival ou d'une ressortie je ne sais plus, il y a une dizaine d'années de cela. Magnifique !

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