Au Japon, sur une
minuscule île de l'archipel de Setonaikai, un couple vit avec ses deux jeunes
enfants. La terre est aride et l'île ne possède pas de ressource en eau douce.
Pour cultiver cette terre ingrate et survivre, le couple est donc obligé de
faire de continuels voyages en barque entre la terre ferme et l'île : ramener
l'eau précieuse et en arroser avec attention et parcimonie chacun des plants
cultivés. Ces gestes renouvelés sans cesse rythment le quotidien.
L’île nue est un des
joyaux du cinéma japonais et constitue encore aujourd’hui un pur ovni. C’est
sans doute le chef d’œuvre du réalisateur Kaneto Shindo dont l’inspiration
naîtra d’une contrainte. Au départ assistant décorateur puis scénariste au sein
de la Shoshiku, Shindo passe à la réalisation en 1950 et crée l’année suivante
sa société de production Kindaï Eiga Kyokai. Dix ans et une quinzaine de films
plus tard, la société se trouve en grande difficulté financière, contraignant
Shindo a rapidement mener un projet commercialement viable s’il veut éviter la
faillite.
Malheureusement la société n’a plus les moyens de produire un film
couteux en studio, et du coup Shindo choisira une solution plus radicale. Sur
un squelette de script ne faisant que quelques pages et narrant la vie de
paysans sur une île de l'archipel de Setonaikai, Shindo opte pour un tournage
en plein air (l’île de Mihara non loin d’Hiroshima) avec une équipe réduite de
dix techniciens qui ne nécessitera qu’un budget modeste de trois millions de
yens au cours des deux mois de tournage.
Le film s’ouvre sur de majestueuses vues aériennes de l’archipel
puis de « l’île nue » que l’on pénètre progressivement, y assistant
au labeur du couple joué par Taiji Tonoyama et Nobuko Otowa (épouse de Kaneto
Shindo et actrice fétiche de 41 de ses films). Le ton est donné avec des images
élégiaques et hypnotiques dont la beauté fascinante est contrebalancée par les
activités pénibles qu’elles dépeignent. L’île où vivent nos personnage est doté
d’une terre aride et dépourvu d’eau douce, les obligeant à d’incessant
aller-retour en barque pour cherche de quoi arroser leur culture. Shindo crée
par cette répétitivité une atmosphère hypnotique se jouant sur le montage où s’alternent
les déambulations des paysans, leurs visages striés par l’effort la pêche du
fils cadet et le mouvement perpétuel de la nature environnante.
Le premier
aperçu de ce cadre de vie harassant se déroulera sur une journée, sa monotonie
étant seulement interrompue pour faire surgir l’humanité qui différencie ces
êtres de simples bêtes de sommes, que ce soit par les moments de relâches
partagés (petit déjeuner et dîner, le bain ragaillardissant du soir) ou lorsque
la mère montre une rare trace de lassitude en renversant un seau d’eau. Shindo
étendra ensuite le procédé sur une temporalité plus étendue, au fil des saisons
où seuls les changements climatiques nous feront différencier la période où l’on
se situe tant le rituel de nos personnages semble inamovible.
La musique d’Hikaru
Hayashi joue un rôle essentiel par sa nature lancinante appuyant sur l’aspect
immuable et fataliste de cette tâche, mais exprimant aussi une profonde
mélancolie, une vraie empathie pour ces êtres. Cela offre un contrepoint et
guide en partie l’émotion du film qui totalement dépourvu de dialogues, comme
si la parole était un effort et un privilège que les protagonistes ne pouvaient
se permettre.
Shindo interrompra le cycle pour le bonheur et le malheur de
cette famille. Le bonheur, c’est lorsque les enfants pêchent un énorme poisson
dont la vente permettra enfin une brève échappatoire avec une sortie en ville
où l’on se détend, on daigne enfin se relâcher, sourire et entrapercevoir une
modernité que cette vie rurale ancestrale ne laisse pas deviner (le voyage en
bateau à vapeur plutôt qu’en barque, la
télévision…). Le destin cruel vient troubler cette quiétude dans l’effort
également l’aîné des enfants tombera malade, confrontant cette famille à son isolement
et son dénuement.
Ces êtres courageux ploient donc une nouvelle fois sans
rompre lors des dernières minutes poignantes. Tout est dit dans l’échange de
regard final entre les époux, la résignation, le désespoir et surtout, encore
et toujours, la force de reprendre la tâche. Kaneto Shindo réussi une prouesse
rare, nous captiver par la seule force de l’image (photo magnifique Kiyoshi
Kuroda dans un cinémascope fabuleux) au service de l’émotion. Un idéal de
cinéma pur.
Sorti en dvd zone français chez Wild Side
Tout ce que vous dites est juste et pertinent à mon sens.
RépondreSupprimerC'est en effet un pur chef-d’œuvre de pudeur sur la condition humaine.
Amicalement. Lebastard James