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lundi 24 novembre 2025

Original Sin - Shinde mo ii, Takashi Ishii (1992)

 Mariée à un agent immobilier d’âge mûr, Nami entame une liaison avec leur nouvel et jeune employé. Obsédé par sa maîtresse, celui-ci fomente un plan pour se débarrasser du mari…

Takashi Ishii est à l’origine est mangaka ayant réussi à se frayer un chemin au cinéma à travers les adaptations de ses sulfureuses œuvres papiers. Le studio Nikkatsu alors en plein dans son virage vers la production érotique à travers ses « Roman Porno » va plusieurs fois se pencher sur Nami, héroïne phare d’Ishii à travers la série des Angel Guts : Angel Guts : High-School Co-Ed (1978) et Angel Guts : Red Classroom de Chusei Sone (1979), Angel Guts : Nami de Noboru Tanaka (1979) et Angel Guts : Red Porno de Toshiharu Ikeda (1981). Déjà controversées en manga, les excès d’Ishii sont exacerbés par la surenchère du cinéma d’exploitation, ainsi que la maestria des réalisateurs en faisant de forts tourmentés voyages au bout de la nuit. Takashi Ishii va s’atteler au scénario de plusieurs de ces adaptations, se rapprochant ainsi de Toshiharu Ikeda qui deviendra un de ses collaborateurs réguliers puisqu’il écrira pour lui certaines œuvres cultes comme Scent of Spell (1985) ou le film d’horreur Evil Dead Trap (1987).

A la fin des années 80, Takashi Ishii passe enfin à la réalisation même ses galops d’essais le maintiennent sur ce créneau du cinéma d’exploitation notamment en filmant à son tour un volet d’Angel Guts en 1988. La donne va changer avec Original Sin, vrai film d’auteur nourrit de ses travaux passés mais délesté des outrances du cinéma bis. Il adapte là un roman de Bo Nishimura, lui-même inspiré du fait divers qui vit un jeune employé devenir l’amant de la femme de son patron, homme plus âgé que le couple va assassiner. L’affaire étant encore fraîche dans l’opinion (l’épouse coupable sort de prison peu avant le lancement de la production), Ishii fictionnalise le drame en imaginant les sentiments agitant les protagonistes du drame. Un des moyens de s’approprier le récit sera notamment de nommer « Nami » l’héroïne interprétée par Shinobu Otake. Cela l’inscrit ainsi dans son corpus papier et filmique, Nami étant la figure récurrente de la femme outragée, tourmentée, parfois vengeresse et en tout cas reflet de l’oppression subie par les femmes au sein de la société japonaise.

Takashi Ishii se réapproprie donc pour la première fois sa création dans une œuvre personnelle. Cette fois Nami est l’épouse de Hideki (Hideo Murota), homme de douze ans son aîné avec lequel elle gère une agence immobilière. Tout bascule lorsque le marginal Makoto (Masatoshi Nagase) entre dans leurs vies. Secrètement amoureux de Nami, il se fait engager par l’époux et va profiter du premier moment seul avec Nami pour abuser d’elle. Les réactions de chacun vont s’avérer très inattendues et constituer un étrange triangle amoureux. Ishii nous prépare en partie à ce virage durant les scènes introductives. L’ouverture dans un train oscille entre deux niveaux de réalité, celle concrète de Makoto endormi sur une banquette et celle, fantasmée et onirique le montrant encore coincé en enfance cherchant l’attention de sa mère. 

Sa manière de choisir son trajet en sortant de la gare se rapproche également de jeu d’enfant, et ce n’est finalement pas un hasard s’il tombe amoureux de la première femme croisée, Nami, comme le ferait un enfant s’entichant arbitrairement d’une figure adulte. Quant à Nami, sa place au sein de son mariage s’avère insatisfaisante sur plusieurs points. Elle apparaît davantage comme une employée plutôt qu’une associée au sein de l’agence, et dans l’intimité le manque d’investissement de l’époux apparaît de façon crue et trivial quand il se refuse à jouir en elle après un rapport, ce qu’elle lui reproche. Elle semble être un trophée pour cet homme mûr, qui par ailleurs ne semble pas gêné pour la tromper dans les bars à hôtesses et parfois amener ses maîtresses à l’agence.

