Sur les contreforts de l’Himalaya, une congrégation de nonnes s’établit dans un ancien harem avec l’intention de transformer le lieu en dispensaire. Dean, un agent anglais, est chargé de les aider à construire l’école qui servira à éduquer les enfants de la région, mais il se heurte rapidement à la sœur Clodagh qui trouve ses manières incorrectes. Au sein de la communauté, la solitude pèse de plus en plus sur les cœurs, et les tensions s’exacerbent…
Après les visions fantastiques du bijou Une Question de Vie ou de Mort (1946), Powell et Pressburger
poursuivaient leur cycle de l’émerveillement avec une de leurs plus éclatantes
réussites, Le Narcisse Noir. Le film
adapte le roman éponyme de Rumer Godden, l’ouvrage alliant l’art du dépaysement
et de l’exotisme de l’auteur avec sa capacité à lier ces environnements aux
passions et désir naissant de ses personnages. On en a d’ailleurs un archétype
extrême en tout point avec ce postulat de départ où une congrégation de nonnes
établissent une mission dans le palais de Mopu, situé dans les contreforts
de l’Himalaya au sein du contrée sauvage loin de toute civilisation. Dès l’entame
du projet et après la finalisation du script par Pressburger, les
collaborateurs du duo envisagent déjà les périples de repérage en Inde afin de
choisir les lieux de tournage adéquat. Michael Powell les stupéfie par l’idée
folle qu’il envisage : rester en Angleterre et filmer entièrement le film
en studio, à Pinewood.
Aventurier dans l’âme, randonneur émérite et n’ayant pas
hésité par le passé à tourner dans des contrées reculées (le merveilleux À l'angle du monde (1937) est là pour le
prouver), Powell ne fait pas ce choix par coquetterie. Recréer totalement cet
environnement contribuera d’autant plus à en faire une Inde de fantasme ce qui
est parfaitement judicieux au vu de la thématique du Narcisse Noir.
Le film offre en quelque sorte un pendant négatif à Horizons Perdus (1937) de Frank Capra où l’isolement et le cadre naturel flamboyant faisaient accéder les héros à une forme d’apaisement et de spiritualité. C’est tout l’inverse ici où la beauté des lieux crée chez les nonnes un sentiment de vertige et de vide les forçant à regarder en elles-mêmes, les démons du passé troublant la quiétude que leur a conféré le sacerdoce religieux.
Le film offre en quelque sorte un pendant négatif à Horizons Perdus (1937) de Frank Capra où l’isolement et le cadre naturel flamboyant faisaient accéder les héros à une forme d’apaisement et de spiritualité. C’est tout l’inverse ici où la beauté des lieux crée chez les nonnes un sentiment de vertige et de vide les forçant à regarder en elles-mêmes, les démons du passé troublant la quiétude que leur a conféré le sacerdoce religieux.
Powell exprime ce bouleversement en plusieurs temps. Ce sera tout d’abord
avant l’arrivée des nonnes avec une caméra explorant le palais encore désert
tandis que nous sont distillées des informations sur le passé de la bâtisse :
celle-ci servait autrefois de harem au roi et Powell s’attarde longuement sur les fresques
aux murs dévoilant des situations de stupre, des dessins de figures féminines
dénudées et lascives. L’atmosphère de désir et de rivalité féminine ayant
imprégnée les lieux va progressivement altérer le comportement de la
congrégation.
La splendeur du paysage semble trop écrasante, trop irréelle
pour être supporté au quotidien par l’œil humain pour lequel l’imperfection est une source d’amélioration.
Powell offre ainsi des visions stupéfiantes où les effets visuels (incroyables
mattes-painting) d’Alfred Junge font merveilles pour illustrer cette beauté
dont on doit détourner le regard (le clocher situé sur les cimes d’une falaise
à la profondeur de champs prodigieuse) sous peine de s’y noyer, où le sentiment
d’isolement est exacerbé par la distance de ces chaînes de montagnes s’étendant
à perte de vue. Ce parti pris donne une texture tangible aux lieux tout en leur
conférant une aura surnaturelle et irréaliste.
La photo de Jack Cardiff par son
Technicolor aux teintes surexposées exacerbe tous les motifs locaux, la faune
et la flore aux éclats de Jardin d’Eden païen, les tenues criardes et les
diamants du jeune prince, la peau brune et brillante de la tentatrice jouée par
Jean Simmons.
Comme le soulignera un dialogue, pour survivre le choix est
simple : s’abandonner totalement à la promesse de plaisirs de ces lieux (l’agent
anglais que joue de David Farrar et que l’on devine déjà bien dépravé par les
longues années de service) ou en faire totalement abstraction à l’image de ce
saint homme indien stoïque et ne sortant plus de sa longue méditation. Les
nonnes de par leur mission ne peuvent sacrifier à aucune de ces perspectives et
le drame naîtra de ce déséquilibre.
De façon légère pour Sœur Philippa (Flora Robson) oubliant
tout sens pratique pour inonder son jardin de fleur plutôt que de légumes. Plus
troublante pour la sérieuse Sœur Clodagh (Deborah Kerr arrachée à la MGM pour
une ultime collaboration alors que sa carrière hollywoodienne est lancée avec Marchands d’Illusions (1947)) auxquels reviennent
les souvenirs d’une déconvenue amoureuse en Irlande à l’origine de sa
profession de foi. Et enfin dramatique avec Sœur Ruth (Kathleen Byron) rongé
par le désir, la folie et la jalousie.
La virilité marquée de David Farrar (que
Powell prend un malin plaisir à dénuder, exposant son torse bronzé et velu pour
le plus grand trouble de nos nonnes) apporte ainsi un contrepoint perturbant à
la dimension virginale des nonnes, dont la robe pâle et le teint de cire expriment
ce refus de se perdre dans la sensualité bariolée ambiante.
Cette volonté vacille
pourtant progressivement, dans un premier temps par l’environnement sonore et
ce vent créant un murmure constant et n'accordant aucun répit dans silence mais aussi par le
score de Brian Easdale dont les motifs classiques sont de plus en plus perturbés
par l'instrumentation indienne, montrant ainsi la contamination des liux dans la psyché des personnages. La photo de Jack Cardiff exacerbe les
couleurs vive jusqu’au pourpre pour donner à la dernière partie cette atmosphère
sombre, gothique et crépusculaire où l’on plonge presque dans le fantastique.
Les héroïnes sont un vrai miroir de cette bascule Les
regards furtifs et peu chaste de Deborah Kerr envers David Farrar
trahissent l’émoi qu’elle cherche à dissimuler, tout comme sa sévérité envers Sœur
Ruth. Kathleen Byron offre quant à elle une prestation flamboyante où son
visage et son corps semblent littéralement se ployer sous le poids d’un désir
qu’elle ne peut plus contenir, jusqu’à ce subliment moment où elle abandonne la
soutane pour une robe rouge et se passe du rouge à lèvre écarlate.
Face au
rejet de l’objet de ses fantasmes, ne reste plus que la violence pour évacuer
sa frustration dans un final atteignant des sommets baroques. Il faudra bien la
mousson de l’ultime séquence pour purifier le tourbillon de sentiments
contradictoires qui se seront déchaînés. Le vertige des sens, l’expression osée
pour l’époque du désir féminin et la nature corruptrice expriment la thématique récurrentes chez Powell du choc des cultures (de À l'angle du monde, A Canterbury Tale, They're weird mob...) dans sa veine la plus charnelle pour ce nouveau chef d’œuvre.
Sorti en dvd zone et bluray chez Carlotta
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