En Dordogne, la famille de lignée aristocratique des Montfaucon est
propriétaire d'une grande exploitation viticole. Mais, depuis des
générations, ses descendants mâles semblent être poursuivis par une
terrible malédiction. Ils meurent tous de mort violente, pour le bien du
village. Catherine de Montfaucon tente de dissuader Philippe, son
époux, de perpétuer cette destinée…
L'Œil du Malin
est une vraie curiosité méconnue du cinéma fantastique, à la croisée des
chemins des mutations du genre. L'épouvante gothique s'orne d'un
trouble psychologique au féminin et de l'enfance pervertie des Innocents (1961) de Jack Clayton, et les ambiances païennes et sataniques annoncent autant l'extravagance Hammer des Vierges de Satan de Terence Fisher (1968) que la touche feutrée et inquiétante de Rosemary's Baby de Roman Polanski (1968). Le film adapte le roman Day of the Arrow
de Philip Loraine paru en 1964 et connaîtra une production mouvementée.
Sidney J. Furie est initialement engagé par le producteur Martin
Ransohoff avant d'être évincé pour Michael Anderson qui, malade laissera
sa place au touche à tout Jack Lee Thompson. Même jeu de chaise
musicale au niveau du casting avec Kim Novak initialement engagée mais
contrainte de renoncer à cause d'une chute de cheval, ou selon la rumeur
suite à une violente dispute avec Martin Ransohoff supposément trop
entichée de la nouvelle venue Sharon Tate qu'il a découverte et lance
sur ce premier film. David Niven propose alors sa partenaire de Tables séparées (1958) et Bonjour tristesse (1958), Deborah Kerr avec laquelle l'alchimie fonctionnera à nouveau.
L'Œil du Malin
n'égale les films précédemment évoqués à cause d'une narration parfois
poussive et surtout de l'absence de vertige et d'incertitudes qu'ils
provoquaient. Jack Lee Thompson dévoile ici ses cartes trop vite, sans
laisser le malaise plus insidieusement s'installer. Par contre il
excelle à instaurer une ambiance inquiétante. La forme parvient à
mélanger cette veine gothique et psychologique à une esthétique psyché
typique de ce milieu des années 60. Dès l'ouverture un montage syncopé
distille des bribes des moments les plus inquiétants à venir, et si ces
images nous semblent nébuleuses elles contribuent à poser un climat
malsain. Ainsi la réception mondaine de Philippe (David Niven) et
Catherine (Deborah Kerr) tout en exposant leur tendresse réciproque et
bonheur, semble déjà comme en sursis par ses petites touches furtives.
Le départ de Philippe pour son domaine d'exploitation viticole semble
marqué du sceau de la malédiction tant par le jeu fébrile de David Niven
que par les ténèbres qu'associe Thompson à cette perspective par une
imagerie pesante qui écrase le personnage d'une responsabilité plus
profonde. Le rapport dominant/dominé inversé entre le châtelain et les
villageois se ressent par l'entité inquisitrice qu'ils semblent
constamment incarner face au seul Philippe durant plusieurs séquences
(l'arrivée au village en voiture ou la rencontre avec les ouvriers
agricoles). Ce sentiment est encore plus fort face au figure d'autorité
civile et/ou morale notamment le très inquiétant pasteur incarné par
Donald Pleasence, mais aussi les symboles de charme juvénile et malfaisant de la fratrie jouée par David Hemmings et Sharon Tate. Leurs
traits pâles et blond sont exacerbés par la photo diaphane d’Erwin
Hillier mais également contrebalancé par leurs tenues sombres qui les
font ainsi osciller entre anges et démons. Tous deux véhiculent d'ailleurs la dimension sexuelle vénéneuse du récit, Sharon Tate s'offrant une étonnante scène de délectation SM et Hemmings entretenant une complicité suspecte avec David Niven (l'interprétation la plus tordue se prêtant bien à la "pénétration" et soumission finale, gros plan sur la pointe de la flèche inclus).
Avec l'arrivée de
Deborah Kerr ce malaise se ressent d'autant plus visuellement. La
modernité et le classicisme gothique s'entrecroise de façon originale,
notamment dans les extérieurs français qui change un peu de l'imagerie
anglo-saxonne du genre (tournage dans le château de Hautefort en
Dordogne). Les cadrages alambiqués, les contre-plongées déroutantes et
le montage psyché (entre flash-forward et association d'idée) posent
donc cette approche moderne où l'on pense justement au Sydney J. Furie
de Ipcress, danger immédiat (1965) dans une veine plus
fantastique. Les intérieurs (tournés en Angleterre aux studios
d'Elstree) perpétuent ce décorum médiéval gothique, Thompson se plaisant
à perdre Deborah Kerr dans l'immensité de décors stylisés où se plait à
l'oppresser dans des environnements exigus où la raison vacillante
aidant, les ténèbres dessinent des silhouettes indicibles et
malveillantes.
Le réalisateur distille un malaise certains dans
plusieurs morceaux de bravoure flamboyant que ce soit une messe noire
nocturne, une séquence d'hypnose "vertigineuse" ou une scène de
cauchemar opiacée fort inquiétante. Ce qui empêche le film de
complètement décoller réside dans le scénario poussif qui ne sait quoi
faire de Deborah Kerr. La féminité et/ou maternité viciée, l'ambiguïté
entre réalité et folie qui faisaient la force des Innocents
sont absents ici où Deborah Kerr se contente d'être l'épouse apeurée, la
victime fuyante et impuissante. Reste donc une belle réussite plastique
et atmosphérique qui maintient sa tension jusqu'à une belle conclusion
qui poursuit la malédiction.
Sorti en dvd zone 2 français chez Warner
Love Rudiments, de Ty Segall (2024)
Il y a 1 heure
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