Jeff Costello, dit le
Samouraï est un tueur à gages. Alors qu'il sort du bureau où git le cadavre de
Martey, sa dernière cible, il croise la pianiste du club, Valérie. En dépit
d'un bon alibi, il est suspecté du meurtre par le commissaire chargé de l'enquête.
Lorsqu'elle est interrogée par celui-ci, la pianiste feint ne pas le
reconnaître. Relâché, Jeff cherche à comprendre la raison pour laquelle la
jeune femme a agi de la sorte.
Le Samouraï est
sans aucun doute la pierre angulaire de la filmographie de Melville, l’œuvre qui
définit pour de bon un style qui ne doit plus rien à personne. Tous les
précédents polars (Bob le flambeur
(1955), Deux hommes dans Manhattan
(1959), Le Doulos (1962), Le Deuxième Souffle (1966)) du
réalisateur tendirent progressivement vers l’épure du Samouraï, l’obsession pour les Etats-Unis et la nature
référentielle des intrigues s’estompant pour un style de plus en plus unique.
Melville avait rompu dans la douleur avec le partenaire de ses premiers chefs d’œuvre
(Léon Morin, prêtre (1961) et Le Doulos), Jean-Paul Belmondo quittant avec
fracas le tournage de L'Aîné des Ferchaux
(1963) après avoir giflé le réalisateur suite à une agression verbale de
trop envers le malheureux Charles Vanel. Si Belmondo représentait la facette
amusée et truculente de Melville, celui-ci allait se trouver un autre double de
cinéma avec Alain Delon illustrant parfaitement sa facette froide et
énigmatique. Melville avait déjà approché Delon pour L'Aîné des Ferchaux qui avait décliné la proposition, tout comme l’adaptation
du roman Main pleine de Pierre-Vial
Lesou (finalement signé Michelle Deville
sous le titre de Lucky Jo (1964). Melville
lui propose finalement un scénario original qui dormait dans ses tiroirs et qu’il
viendra lire chez la star qui fascinée par l’épure des premières scènes sans
dialogues accepte avant même d’être arrivé au bout du script. Melville lui en
donnera alors le titre, Le Samouraï
et dans la foulée Delon l’emmènera dans sa chambre dont l’austérité et l’ameublement
ascétique (et où trône un sabre !) montre bien à quel point les deux
semblent s’être bien trouvé.
Le long et lent générique d’ouverture montre Jeff Costello
(Alain Delon) allongé le lit de sa chambre grise et austère, immobile. Déjà
économe de ses gestes et entièrement dévoué à sa tâche, le personnage ne daigne
esquisser un geste avant que film ne démarre réellement. Il s’écoulera ainsi
près de sept minutes presque totalement muette où en le voyant constituer les
éléments de sa mission à venir (véhicule, armes, alibis) dans des lieux et face
à des personnages divers, on devine la nature de ses activités criminelles.
Cela se confirmera lorsqu’il s’introduira, silhouette anonyme en feutre et
chapeau, pour froidement assassiner un homme dans un club.
Tous les éléments de
son énigmatique périple initial s’emboitent alors pour constituer l’alibi
imparable qui le dédouanera, montrant la méticulosité implacable du personnage.
Alain Delon est absolument fascinant, à la fois présent et absent. Le
professionnel glacial se dispute à l’homme en émoi voyant son organisation
rigoureuse mise à mal, puisque le film sera un chassé- croisé entre la police
qui le soupçonne sans avoir pu le coincer et ses commanditaires cherchant à l’éliminer.
Costello parvient ainsi à imposer une aura insaisissable où il est impossible à
des témoins de l’identifier, ce sang-froid inhumain se retournant également
contre lui car mettant la puce à l’oreille du commissaire (François Périer)
stupéfait par tant de maîtrise.
Melville s’en tient au squelette de cette intrigue qu’il n’étoffe
pas plus, que ce soit dans la caractérisation des personnages ou dans l’illustration
de l’environnement. Il faut attendre la scène d’interrogatoire pour savoir
comment se nomme Delon, tout comme sa dévouée maîtresse Jeanne Lagrange
(Nathalie Delon) quand certains sont tout juste réduit à leur fonction comme le
commissaire, la pianiste (Caty Rosier) ou l’homme de main (Jacques Leroy).
On est
loin également des cadres urbains vivant et bien identifiable des polars
précédents, Melville se partageant entre intérieurs stylisés (tournage dans les Studios
Jenner appartenant à Melville) et un Paris fantomatique (où la photo désaturée de Henri Decaë semble s'être délesté de tout semblant de couleur vive) se résumant à des
ruelles désertes à la dérobée où erre comme un spectre Costello. Il y aura bien
une haletante scène de filature dans le métro entre Jeff et la police (nul
doute que Friedkin a dû s’en inspirer pour son French Connection (1971)) mais là aussi le monde extérieur ne
semble pas exister, le moindre figurant dissimulant un policier traquant notre
héros et les lieux étant le simple théâtre de cette partie d'échec. Melville s’absout désormais totalement de ses influences passées et du
cadre contemporain pour ne plus filmer le monde, mais SON monde.
