Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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mercredi 23 avril 2014

Douze hommes en colère - Twelve Angry Men, Sidney Lumet (1958)



Un jeune homme d'origine modeste est accusé du meurtre de son père et risque la peine de mort. Le jury composé de douze hommes se retire pour délibérer et procède immédiatement à un vote : onze votent coupable, or la décision doit être prise à l'unanimité. Le juré qui a voté non-coupable, sommé de se justifier, explique qu'il a un doute et que la vie d'un homme mérite quelques heures de discussion. Il s'emploie alors à les convaincre un par un.

Coup d’essai et coup de maître pour Sidney Lumet qui signe un classique absolu avec Douze hommes en colère qui l’initie à un genre qu’il abordera souvent pour le meilleur, le film judiciaire (Le Prince de New York (1981), Le Verdict (1982) Dans l’ombre de Manhattan (1997), Jugez-moi coupable (2006)). A l’origine du film on trouve tout d’abord un téléfilm diffusé en 1954 et porté par le scénario brillant de Réginald Rose qui s’inspirait de sa propre expérience de jury au cours d’un procès. L’unité de temps et de lieu, la place du dialogue et de l’éloquence dans le dilemme moral verront ce matériau passionnant exploité dès l’année suivante dans une transposition théâtrale mais c’est définitivement au cinéma que Douze hommes en colère marquera les esprits.  Henry Fonda tombera en effet sur le téléfilm et captivé par le sujet cherchera  à en tirer un film. Toutes les portes des studios se ferment malheureusement face au faible potentiel commercial et Fonda réussira uniquement à rallier la United Artist pour un budget dérisoire de 340 000 dollars qu’il complétera en partie de sa poche en tant que coproducteur. A la réalisation, son choix se portera sur le débutant Sidney Lumet rompu aux dramas en direct très en vogue à la télévision américaine durant les années 50 et donc apte à gérer un tournage resserré qui après deux semaines de répétitions intensive se fera en 21 jours exténuants.

Que raconte donc Douze hommes en colère ? Par une caniculaire fin d’après-midi, douze hommes assignés comme jury doivent décider du sort d’un jeune homme accusé du meurtre de son père et risquant la peine de mort. Avant qu’ils se retirent pour délibérer, le juge leur rappelle leur responsabilité de manière lasse, comme si l’affaire était entendue et amener à se décider rapidement. On a le même sentiment de détachement lorsqu’on pénètre dans la pièce de délibération où la conversation se fait légère et badine avant de s’installer et décider  du verdict. Surprise quand l’indispensable majorité est mise à mal par un seul homme votant non coupable face à ses onze co jurés convaincu de la culpabilité du jeune prévenu. C’est le juré numéro 8 (Henry Fonda) que Lumet aura subtilement mis à part en le montrant silencieux et plongé dans ses pensées quand les autres les autres adoptaient une attitude plus légère. Loin d’avoir été convaincu par l’instruction, il demeure chez lui un infime doute de la culpabilité de l’accusé et réclame aux autres jurés un temps de réflexion avant de prendre une décision. Des heures de discussions intenses s’annoncent.
Bien que mis en avant par sa défiance initiale, Henry Fonda (fabuleux) se fond parfaitement dans un casting de monsieur tout le monde représentatif de toutes les tranches d’âge, milieux sociaux et origines au sein de l’Amérique contemporaine. 

Tous les caractères s’y retrouvent également progressivement révélés par la tournure des évènements : le détachement du numéro 7 (Jack Warden) souhaitant en finir pour voir son match de base-ball et qui s’avérera une coquille vide, l’irrésolu juré numéro 12 (Robert Webber), le vieillard plein d’humanité qu’est le numéro 9 (Joseph Sweeney). L’indécision tiendra autant des failles réelles de l’instruction que les défenseurs tendront peu à peu à démonter qu’au bagage et aux démons qu’on amenés avec eux les jurés. Leurs origines sociales les amèneront à plus de compréhension quant à l’environnement  sordide du prévenu comme le numéro 5 (Jack Klugman) ou révèlera leurs haines et préjugés ordinaires aveuglant leur jugement comme le détestable numéro 10 (Ed Begley).

Lumet orchestre une véritable joute verbale qui vante autant qu’elle dénonce le système judiciaire américain (un jury concerné ou désinvolte pouvant décider de votre sort, parfois involontairement téléguidé par un procès à charge et bâclé), ce système ne pouvant fonctionner sans une réelle implication des personnes assignées. Cet engagement s’articule sur la conviction de chacun mais aussi de son passif, l’affrontement prenant un tour très personnel au final lorsque le juré numéro 3 (Lee J. Cobb intense) sera e seul à ne pas démordre de sa position car il voit en l’accusé et son parricide un prolongement de son propre fils avec lequel il est en conflit.

Lumet parvient brillamment à rendre cinématographique ce récit où hormis un aparté aux toilettes on se contente de suivre douze hommes assis autour d’une table. Le réalisateur définit sa mise en scène en plusieurs temps selon l’évolution du débat. On aura tout d’abord des plans d’ensemble capturant la table des jurés dans son ensemble lorsque tous sont convaincus et vote tous la culpabilité de l’accusé et où seule se détache le profil vêtu de blanc d’Henry Fonda. Le tout se déroule dans une atmosphère lumineuse de fin d’après-midi mais des éléments extérieurs (le ventilateur en panne) et la tournure de la discussion instaure une sensation étouffante et claustrophobe où les personnages se retrouveront bientôt suants et en nage pour défendre leur point de vue. Lumet se multiplie ainsi progressivement plans moyens, puis gros plan sur les visages de chacun, arc-boutés sur leur position, pour saisir l’indicible changement d’opinion se faisant dans leur esprit ou pour capturer une détermination sans failles. Il ne reviendra au plan d’ensemble synonyme d’entité collective que pour en faire un élément positif (contrairement au début où en suiveurs chacun a voté coupable) lorsque tout le monde quittera la table et tournera le dos à Ed Begley déclamant ces préjugés racistes.

 La dernière partie où la pluie diluvienne vient rafraîchir la pièce est celle aussi de la prise de conscience, celle où tous comprennent les enjeux d’une décision dont ils ne sont plus certains. La rage du plus vindicatif (Lee J. Cobb) se révèle ainsi dans toute sa déraison face à la mesure des autres jurés, ce que Lumet nous fait comprendre dans un saisissant champ contre champ où le juré numéro 3 vocifère des arguments maintes fois mis à mal face à ses contradicteurs l’observant calme et silencieux. 

La conviction a changé de camp. La justice est aveugle mais ne peut s’appliquer que si elle est guidée par des hommes de bonne volonté, ici avec des anonymes (on ne saura les noms de personnes si ce n’est dans les tous derniers instants) ayant su prendre le temps de la réflexion avant  d’appliquer leur droit de vie et de mort sur un homme. 

En dépit d’excellentes critiques et de trois nominations aux Oscars (meilleur film, meilleur scénario et meilleur réalisateur) le film ne sera pas un grand succès à sa sortie mais son aura ne cessera de grandir au fil des années, en faisant un classique s’inscrivant dans la culture populaire américaine et mondiale avec de multiples clins d’œil et hommages dans d’autres fictions (télévisées notamment), de nombreux remake (dont un télévisé par William Friedkin dans les années 90) et de multiples reprises au théâtre.

Sorti en dvd zone 2 et blu ray chez MGM

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