Goro Hanada (Jo
Shishido) est le tueur numéro 3 dans la hiérarchie des malfaiteurs japonais.
Misako Nakajo (Annu Mari) lui propose un « contrat », qu'il rate à cause d'un
papillon qui se pose sur son arme. Dès lors, il deviendra la cible du
mystérieux et secret numéro 1. Il décide de quitter l'organisation des
malfaiteurs professionnels et de trouver le numéro 1.
La Marque du tueur
est le film de la rupture pour Seijun Suzuki, arrivé au bout de ses
expérimentations narratives et formelles avec cette œuvre radical et qui signe
sa dernière œuvre au sein de la Nikkatsu pour ce qui est la provocation de trop
pour le studio. Suzuki s’était forgé une place particulière jusque-là en
signant des commandes où la contrainte reposait sur des trames archétypales,
tant dans le film de yakuza (Détective Bureau 2-3 (1963), La Jeunesse de la bête (1963), La Vie d'un tatoué
(1965)) que le mélodrame féminin (La
Barrière de chair (1964), Histoire
d'une prostituée (1965)). A côté de cela, Suzuki disposait d’une liberté
totale sur le plan formel et définissait ainsi progressivement un style partant
des canons pop pour aller vers des audaces de plus en plus radicales tout en
bénéficiant des moyens du studio. La
Marque du tueur doit son existence à une pénurie passagère de projet au
sein du studio qui permet à Suzuki de glisser son scénario original.
Le film semble fonctionner sur le même accord tacite que les
précédents avec cette trame de polar classique se conjuguant au traitement
formel singulier de Suzuki. La différence repose sur le scénario opaque et
volontairement lâche dont les zones d’ombres permettent une déconstruction du
genre. Cela se manifeste tout d’abord par le choix du noir et blanc aux
antipodes des pétaradantes ambiances pop colorées habituelles et qui donne une atmosphère
très différente. On pense naviguer en terrain connu durant les premières
minutes où l’on suit Goro Hanada (Jo Shishido) tueur numéro 3 dans la
hiérarchie d’une organisation criminelle. Joe Shishido arbore les attitudes
viriles du personnage de dure à cuire façonné dans ses précédentes
collaborations avec Suzuki. Ce sera dans l’action lors de différents « contrats »
où son professionnalisme et sang-froid brillent, que ce soit pour convoyer un
homme face à une horde d’assaillants, où abattre des cibles de façon aussi
létale qu’inventive (dont un coup de feu à travers la tuyauterie d’un lavabo
dont saura se souvenir Jim Jarmusch dans son Ghost Dog : La Voie du samouraï (1999)).
Même constat aussi dans la
manifestation plus charnelle de cette virilité où son épouse Mami (Mariko Ogawa)
se montre peu avare de ses charmes et du plaisir qu’il lui procure. Pourtant
par la bizarrerie des situations, de sa mise en scène décalée et de ses
personnages déphasés, Suzuki corrompt progressivement le propos. D’ordinaire
Suzuki forgeait un univers flamboyant à la hauteur des exploits de ses
personnages et à l’inverse jouera ici sur le retrait, l’abstraction. Le noir et
blanc comme déjà dit dévitalise le panache habituel et contamine ainsi les
protagonistes et l’intrigue. Le compagnon d’Hanada lors du contrat initial est
un tueur déchu, apeuré et alcoolique qui ne sera d’aucune utilité – Suzuki
hystérise les codes du film de sabre dans l’action pour le signifier - et qui
annonce le futur du héros. Cette destinée tragique prend la forme d’un papillon
qui le gêne dans le tir parfait qu’exige un périlleux contrat, et cet échec en
fait la cible de l’organisation.
Ainsi menacé, Hanada voit tous les symboles de son pouvoir s’effondrer.
Les costumes tirés à quatre épingles laissent place à une tenue plus débraillée
(ou une mise à nu), l’attitude désinvolte s’estompe pour une fébrilité marquée et
bien sûr l’interaction aux autres personnages n’est plus la même. La compagne
cruche s’avère traitresse et la femme fatale Misako (Annu Mari) le domine de
toute s beauté taciturne. Les balles visant Hanada atteignent désormais leur
cible, l’impassibilité corporelle où les cadrages imposaient sa puissance
sexuelle cède à un montage chaotique où il arrache avec désespoir les faveurs
de Misako.
L’environnement urbain bariolé des films précédents laissent place à
une abstraction de béton dans les extérieurs, et à un onirisme tout aussi
décharné pour les intérieurs avec cette pièce aux murs tapissés de papillons. Le
film aurait néanmoins pu garder une certaine tension impliquante ainsi mais
Suzuki tourne cette déconstruction vers le pastiche et la mise en abime. Les
zones d’ombres du scénario se trouvent également dans le découpage du
réalisateur où les transitions narratives et formelles semblent toujours sauter
une étape, dissimuler une étape essentielle à la compréhension et cohérence de
l’ensemble.
On pense à cette fusillade sur les quais qui malmène la gestion de
l’espace, l’omniscience du tueur numéro 1 et c’est finalement en prenant de la
hauteur, en observant les évènements sur un écran que la détresse peut
réellement se ressentir (Hanada assistant au calvaire filmé de Misako) comme
pour faire comprendre au protagoniste leur statut de marionnettes. Le pastiche
fonctionne dans les face à face grotesque entre Hanada et le numéro 1 et ses
manifestations de supériorité, avant de prendre un tour plus pathétique et
tragique en ridiculisant cette quête de puissance lors du duel final. Le
résultat ne ressemble à rien d’autre et s’avère une des grandes réussites de
Suzuki qui lui vaudra malheureusement une longue traversée du désert, les
studios étant solidaires dans son rejet après son renvoi de la Nikkatsu – il ne
reviendra à la mise en scène que 10 ns plus tard et rester cantonné u circuit
indépendant.
Sorti en dvd zone 2 français chez chez Elephant Films
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