En 1954, en pleine
guerre d'Indochine, la 317e section locale supplétive composée de 4 Français et
de 41 Laotiens doit abandonner le petit poste de Luong Ba à la frontière du
Laos, et rallier Tao Tsaï à cent cinquante kilomètres plus au sud, à travers la
forêt hostile et les forces Viêt-Minh qui déferlent sur les Français. Elle est
commandée par quatre officiers et sous-officiers français, dont le jeune
sous-lieutenant Torrens secondé par l'adjudant Willsdorff, un vétéran de la
Seconde Guerre mondiale. Au cours de cette fuite ponctuée d'embuscades et de
morts, le respect hiérarchique entre les deux hommes se transforme en amitié.
La 317e
Section est un des rares films à évoquer la guerre d’Indochine, long et
sanglant conflit qui marque la fin de l’empire colonial français. Pierre
Schoendoerffer par son goût du romanesque (marqué par des influences
littéraires allant de Joseph Conrad à son mentor Joseph Kessel) et son attrait
de l’ailleurs (développé précocement par une expérience de matelot à 19 ans) ainsi
que de sa vraie expérience du conflit, était le candidat idéal pour le mettre
en image. Il se porte volontaire pour l’Indochine après son service militaire et
filme la guerre de 1952 à la chute de la bataille de Ðiện Biên Phủ en 1954 où
il est fait prisonnier avec toute la garnison. Cette expérience le marquera
durablement, au point d’être le sujet de plusieurs romans et films de sa
carrière de cinéaste et d’écrivain : La
317e Section et Diên Biên Phu
(1992) ou encore L’Adieu au roi
(1989) magnifiquement adapté par John Milius - qui s'en inspirera aussi pour son scénario d'Apocalypse Now (1979).
C’est faute de pouvoir concrétiser ses projets
cinématographiques que Pierre Schoendoerffer se tourne vers l’écriture et signe
son premier roman avec La 317e
Section qui parait et connait le succès en 1963. Joseph Kessel avait
quelques années plus tôt présenté Schoendoerffer au futur producteur
emblématique de la Nouvelle Vague, Georges de Beauregard. Kessel l’impose sur La Passe du diable (1958) dont il écrit
le scénario puis lancé Schoendoerffer réalise Ramuntcho (1959) et Pêcheur d’Islande
(1959) où se confirme cette veine aventurière. La 317e Section sera
ainsi sa première œuvre personnelle et ambitieuse et celle où se constitue le
socle de ses meilleurs films, que ce soit justement Georges de Beauregard à la
production, Raoul Coutard à la photo et Bruno Crémer et Jacques Perrin au
casting. Soucieux de retranscrire au plus près son vécu, Schoendoerffer imposera
des conditions spartiates à son équipe bivouaquant dans la jungle cambodgienne
lourdement chargée, approvisionnée par avion et se levant aux aurores durant le
mois de tournage. Le cinéaste opère un changement majeur par rapport à son roman
avec un point de départ passant du 26 avril 1953 au 4 mai 1954. Cela rapproche
les évènements de la Bataille de Diên Biên Phu et participe au ton désenchanté
et crépusculaire du film, marquant la fin d’une ère.
On suit donc la fuite effrénée de cette 317e
section, seul vestige de cet empire colonial qui s’effondre dans des contrées sauvages,
nid de multiples assaillants invisible. L’ennemi intéresse moins le réalisateur
que de scruter le moral vacillant des troupes menées par le jeune
sous-lieutenant Torrens (Jacques Perrin) et l'adjudant Willsdorff (Bruno
Crémer) plus expérimenté. Au départ la fougue aventurière du jeune homme (voir
son exaltation lors de la première confrontation armée) et l’attachement du
vieux baroudeur à ces contrées (son geste d’humeur au moment du départ, son
désir de s’installer sur place s’il était démobilisé) offre un réel attrait qui
annonce l’ivresse du héros de L’Adieu au
roi. La frontière est ténue dans le rapport des blancs aux autochtones,
entre paternalisme colonial et sincère attachement et responsabilité sur le
terrain. Le réalisme souhaité par Pierre Schoendoerffer s’affirme à plusieurs
niveaux.
Dans les conditions de tournages comme précédemment évoqués, mais
également par le naturel de ses protagonistes dans l’action. Bruno Crémer
impose un charisme confondants, le phrasé détendu et autoritaire (magnifique
moment où il raconte une anecdote guerrière à Jacques Perrin, truffés de petites
interruption où transpire ce réalisme sans forcer le trait) laissant avec
naturel comprendre sa connaissance du terrain, des us et coutumes des locaux.
Le récit ne cède pas à une bête opposition entre le novice et l’ancien, le
respect du grade se faisant tout en cherchant à transmettre cette expérience. Willsdorff
(d’ailleurs frère du héros d’une autre épopée de Pierre Schoendoerffer, Le Crabe-tambour (1977)) se pliera ainsi
à la volonté de Torrens de ne pas abandonner les blessés même si l’avenir lui
donnera raison, et la confiance et la quête de conseil auprès de l’aîné se fait
au fil de cet apprentissage, sans conflit.
La mise en scène rend les protagonistes de plus en plus
étrangers au lieu, dans les images somptueuses de Raoul Coutard comme dans l’incarnation
des personnages à l’écran. Des éléments simples traduisent la supposée
domination des colons (le plan de Perrin visant un adversaire dans la lunette
de son fusil) pour toujours être bousculés dans la scène suivante. La jeunesse
fougueuse de Torrens se désagrège pour faire de lui un squelette déshydraté par
les rigueurs de la jungle, les préceptes humaniste cèdent à la réalité
guerrière (les cadavres désormais abandonnés sans enterrement, voire piégé) et
les faits d’armes sont pitoyable telle cette tentative de refaire « la
charge de la brigade légère » dénué de panache et d’héroïsme.
A l’image de
la mort lente et douloureuse du sergent Roudier (Pierre Fabre) adoucie par les
senteurs de l’opium, l’homme blanc n’est plus qu’un spectre amené à disparaître
en ces lieux dont l’attrait ne tient plus qu’à une illusion toxique. La
sècheresse de l’ouverture et du final porté par une musique austère et une
voix-off façon film d’actualité traduisent cette dimension inéluctable, faisant
brillamment osciller le film entre veine documentaire et oraison funèbre d’un
monde révolu.
Sorti en dvd zone 2 français chez StudioCanal
Bonjour, je revois cette bande en songeant à mon père qui vient de mourir (Indochine 49-52) puis Maroc, Algérie, comme tant d'autres. En songeant à tous ceux que j'ai connus, anciens du Tonkin, du Laos et à tous ceux dont je n'ai qu'entendu parler parce qu'ils y étaient morts comme un cousin de mon père, aspirant au régiment de chasseurs laotiens, tué en novembre 1946. Merci.
RépondreSupprimerMerci à vous et sincères condoléances pour votre père.
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