Si Ishii cède malheureusement à la veine crapoteuse d’antan avec une scène de viol, les conséquences de cet acte s’avère passionnante dans la dynamique des personnages. Ishii expose une certaine réalité des rapports maritaux au Japon, avant de les faire imploser. Makoto est un homme/enfant ayant exprimé son amour de la seule façon brutale et maladroite dont il était capable, mais Nami y voit paradoxalement un investissement plus sincère que celui de son propre époux – là aussi par le côté très cru le voyant jouir en elle. Elle va alors le guider pour qu’il lui témoigne son attirance de façon plus tendre et douce, chose qu’elle ne profite pas lors des étreintes furtives et égoïstes avec son époux. Passé ce rebondissement controversé et transgressif, Takashi Ishii se montre d’une sobriété rare pour dépeindre l’évolution des protagonistes.

Nami semble partagée entre le sentiment de protection social et matériel d’un époux prévenant qu’elle n’aime pas, et la vraie passion pour un marginal sans avenir. Ishii donne dans l’imagerie d’un bonheur quotidien domestique ordinaire pour traduire le lien rattachant Nami à son mari. A l’inverse, il installe les silences complices des moments volés et éphémères entre Nami et Makoto, notamment en étirant la durée des plans comme lors de la scène de l’auberge où il se font longuement face et se regarde tendrement, sans se toucher. Si Nami ne sait lequel des deux choisir, c’est parce qu’ils se rejoignent en définitive dans leur inconséquence masculine. Makoto ne se résout pas à être, même pour un temps, simplement l’amant et veut que Nami lui appartienne corps et âme. Hideki l’époux ne voit pas d’inconvénients à tromper sa femme, mais sort de ses gonds et retrouve lui aussi des instincts de possessions dès lors qu’il découvre sa liaison avec un être inférieur socialement, son employé de surcroît. 

Les deux hommes s’avèrent pathétique par la menace physique voire le meurtre qu’ils annoncent s’ils étaient abandonnés pour l’autre, mais entre lâcheté et forfanterie seuls les tristes hasards mèneront à cette escalade criminelle. Ishii n’est cependant pas manichéen et unidimensionnel, le bonheur menacé entrouvrant une facette plus tendre et vulnérable chez l’époux et l’amant. Nami trouve en Makoto un homme de son âge, proche de ses origines sociales (la scène où elle le retrouve dans son quartier d’enfance) et n’hésitant pas à lui exposer avec douceur ses sentiments – la scène de viol, concession à l’ancienne veine d’exploitation, excepté bien sûr. Le mari se montre quant à lui moins volage, plus attentionné et en définitive plus vulnérable face à la perspective d’être quitté.

Les trois acteurs sont remarquables pour exprimer cette gamme d’émotions contradictoires, en particulier Shinobu Otake exprimant un trouble qui culmine lors de la séquence finale. Dans le même mouvement, son visage exprime l’apaisement et le choix résolu après avoir commis l’irréparable, tandis que les larmes coulant de ses yeux traduisent la nostalgie et le regret d’un bonheur perdu à jamais. Takashi Ishii filme la scène comme dans un rêve éphémère, la photo diaphane traduisant la nature factice de cette union enfin accomplie – et ce que l’issue du vrai fait divers viendra confirmer. C’est une grande réussite pour Takashi Ishii qui extirpe « Nami » des affres parfois putassières mais inventifs du cinéma d’exploitation pour l’inscrire dans l’émotion des grands drames intimistes.

Sorti en bluray françis chez Carlotta 

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