Un sujet de Sa
Majesté, vivant heureux dans une ville du Brésil, raconte comment il fit
fortune: modeste employé de banque, convoyeur de lingots, il rencontre un jour
Pendlebury qui approvisionne la France en petites tours Eiffel. Une idée
lumineuse jaillit des cerveaux des deux compères.
De l’or en barre
fait partie du combo magique de films sortis entre 1949 et 1951 qui
contribueront à associer définitivement Ealing à la comédie avec d’autres
titres mémorables comme Passeport pour Pimlico (1949), Whisky à gogo
(1949), Noblesse oblige (1949) et L’Homme au complet blanc (1951). Le
studio avait certes déjà signé quelques comédies mémorables auparavant comme Champagne Charlie (1944) mais ce n’était
qu’un genre parmi d’autres comme le drame, le film de guerre ou le film
historique. Ealing en tant que temple de la comédie britannique devra
grandement notamment au scénariste T.E. B. Clarke. Celui-ci sera responsable du
script mémorable de Passeport pour
Pimlico et aura déjà tenté le mélange entre récit policier et humour avec Hue and Cry (1947). Alors qu’il est
supposé signer le scénario du très sérieux polar Pool of London (1951), l’idée de The Lavender Hill Mob
germe dans l’esprit de T.E. B. Clarke avec l’idée d’un hold-up audacieux
orchestré par des quidams ordinaire. Emballé par l’idée, le patron d’Ealing
Michael Balcon lui fait abandonner Pool of London pour développer ce postulat.
Le scénariste révisera son premier jet – où la deuxième partie voyait les
lingots d’or passer de main en main et s’éloigner des voleurs initiaux – pour
concentrer l’intrigue sur les pérégrinations des apprentis criminels qui seront
incarnés par Alec Guinness et Stanley Holloway devant la caméra de Charles
Crichton.
Le film s’ouvre au Brésil où Mr Holland (Alec Guinness) mène
une véritable vie de pacha, bien de sa personne et prodigue avec son entourage
auquel il distribue les billets pour la moindre amabilité. La narration en
flashback nous le fait découvrir bien moins à son aise un an plus tôt, modeste
employé de banque et tatillon convoyeur de lingot. A l’extérieur, un être
insignifiant, ennuyeux et sans ambition, source de moquerie ou de bienveillance
déplacée pour son entourage se résumant à ses collègues, sa logeuse et ses
colocataires. A l’intérieur, Holland bouillonne et ne rêve que de dérober ces
lingots en formes de tentation insaisissable qui lui permettrait de s’offrir
une nouvelle vie loin de cette grisaille. L’occasion va lui en être donnée
lorsqu’il aura comme nouveau colocataire Pendlebury (Stanley Holloway) patron
d’une usine fabriquant des Tours Eiffel de
plomb pour la France. Dès lors, il va convaincre son nouvel ami d’user
de sa fonderie pour transformer les lingots en Tour Eiffel faisant passer le
butin inaperçu, et recruter les deux malfrats plus aguerris Shorty (Alfie Bass)
et Lackery (Sydney James) de les aider.
Après avoir contredit l’apparence et
les pensées de Holland dans l’intention, le script concrétisent ce fait lorsque
sous l’apparence austère notre héros s’enhardit en tant que cerveau criminel.
Nous y aurons été préparés de manière amusante lors de ces moments amusant où
Holland nous découvrons son goût pour les romans policiers de gare qu’il lit à
sa vieille colocataire dans un slang des plus gouailleur. Le crescendo est
constant pour révéler la malice du personnage, le regard se faisant plus vif
derrière ses épais verres de lunettes pour convaincre Holloway dans une
merveille de dialogue en sous-entendus de mener leur entreprise criminelle.
L’autosatisfaction tranquille de l’épilogue brésilien s’amorce déjà là avec ce
sourire plein d’assurance quand il reprend le titre qu’un acolyte lui a
attribué. Yes, I’m the boss.
Le seul reproche que l’on pourra faire au film, c’est de
tranquillement dérouler son programme sans réellement offrir de surprise. Un
tel sujet aurait pu donner un résultat bien plus subversif entre les mains d’un
Cavalcanti ou Robert Hamer et ainsi pousser plus loin l’ambiguïté que dégage le
jeu d’Alec Guinness. Ce n’est pas là l’intérêt de Charles Crichton – qui
attendra la pré-retraite et le sursaut tardif de Un Poisson nommé Wanda (1988) pour oser emmener la comédie dans un
registre plus agressif et moins bon enfant – qui cherche surtout à exploiter
avec la plus grande efficacité les moments de comédie lorsque le plan dérape.
Si le hold-up en lui-même n’a rien de particulièrement virtuose dans son
déroulement, les conséquences seront l’occasion de quelques mémorables morceaux
de bravoures. La dernière partie est ainsi placée sous le signe de la
course-poursuite, nos héros faisant tour à tour office de poursuivants et
poursuivis. Pour la première option, ce sera une traque haletante après des
Tours Eiffel en or mise sur le marché par erreur, occasionnant une descente
tourbillonnante de la vraie Tour Eiffel dans une scène aussi vertigineuse que
délirante où l’abattement de Guinness et Holloway fait merveille.
La seconde
prouesse sera une fuite à pied puis en voiture du duo pourchassé par la police
où Crichton convoque autant le comique de situation – les quiproquos où Holland
embrouille la police en usant de la radio – que le pur splapstick dévastateur
lorgnant sur Buster Keaton et annonçant les Blues
Brothers avec son carambolage épique. Là aussi tout à sa frénésie Crichton
ne s’attarde pas plus sur les moments qui auraient pu rendre l’ensemble plus
grinçant comme lors que Holloway et Holland dupent des fillettes pour récupérer
les Tour Eiffel égarées et traque celle n’ayant pas voulu leur céder la sienne.
Le spectacle est échevelé et plaisant mais manque toujours ainsi un peu de
consistance. Tout cela est résumé dans les dernière images où le génial côtoie
le conventionnel.
On jubilera ainsi de voir Holland échapper à ses poursuivants
en arrêtant tout simplement de courir pour retrouver l’insignifiance qui sut si
bien le rendre invisible à autrui. Le final où cette subversion se voit maladroitement
rattrapée par la morale – si au moins l’on avait eu le panache et l’ironie de L’Affaire Cicéron (1955) au final voisin
ce serait mieux passé – est nettement moins réussi par contre. Pas la meilleure
comédie Ealing donc mais un vrai bon moment néanmoins et un des films les plus
populaires du studio qui vaudra Oscar du meilleur scénario à T.E.B. Clarke.
Sorti en dvd zone 2 français chez Studio Canal
Sorti en dvd zone 2 français chez Studio Canal
Sympathique film, des moments vraiment drôles comme ces clins d’œil aux petits travers français : la bureaucratie peu efficace qu'on connaît si bien, "billets-passeports-douane-devises" lors de l'embarquement à Calais, le coup de la "grève des transports à Paris" servie à la logeuse au retour, un prétexte à toute épreuve ! Et sinon, nos deux larrons dans la gueule du loup lors de l'expo "La Police au travail" ; le camion de livraison "Les Matelas qui chantent"...
RépondreSupprimer