C’est un univers aussi abstrait que les
figures qui y déambulent, des hommes déterminés et intuitifs entièrement
dévoués à leurs objectifs. François Périer, truculent et tenace policier va
ainsi se convaincre de la culpabilité de Jeff sans la moindre preuve et usera
de tous les moyens pour prouver son intuition (et annonce le Bourvil du Cercle Rouge (1970) tandis que Costello
ne pensera jamais à fuir et cherchera jusqu’au bout et maladivement à rétablir
son équilibre initial. Celui-ci semble représenter par l’oiseau qu’il abrite
dans sa chambre, seul être pour lequel il semble montrer un semblant d’attention.
L’agitation du volatile lui indiquera ainsi que son sanctuaire a été violé
et que plus rien ne sera comme avant. Ne reste plus qu’à faire payer les
responsables et disparaître volontairement dans une troublante séquence finale
suicidaire. Le score minimaliste, jazzy et psychédélique de François de
Roubaix, illustre parfaitement le tourment retenu de Costello par sa froideur
synthétique. Un chef d’œuvre du polar à l’influence considérable, de The Killer (1989) de John Woo, The Driver de Walter Hill et sa récentedélicnaison Drive (2011) de Nicolas
Winding Refn.
Sorti en dvd zone 2 français et blu ray chez Pathé dans une restauration discutable donc peut être plus se tourner éventuellement vers l'édition Criterion en zone 1
Bon rappel du passage de Belmondo à Delon.
RépondreSupprimerFaussement glacé, ou alors à la manière de Laclos, "Le Samouraï" constitue avec "Un flic" le diptyque ritualisé, funèbre et amoureux de la relation fantasmatique entre l'acteur et le réalisateur.
Pour une autre approche :
http://lemiroirdesfantomes.blogspot.fr/2014/07/les-ombres-sans-larmee-sur-deux-films.html?view=magazine
Oui même si "Un Flic" est beaucoup moins équilibré et pousse un peu trop le principe jusqu'à l'abstraction désincarnée, vraiment décevant ce dernier film après pareille filmo j'en avais parlé ici
RépondreSupprimerhttp://chroniqueducinephilestakhanoviste.blogspot.fr/2011/08/un-flic-jean-pierre-melville-1972.html
Bon texte comme vous je pense aussi qu'il y a vraiment un rapprochement à faire avec le Friedkin dans l'atmosphère urbaine. Avez vous vu "The Driver" de Walter Hill ? Je trouve vraiment que c'est une des plus belles variations du Melville (bien meilleur que Drive qui l'a bien pillé) j'en avais parlé là
http://chroniqueducinephilestakhanoviste.blogspot.fr/2010/05/driver-walter-hill-1978.html
Hill, ancien monteur de Peckinpah, 'assure' indubitablement, loin derrière Friedkin, toutefois ("French Connection", mais aussi les dantesques "Police fédérale Los Angeles" et "Jade").
SupprimerNe garde pas un grand souvenir du "Solitaire" de Mann -
Quant à Michael Small, il signa aussi la belle partition mélancolique des "Femmes de Stepford" :
http://lemiroirdesfantomes.blogspot.fr/2014/07/les-femmes-de-stepford-une-femme-sous.html?view=magazine
Troublante ressemblance physique entre O'Neal et Gosling...
Les meilleurs Hill vieillissent plutôt bien je trouve dans l'ensemble entre "Sans Retour", "Le Bagarreur", "48 heures" ou Extrême Préjudice" (son tribut au parrain Peckinpah) il a vraiment une filmo d'une belle tenue. "Le Solitaire" c'est mon Mann favori tout ce que j'aime chez lui mais brut de décoffrage, à revoir à l'occasion le film sera réédité par Wild Side en fin d'année à de redécouvri ça en blue ray, j'en parlais ici
RépondreSupprimerhttp://chroniqueducinephilestakhanoviste.blogspot.fr/2011/01/le-solitaire-thief-michael-mann-1981.html
Effectivement comme en air entre O'Neal et Gosling même si le premier (loin d'être l'acteur le plus badass de cette décennie pourtant) en impose plus que Gosling. Mais bon même si j'apprécie le film j'ai de grosse réserves sur Drive je préfère les matrices de Melville, Hill et Mann le cynisme de Refn tue un peu le film qui était prometteur (je trouve vraiment la première moitié exceptionnelle et je décroche avec la surenchère qui suit malgré quelques fulgurances).
Incroyable ce film oui, mais tellement froid! Je suis ça de manière très détachée. Personnellement, je préfère largement le Cercle Rouge.
RépondreSupprimerEt je préfère limite le remake de Jarmush!
Ah oui j'avais oublié Ghost Dog dans les grosses influences super film et quasi remake effectivement ! Si vous trouvez "Le Samourai" froid, "Un Flic" c'est un iceberg" ^^
RépondreSupprimerJe crois que je l'ai pas vu. Enfin je chipote mais le Samouraï c'est quand même très bien
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