L’Aveu est le
second film hollywoodien de Douglas Sirk mais constitue un vrai projet
personnel puisque le réalisateur envisageait déjà en Allemagne cette adaptation
d’un roman d’Anton Tchekhov. C’est une période d’assimilation au système
hollywoodien pour Sirk qui le conduira à la grande période des mélodrames
Universal des années 50. En attendant, il se démène dans des productions moins
nanties et/ou constituant de délicieuses curiosités en regard de son œuvre à
venir comme l’excellent Scandale à Paris
(1946). L’Aveu par son sujet et le
traitement qu’en fait Sirk l’éloigne de l’imagerie des mélos technicolor
flamboyants auxquels on l’associe, tout en s’inscrivant dans une veine plus
intimiste souvent en noir et blanc d’œuvres poignantes et sobres comme All I desire (1953) ou Demain est un autre jour (1956) -
l’équilibre entre grand élans romanesques et tonalité feutrée se trouvant dans Tout ce que le ciel permet (1955) et La Ronde de l’aube (1958).
Dans la Russie désormais communiste de 1919, le manuscrit de
Fedor Petroff (George Sanders) se retrouve entre les mains de son ancienne
fiancée et nous replonge dans un drame vieux de sept ans. Fedor alors juge d’instruction
de province, tombe sous le charme de la vénéneuse et ambitieuse paysanne Olga
(Linda Darnell). Les inégalités de cette Russie encore tsariste se révèlent
sous diverses formes. La frivolité et la désinvolture des nantis envers les
démunis s’incarnent à travers le comte Volsky (Edward Everett Horton) où de la
femme de chambre à trousser au contremaître moqué Urbenin (Hugo Haas), les
pauvres ne sont que sources de soumission et d’amusement.
Cette cruauté culmine
lors de la scène de mariage d’Urbenin et Olga qu’accueille dans une fausse
magnanimité Volsky, le vrai but étant de s’amuser de la promiscuité entre ses
amis nobles et la plèbe. Cela crée dès lors des comportements tout aussi
extrême chez les pauvres, la détermination d’Olga d’échapper à sa condition
étant sans failles. Si cette lutte à tout prix contre le dénuement est au cœur de
l’œuvre de Tchekhov, elle rejoint aussi les thèmes de Douglas Sirk puisqu’Olga
préfigure en plus néfaste l’héroïne noire de Mirage de la vie (1959). Seul Fedor semble doté d’un vrai sens
moral mais c’est le désir fiévreux d’Olga qui le perdra jusqu’à une trahison et
sordide acte passionnel.
Formellement nous sommes loin du lyrisme que déploiera par
la suite Sirk. Cela est certes une question de moyens mais pas que. Le rythme
et l’atmosphère renvoient à une production européenne plus qu’hollywoodienne
dans le décorum austère et même lors des étreintes entre Fedor et Olga, tout
érotisme et sensualité étant réduits à leur plus simple expression – une comble
avec la présence d’une Linda Darnell. C’est comme si la noirceur d’âme des
personnages empêchaient toute imagerie éclatante même pour nourrir le drame.
L’équipe
du film en grande partie composée de migrants germaniques est pour beaucoup
dans ce ton singulier : Seymour Nebenzal producteur européen emblématique (M le maudit (1931) de Fritz Lang, Loulou (1929) et L’Atlantide (1932) de Pabst…) installé aux Etats-Unis ou encore le
directeur photo Eugen Schüfftan (des petites choses comme Les Nibelungen (1924), Metropolis
(1927) ou Quai des brumes (1938) au
C.V.). Le scénario de Douglas Sirk avec l’ajout d’un prologue et épilogue dans
la Russie bolchévique dessine à la fois des avancées (la fiancée accédant à un
haut poste d’éditrice) et un point de non-retour chargé de noirceur dans ce
monde changeant, appuyant la lâcheté de ces privilégiés déchus.
Sorti en dvd zone 2 français chez Sidonis
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