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vendredi 21 novembre 2025

The Killer - Dip huet seung hung, John Woo (1989)

 Jeff est un tueur professionnel. Lors de l'exécution d'un contrat, il blesse accidentellement aux yeux une jeune chanteuse, Jenny. Rongé par le remords, il accepte d'éliminer un parrain des Triades afin de réunir la somme nécessaire à la transplantation de cornée dont Jenny a besoin. L'affaire tourne mal et Jeff se retrouve à la fois poursuivi par ses employeurs et par un policier acharné, l'inspecteur Li.

Le Syndicat du crime (1986) avait été l’œuvre de la libération pour John Woo, lui permettant d’enfin s’épanouir dans son genre de prédilection, le polar, et d’y déployer à la fois ses thèmes fétiches et sa mise en scène novatrice. C’est cependant avec The Killer que le réalisateur va pleinement exprimer son potentiel, atteindre la quintessence de son art et attirer l’œil du public ainsi que de la critique internationale. Malgré un climax dantesque, Le Syndicat du crime 2 (1987) restait une concession commerciale nécessaire après l’immense et inattendu succès du premier volet, ayant initié la vague du polar héroïque à Hong Kong.

Pour son film suivant, John Woo aspire donc à s’atteler à un vrai projet personnel, et en particulier la possibilité de narrer une histoire d’amour. Le postulat de The Killer lorgne sur Le Samouraï (1967), un des chefs d’œuvre de Jean-Pierre Melville (un des modèles de Woo) avec ce tueur à gage froid et impitoyable fendant l’armure – Woo cherchant aussi à prolonger la prestance d’Alain Delon à travers le charisme de Chow Yun-fat. La dimension de pur mélodrame vient d’une autre inspiration, le film japonais An Outlaw de Teruo Ishii (1964) dont la romance, le final tragique et la droiture morale du tueur incarné par Ken Takakura ont profondément marqué John Woo. 

C’est d’ailleurs le drame davantage que l’histoire d’amour liant le tueur Jeff (Chow Yun-fat) à sa victime collatérale dont il va se faire le bienfaiteur qui fonctionne le mieux aujourd’hui. La naïveté et la candeur fonctionnant sur un premier degré total provoqua parfois une hilarité involontaire auprès des spectateurs occidentaux lors de la distribution internationale du film au début des années 90. Au sein de la production même, ce parti-pris narratif ne fit pas l’unanimité dans le cadre d’un polar et John Woo parvint à aller au bout de sa démarche dans un climat de doute.

N'en déplaise aux cyniques, l’émotion sans calcul de The Killer fonctionne pleinement car John Woo lui confère une intense incarnation par la force de sa mise en scène. Toute la contradiction entre le métier violent de Jeff et sa quête d’un ailleurs paisible s’exprime durant la première scène, par le contraste entre le lieu, une église, et la transaction qui s’y noue, la désignation de sa prochaine cible. Cette dualité opère aussi lors de la première exécution durant laquelle, sous les balles et le chaos, la rédemption et l’amour s’offrent à lui lorsqu’il rend malencontreusement aveugle la chanteuse Jenny (Sally Yeh). La violence et la compassion surgissent simultanément et de façon cathartique lors de cet enchaînement bref de plans voyant partir la balle du revolver, le mouvement de tête de Jenny exposée à bout portant et ses yeux désormais éteints. D’abord par culpabilité, puis par amour, Jeff a désormais une autre raison d’être que celle de tuer. En rendant cela palpable par l’image plutôt que le discours, John Woo confère une forme d’universalité et évidence à l’émotion qu’il souhaite véhiculer.

Il en va de même sur le terrain plus familier pour lui des amitiés viriles et fraternelles. Lorsque Jeff reçoit la visite de son ami Sidney (Chu Kong) qui s’apprête à le trahir pour leur commanditaire, un panoramique accompagne l’arrivée de ce dernier mais le mur séparant les deux amis lors de ce mouvement d’appareil exprime implicitement le doute et la rupture qui va s’instaurer entre eux. Sidney passera le reste de l’histoire à regagner, au péril de sa vie, l’estime de son ami. 

A l’inverse, le mimétisme des antagonistes Jeff et Li (Danny Lee) le policier qui le pourchasse, se noue aussi par la mise en scène. Woo travaille cela en montage alterné lorsque Li reproduit la posture de Jeff dans son appartement la veille, adoptant son mode de pensée et comprenant la manière dont il a répliqué à ses assaillants. John Woo refait le même travelling et adopte la même composition de plan pour nous faire comprendre que les deux ennemis sont de la même trempe, et par extension nous prépare à l’improbable amitié qui va les unir.

C’est cette émotion à vif qui porte le film, par cette sentimentalité exacerbée, cette tension de tous les instants (la mythique séquence du mexican stand-off) et bien sûr par ses explosions de violence. Si A toute épreuve (1992) poussera plus loin la démesure pyrotechnique de l’action, The Killer est un véritable sommet de virtuosité opératique. La scène d’ouverture ainsi que plus tard la poursuite en hors-bord et le face à face à l’hôpital sont des démonstrations de la précision et du sang-froid de Jeff (avec leur pendant pour Li durant la scène du bus). 

Le défilement à différentes vitesses des ralentis, le génie du montage dans ses partis-pris (le choix de montrer brutalement les impacts puis de dilater voir de couper avant la chute des antagonistes) aboutit à une forme d’emphase poétique de violence et de chaos par laquelle l’influence de Sam Peckinpah autant que celle de la comédie musicale se ressent. Après avoir annoncé de façon séparée le lien entre Jeff et Li, Woo l’exprime par le jeu des raccords en mouvement, du découpage qui rend leurs actions coordonnées et complices dans la dernière partie. Là encore, avare de mots, le réalisateur fait comprendre cette amitié de façon purement sensorielle et organique.

La confrontation finale dans l’église est un sommet, se délestant des ultimes et déjà bien fragiles carcans de réalisme avec les adversaires innombrables, les munitions comme illimitées et les balles surgissant comme une émanation physique de la rage intérieure des personnages. La symbolique religieuse appuyée se fond à l’approche viscérale de Woo, annoncée dès le début en faisant des blessures de Jeff les stigmates de sa rédemption, jusqu’à la conclusion tragique où il perd la vue en ultime sacrifice. Même s’il aura d’autres grandes réussites par la suite, la place de John Woo dans l’histoire du cinéma était déjà assurée avec le sommet que constitue The Killer.

Ressortie en salle le 26 novembre 

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