Lorsque le Holmes Woolen Mill
se retrouve ravagé par un incendie, son directeur, Andrew Holmes, accuse
l'un des employés, Leopold Dilg, contestataire notoire. Un homme ayant
été tué dans le désastre, Dilg, qui clame son innocence, se retrouve
inculpé de meurtre au milieu d'une campagne de presse savamment
orchestrée par Holmes. Ayant réussi à s'évader, et décidé à obtenir un
jugement équitable, il trouve refuge chez Nora Shelley, une ancienne
camarade de classe. Mais cette dernière loue justement sa maison à
Michael Lightcap, un important juriste de Boston venu au calme pour
écrire un livre...
George Stevens réussi avec un brillant mélange de comédie romantique et de réflexion sociale avec ce surprenant The Talk of the Town.
Les ruptures seront de mise tout au long du récit avec notamment une
ouverture saisissante et digne d'un film noir qui nous fait découvrir la
situation dramatique de Leopold Dilg (Cary Grant). En quelques
vignettes nous découvrons le parcours ayant mené le personnage en prison après avoir été accusé de l'incendie de l'usine de son patron Andrew
Holmes et provoqué la mort d'un gardien.
Cette entrée en matière choc
nous laisse dans l'expectative, d'autant que Stevens use très bien de
l'allure inquiétante que peut avoir Cary Grant sous les airs joviaux (et
surtout exploité avec brio par Hitchcock dans Soupçons (1941) ou Les Enchaînés (1946))
lors de son évasion et de la traque qui s'ensuit. La thématique du film
est déjà posée avec le regard sur Dilg qui est biaisé par
l'introduction tapageuse et qui en fait une figure menaçante, le scénario
questionnant constamment sur ce qui définit réellement un être derrière
ce qu'une campagne médiatique peut en faire. C'est d'abord ce que saura
voir Nora Shelley (Jean Arthur), amie d'enfance de Dilg chez laquelle il
se réfugie, où plutôt la pension qu'elle loue. Ne sachant que faire
d'un Dilg blessé et repu de fatigue et ne pouvant se résoudre à le
dénoncer, Nora sera bientôt prise de cours lorsque son premier locataire
arrive en avance. Il s'agit en plus de la personne la moins indiquée vu
la situation, le très austère et acariâtre Michael Lightcap (Ronald
Colman), juriste prestigieux de Boston venu au calme pour écrire un
livre.
Stevens tiens alors avec un équilibre délicat comédie
enlevée, triangle amoureux et trame policière toujours en poursuivant
ce thème de ce qui se révèle derrière l'idée qu'on veut nous donner
d'un personnage. Leopold Dilg s'avère ainsi un activiste dont le patron
a voulu se débarrasser tout en touchant les assurances de son usine
déclinante, aura monté toute la petite ville contre lui et acheté juges
et journaux locaux pour parvenir à ses fins. Lightcap s'avère tout à la
fois la pire et la meilleure compagnie possible par sa rigueur et sens
de la justice pour faire changer les opinions et sauver Dilg. Seulement,
le jugement de Lightcap est surtout théorique et représente une
application froide et sans âme de la loi en laquelle il a toute
confiance. Nora et Dilg devront amadouer le glacial juriste pour le
convaincre et le scénario joue sur plusieurs registres pour le pousser
dans ses derniers retranchements. D'abord la grosse comédie où une
délicieuse et maladroite Jean Arthur titille sévèrement les nerfs d'un
Ronald Colman raide comme la justice justement, au phrasé précieux et
susceptible même s'il ne tardera pas à être sous le charme.
L'autre
angle d'approche est la réflexion avec une vraie respiration entre
l'urgence du début et la fin du film où Dilg se faisant passer pour le
jardinier bouscule Lightcap dans son idée de loi et qui pour lui doit
prendre l'humain avant de poser son verdict aveugle et implacable, ce
déséquilibre étant la cause de cet engagement qui lui a causé tant de
problème. Lightcap rarement aussi bousculé revoit ainsi progressivement
son jugement d'autant qu'il est exposé à la corruption locale et à la
campagne contre Dilg téléguidée par sa "victime". Stevens ose une sorte
d'aparté philosophique et une confrontation intellectuelle qui n'ennuie jamais et met en valeur les deux
héros masculins dont la rivalité hors écran (Cary Grant ayant demandé le
changement du titre initial Mr Twilight
mettant en avant le personnage de Colman plus riche selon lui et le
film constituant à l'époque une rareté avec deux lead stars masculine
partageant ainsi l'affiche sur un pied d'égalité) se prolonge dans le
film pour les faveurs de Jean Arthur.
