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mardi 4 novembre 2025

Gervaise - René Clément (1956)

Paris, à partir de 1852. Les malheurs et la déchéance de Gervaise, blanchisseuse abandonnée avec ses jeunes fils Étienne et Claude par son amant Lantier. Elle devient la femme de Coupeau, brave ouvrier couvreur qu'un accident voue à l'inaction, à l'alcoolisme et à la maladie.

Gervaise est la quatrième et plus célèbre adaptation du roman L’Assommoir d’Emile Zola, après celles muette d’Albert Capellani (1909), hollywoodienne de D.W. Griffiths (1931) et de Gaston Roudès en 1933. Le roman était le septième du cycle des Rougon-Macquart, où l’auteur s’attachait, dans l’observation sur cinq générations du destin d’une même famille, à dépeindre l’influence du milieu sur les individus et ainsi offrir un véritable portrait social du Second Empire. Le livre fit scandale à sa parution (d’abord sous forme de feuilleton en 1876, puis de roman en 1877) pour la crudité de ses situations, imposant ainsi le parti-pris naturaliste de Zola.

Cette adaptation de René Clément en édulcore certains des éléments les plus sordides (notamment la bascule dans la prostitution de certains personnages féminins comme Gervaise ou sa fille Nana maintenue enfant même si la fin amorce ce tournant) mais demeure d’une grande puissance dramatique. Le récit fait des démunis, et plus spécifiquement Gervaise (Maria Schell), des êtres guidés par leurs passions et pulsions. Pour notre héroïne cela passe par une bonté et une dévotion forgeant une volonté intense, mais aussi une naïveté et progressivement un abattement désespéré face à une adversité qui s’acharne sur elle. Les hommes sont souvent la cause de ces élans contradictoires. 

Il y a la pulsion charnelle pour le perfide Lantier (Armand Mestral), premier amant et père de ses enfants auquel elle pardonne l’impensable avant que ce dernier la quitte pour de bon, et pour lequel elle vibre encore quand il la retrouve mariée à un autre. Cet autre c’est Coupeau (François Périer), vaillant couvreur pour lequel elle éprouve de l’affection et de la reconnaissance, et qui se montrera un mari bienveillant avant que le malheur ne le fasse sombrer dans l’alcoolisme. Enfin, il y a l’élan du cœur pour Goujet (Jacques Harden), forgeron également amoureux d’elle, mais rencontré trop tard, alors que les graines du malheur semblent déjà avoir été semées.

La volonté de réussite de Gervaise étant soumise à ce rapport aux hommes, ses bonheurs et malheurs dépendent des humeurs de ses derniers. Cette crudité des milieux populaires s’impose dès une saisissante scène de bagarre entre blanchisseuses, la rage de Gervaise lui donnant la force corriger et humilier la sournoise Virginie Poisson (Suzy Delair). Cette flamme qu’elle porte et lui permettant de se relever de tous les malheurs, est aussi la même qui l’aveugle face à la malveillance de ceux qui lui veulent du mal, de ceux la tirant vers le bas. René Clément capture ainsi à merveille les noirs desseins de Virginie dans sa mise en scène, les champs contre champs subtils face à la bonté naïve de Gervaise, les manigances silencieuses se devinant aisément avant d’être explicitées par les évènements.

Les aspects trop sordides du roman que Clément ne peut transposer dans le cinéma français de cette époque, il les remplace par une vérité, une authenticité palpable dans cette description de la fange. Il y a un vrai sentiment de matière, olfactive, organique, corporelle se dégageant des environnements, des interactions entre les personnages. Pour le meilleur, c’est le fumet d’une volaille joyeusement partagée entre amis et pour le pire, c’est le stade le plus avilissant d’alcoolisme atteint par Coupeau dont ont observe les traces de vomi sur son corps endormi. Maria Schell est la personnification de cette corruption des âmes, pourriture des corps, suintement des lieux. Son visage lumineux se fait blafard et cerné, la voix douce et avenante s’altère, et la pureté d’âme s’estompe. Clément ne garde pas la prise de poids progressive de Gervaise présente dans le roman, et édulcore son alcoolisme bien plus présent à l’écrit. 

Mais finalement, en se reposant sur la candeur de son actrice, le réalisateur en fait un roseau bien plus long et difficile à faire plier, rendant l’ultime renoncement plus saisissant encore. Même si en retrait, les questionnements sociaux plus concrets de Zola sont bien présent aussi, que ce soit cette révolte ouvrière réprimée par les tribunaux, ou le traumatisme physique et psychique que développe un incident de travail chez l’artisan. Un grand film très justement salué à sa sortie par plusieurs récompenses et nomination (prix d’interprétation féminine et grand prix à la Mostra de Venise, Bafta du meilleur film et du meilleur acteur pour François Perrier, nomination à l’Oscar du meilleur film étranger) qui ouvriront notamment les portes d’Hollywood à Maria Schell.

Sorti en dvd zone 2 français chez Studiocanal 

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