Julie Gardiner Adams revit les souvenirs de sa rencontre avec Roger
en écoutant la chanson Penny serenade. Dès lors, elle se souvient aussi
du tremblement de terre qui lui fit perdre son enfant et le chagrin qui
sépara le couple avant qu’ils n’adoptent une petite fille...
La Chanson du passé
marque un tournant dans la filmographie de George Stevens. De ses
débuts de directeur photo pour Laurel et Hardy ou Hal Roach à sa propre
carrière de réalisateur, George Stevens était associé au divertissement
bondissant quel que soit le genre abordé, du film d'aventures Gunga Din (1939) à la comédie musicale Sur les ailes de la danse (1936) en passant par la comédie romantique comme Mariage Incognito
(1937). Sous la légèreté Stevens faisait montre d'une préoccupation
sociale, d'une tendresse et sensibilité palpable pour ses personnages
qui se manifesterait avec des œuvres plus personnelles comme les
charmants La Justice des hommes (1942) et Plus on est de fous
(1943). Néanmoins on situe le virage "sérieux" du réalisateur après
1945 où engagé dans les services cinématographiques de l'armée
américaine durant la Deuxième Guerre Mondiale, il fut marqué à vie
lorsqu'il filma les images de la libération du camp de concentration de
Dachau. Le divertissement pur n'aura plus cours dans la suite de sa
filmographie, de l'épopée intime I remember Mama (1948) à la tragédie du célébré Une place au soleil (1951) où la transcendance héroïque (Shane (1953)), épique (Géant (1956) ou religieuse (La Plus Grande Histoire jamais contée (1965)). Pourtant tous ces éléments s'amorcent dans La Chanson du passé,
un des premiers films réellement dramatiques de George Stevens. La
narration en flashback et la vision délicate de l'amour parental de I remember Mama, le questionnement des institutions de La Justice des hommes et toute la noirceur à venir s'expriment déjà ici.
George
Stevens se plait ici à confronter les personas filmiques de son couple
vedette Cary Grant/Irene Dunne. La légèreté de Cary Grant se confronte à
l'aura plus grave d'Irene Dunne qui, si elle se montrer assez
extraordinaire dans le registre comique (la screwball comedy déjantée Theodora devient folle (1936)) est surtout célébrée pour ses grands rôles dans le mélodrame (Back Street (1933) et la première version du Secret Magnifique (1935) de John Stahl, Elle et lui
(1939) de Leo McCarey). Si les flashbacks introduits par de superbes
transitions musicales s'amorcent par le regard mélancolique d'Irene
Dunne, le sentiment est plus fluctuant tout au long du récit. Le charme
ahuri et maladroit de Cary Grant éclaire la gravité de sa partenaire
lors de la magnifique scène de rencontre mais c'est cette même
insouciance immature qui pèsera sur le couple. George Stevens en joue
dans par sa mise en situation pour faire savourer la malice de Cary
Grant (ce plan large où accapare l'attention d'Irene Dunne en lui
apportant une pile de disque à écouter dans la boutique) où l'émotion
d'Irene Dunne (ce gros plan sur son visage charmé et narquois quand elle
saisit un autre subterfuge de séduction grossier).
Les ellipses et les
séquences rallongées se dédoublent pour exprimer une même émotion,
notamment le désir du couple, d'abord amoureux transis retenant
difficilement leur ardeur lors de la scène à la plage et jeunes mariés
consommant leur union avec empressement dans un wagon de train. Cet écho
alternativement furtif ou appuyé fonction durant tout le film,
l'immaturité de Cary Grant mettant à mal le ménage à ses prémisses et le
brisant presque définitivement par sa réaction au drame auquel ils sont
confrontés à la fin de l'histoire. Le désir de foyer stable et
maternité d'Irene Dunne s'oppose donc constamment à l'ambition et
l'égoïsme de Cary Grant, la grande tragédie s'invitant sous les formes
les plus diverses pour signifier une union impossible.
Si le
message s'inscrit dans les valeurs familiales hollywoodiennes attendues
(le couple ne peut s'épanouir qu'à travers la parenté), George Stevens
peut compter sur de superbes prestations pour l'exprimer. Le comique
tendre s'illustre dans le désarroi du couple face à ce nourrisson dont
il faut s'occuper, et l'émotion touche au cœur tant le ton sait se faire
subtil. On retrouve ce jeu de l'ellipse et de la longueur, les
atermoiements amusant (premier bain, première couche et première veille
nocturne laborieuse du bébé) laissant place à un moment bouleversant
lors de la tirade vibrante de Cary Grant face au juge d'adoption pour
obtenir la garde.
L'acteur se met à nu comme rarement à cet instant et
l'ensemble de sa prestation lui vaudra une nomination à l'Oscar. Cette
narration en flashback dramatise avec force chaque épisode qui constitue
une vraie tranche de vie intense à la tonalité guidée par la pièce
musicale qui l'amène, et Stevens magnifiera ce mode narratif dans I remember Mama.
Le drame n'est jamais appuyé avec lourdeur par ces ellipses qui
escamotent les rebondissements tragiques pour faire ressentir la douleur
de "l'après" chez les personnages, dont la caractérisation initiale
rend de plus en plus distant l'un de l'autre. Seule la conclusion cède à
une certaine facilité mis ne saurait gâcher la force de ce beau mélo.
Sorti en dvd zone 2 français chez Wild Side
Tótem (2024) de Lila Avilés
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