Un jeune homme d'origine modeste est accusé du meurtre de son père et risque la peine de mort. Le jury composé de douze hommes se retire pour délibérer et procède immédiatement à un vote : onze votent coupable, or la décision doit être prise à l'unanimité. Le juré qui a voté non-coupable, sommé de se justifier, explique qu'il a un doute et que la vie d'un homme mérite quelques heures de discussion. Il s'emploie alors à les convaincre un par un.
Coup d’essai et coup de maître pour Sidney Lumet qui signe
un classique absolu avec Douze hommes en
colère qui l’initie à un genre qu’il abordera souvent pour le meilleur, le
film judiciaire (Le Prince de New York
(1981), Le Verdict (1982) Dans l’ombre de Manhattan (1997), Jugez-moi coupable (2006)). A l’origine
du film on trouve tout d’abord un téléfilm diffusé en 1954 et porté par le
scénario brillant de Réginald Rose qui s’inspirait de sa propre expérience de
jury au cours d’un procès. L’unité de temps et de lieu, la place du dialogue et
de l’éloquence dans le dilemme moral verront ce matériau passionnant exploité
dès l’année suivante dans une transposition théâtrale mais c’est définitivement
au cinéma que Douze hommes en colère
marquera les esprits. Henry Fonda
tombera en effet sur le téléfilm et captivé par le sujet cherchera à en tirer un film. Toutes les portes des
studios se ferment malheureusement face au faible potentiel commercial et Fonda
réussira uniquement à rallier la United Artist pour un budget dérisoire de
340 000 dollars qu’il complétera en partie de sa poche en tant que
coproducteur. A la réalisation, son choix se portera sur le débutant Sidney
Lumet rompu aux dramas en direct très en vogue à la télévision américaine
durant les années 50 et donc apte à gérer un tournage resserré qui après deux
semaines de répétitions intensive se fera en 21 jours exténuants.
Que raconte donc Douze
hommes en colère ? Par une caniculaire fin d’après-midi, douze hommes
assignés comme jury doivent décider du sort d’un jeune homme accusé du meurtre
de son père et risquant la peine de mort. Avant qu’ils se retirent pour
délibérer, le juge leur rappelle leur responsabilité de manière lasse, comme si
l’affaire était entendue et amener à se décider rapidement. On a le même
sentiment de détachement lorsqu’on pénètre dans la pièce de délibération où la
conversation se fait légère et badine avant de s’installer et décider du verdict. Surprise quand l’indispensable
majorité est mise à mal par un seul homme votant non coupable face à ses onze
co jurés convaincu de la culpabilité du jeune prévenu. C’est le juré numéro 8
(Henry Fonda) que Lumet aura subtilement mis à part en le montrant silencieux
et plongé dans ses pensées quand les autres les autres adoptaient une attitude
plus légère. Loin d’avoir été convaincu par l’instruction, il demeure chez lui
un infime doute de la culpabilité de l’accusé et réclame aux autres jurés un
temps de réflexion avant de prendre une décision. Des heures de discussions
intenses s’annoncent.
Bien que mis en avant par sa défiance initiale, Henry Fonda
(fabuleux) se fond parfaitement dans un casting de monsieur tout le monde
représentatif de toutes les tranches d’âge, milieux sociaux et origines au sein
de l’Amérique contemporaine.
Tous les caractères s’y retrouvent également progressivement
révélés par la tournure des évènements : le détachement du numéro 7 (Jack
Warden) souhaitant en finir pour voir son match de base-ball et qui s’avérera
une coquille vide, l’irrésolu juré numéro 12 (Robert Webber), le vieillard
plein d’humanité qu’est le numéro 9 (Joseph Sweeney). L’indécision tiendra
autant des failles réelles de l’instruction que les défenseurs tendront peu à
peu à démonter qu’au bagage et aux démons qu’on amenés avec eux les jurés.
Leurs origines sociales les amèneront à plus de compréhension quant à
l’environnement sordide du prévenu comme
le numéro 5 (Jack Klugman) ou révèlera leurs haines et préjugés ordinaires
aveuglant leur jugement comme le détestable numéro 10 (Ed Begley).
Lumet
orchestre une véritable joute verbale qui vante autant qu’elle dénonce le
système judiciaire américain (un jury concerné ou désinvolte pouvant décider de
votre sort, parfois involontairement téléguidé par un procès à charge et bâclé),
ce système ne pouvant fonctionner sans une réelle implication des personnes
assignées. Cet engagement s’articule sur la conviction de chacun mais aussi de
son passif, l’affrontement prenant un tour très personnel au final lorsque le juré
numéro 3 (Lee J. Cobb intense) sera e seul à ne pas démordre de sa position car
il voit en l’accusé et son parricide un prolongement de son propre fils avec
lequel il est en conflit.
Lumet parvient brillamment à rendre cinématographique ce
récit où hormis un aparté aux toilettes on se contente de suivre douze hommes
assis autour d’une table. Le réalisateur définit sa mise en scène en plusieurs
temps selon l’évolution du débat. On aura tout d’abord des plans d’ensemble
capturant la table des jurés dans son ensemble lorsque tous sont convaincus et
vote tous la culpabilité de l’accusé et où seule se détache le profil vêtu de
blanc d’Henry Fonda. Le tout se déroule dans une atmosphère lumineuse de fin d’après-midi
mais des éléments extérieurs (le ventilateur en panne) et la tournure de la
discussion instaure une sensation étouffante et claustrophobe où les
personnages se retrouveront bientôt suants et en nage pour défendre leur point
de vue. Lumet se multiplie ainsi progressivement plans moyens, puis gros plan
sur les visages de chacun, arc-boutés sur leur position, pour saisir l’indicible
changement d’opinion se faisant dans leur esprit ou pour capturer une
détermination sans failles. Il ne reviendra au plan d’ensemble synonyme d’entité
collective que pour en faire un élément positif (contrairement au début où en
suiveurs chacun a voté coupable) lorsque tout le monde quittera la table et
tournera le dos à Ed Begley déclamant ces préjugés racistes.
La dernière partie
où la pluie diluvienne vient rafraîchir la pièce est celle aussi de la prise de
conscience, celle où tous comprennent les enjeux d’une décision dont ils ne
sont plus certains. La rage du plus vindicatif (Lee J. Cobb) se révèle ainsi
dans toute sa déraison face à la mesure des autres jurés, ce que Lumet nous
fait comprendre dans un saisissant champ contre champ où le juré numéro 3
vocifère des arguments maintes fois mis à mal face à ses contradicteurs l’observant
calme et silencieux.
La conviction a changé de camp. La justice est aveugle
mais ne peut s’appliquer que si elle est guidée par des hommes de bonne volonté,
ici avec des anonymes (on ne saura les noms de personnes si ce n’est dans les
tous derniers instants) ayant su prendre le temps de la réflexion avant d’appliquer leur droit de vie et de mort sur
un homme.
En dépit d’excellentes critiques et de trois nominations aux Oscars
(meilleur film, meilleur scénario et meilleur réalisateur) le film ne sera pas
un grand succès à sa sortie mais son aura ne cessera de grandir au fil des
années, en faisant un classique s’inscrivant dans la culture populaire
américaine et mondiale avec de multiples clins d’œil et hommages dans d’autres
fictions (télévisées notamment), de nombreux remake (dont un télévisé par
William Friedkin dans les années 90) et de multiples reprises au théâtre.
Sorti en dvd zone 2 et blu ray chez MGM
Sorti en dvd zone 2 et blu ray chez MGM
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