Les deux héros sont d'ailleurs si
bien caractérisé et attachants que l'indécision du triangle amoureux se
maintient jusqu'à la dernière minute, Stevens tournant les deux options
possibles et ne faisant son choix qu'après les retours de
projection-test. Cary Grant et Ronald Colman sont en fait les deux
revers d'une même pièce formant la justice idéale, le premier sous ses
airs légers incarnant un personnage engagé et déterminé devant parfois
apprendre à rentrer dans le rang et faire confiance aux institutions.
A
l'inverse Colman doit aller au-delà des textes et décrets pour plonger
parmi ceux sur lesquels ils seront appliqués, savoir se dérider et
s'adapter au défaillances bien humaine qui rendent le jugement parfait
impossible sans une proximité et clairvoyance. L'idée de fendre l'armure
de notable distant en se rasant la barbe est brillante, mettant le
personnage sur les bons rails dès qu'il arbore une moustache bien plus
séduisante. Jean Arthur est au centre de ses idéologies, représentant
justement ce peuple dans ce qu'il a de plus sincère en voyant l'innocent
derrière l'accusé idéal désigné par les journaux pour Dilg, et l'homme
compatissant et sympathique derrière le juriste glacial pour Lightcap.
La
dernière partie en forme de trépidante enquête policière inverse donc
les rôles pour une issue attendue mais très bien amenée. On adhère à
l'idéalisme de Stevens porté par un trio d'acteurs épatant et porté par
un propos passionnant dans ce très beau film.
Sorti en dvd zone 2 français chez Sony mais l'édition étant introuvable désormais et hors de prix se pencher sur le zone 1 bien plus abordable et qui comporte des sous-titres français
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Stevens est assez fort pour pratiquer le mélange des genres . Son Penny Serenade est sur ce point, un modèle, jouant sans cesse entre comédie et mélo. Et sa direction d'acteur, on ne le dit jamais assez, vaut largement celle d'un Cukor si souvent cité et plébiscité.
RépondreSupprimerMais là, j'ai trouvé la partie didactique et blablas autour de la justice, assez ennuyeuse quand même.
Il faut dire que le scenario ne tient pas très bien (le gardien en 2 articulations, c'est une de trop. La filature du vendeur de borstch est une ruse scénaristique bien pauvre, etc). Et le traitement du personnage de Cary Grant au cours du film est un peu léger. Il paraît bien décontracté pour un évadé recherché et promis au lynchage. D'autant qu'avec ce début (la fuite dans la nuit et la pluie), ça frappait plutôt fort. Le personnage de Colman en revanche paraît plus subtilement traité (et joué).
Bref, j'ai trouvé que ça se traînait un peu et que ça n'échappait pas à une certaine pompe. Il dure quasi 2 heures. 20 mn de moins n'auraient pas nui.
Je suis assez d'accord sur le côté didactique un peu appuyé mais j'aime justement la façon dont le jeu léger (mais quand même moins décontracté que dans d'autres rôles ouvertement comiques) de Cary Grant contrebalance la lourdeur que pourrait avoir le propos. C'est d'ailleurs pour cela que l'enquête de la dernière partie parait un peu expédiée (et moins captivante d'où peut être les 20 minutes de trop) passé l'ouverture inquiétante Stevens cherche constamment à montrer les personnages sous un jour plus positif allant au delà des apparences (idem pour Colman qui de collet monté devient bien plus sympathique au fur et à mesure) donc ce n'est pas forcément très fin quand ça passe juste par le discours, mais en se reposant sur le charisme du casting ça passe plutôt très bien pour moi.
RépondreSupprimerTop, comme d'hab !
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