Sid Stratton est
chimiste. Des recherches le conduisent sur la voie d'une découverte susceptible
de révolutionner l'industrie textile : le tissu inusable et insalissable. Afin
de tester sa découverte, il se fait embaucher dans les filatures et parvient à
s'introduire dans les services de recherche. Grâce à l'appui d'Alan Birnley, un
gros industriel, la découverte de Stratton semble tout d'abord être un succès.
Mais les magnats du textile et les syndicats ouvriers entreprennent bien vite
d'empêcher l'exploitation d'une invention dans laquelle ils ne voient qu'une
dangereuse menace pour leur industrie.
Dès son premier film Whisky à gogo (1949), Alexander Mackendrick s’était avéré un des réalisateurs les
plus virulents et politisés du studio Ealing dans ce récit de résistance
alcoolisée d’un village écossais face à l’envahisseur anglais. Cette facette se
ferait plus brillante encore avec cet excellentt Homme au complet blanc où il fait montre d’une plus grande maîtrise
et signe un de ses chefs d’œuvre. Mackendrick avait longtemps envisagé de
traiter d’un film sur le domaine de l’invention et de la science où il
évoquerait les travers du monde de l’industrie. Sa première idée serait d’évoquer
l’arme atomique mais il ne trouverait jamais le ton idéal dans les scénarios
envisagés. L’étincelle viendra en lisant la pièce inédite et dormant dans les
tiroirs de son cousin Roger MacDougall qui lui offre la trame et le cadre idéal
à ses attentes même s’il la remaniera considérablement (au point de décevoir
les spectateurs de théâtre connaissant le film quand la pièce sera enfin jouée
en 1954) et y inventera quasiment le personnage d’Alec Guinness. Le résultat
donnera une fable visionnaire et cinglante sur le capitalisme moderne.
L’histoire nous dépeint les soubresauts que causera dans
l’industrie du textile l’invention du chimiste Sid Stratton (Alec Guinness) qui
invente rien moins que le tissu inusable et insalissable. Le ver est dans le
fruit dès l’ouverture, nous montrant un Stratton exploitant en sous-marin les
ressources des usines où il est engagé à des postes bien plus modeste afin de
poursuivre ses recherches. Les grands patrons de l’industrie nous sont alors
déjà montrés au mieux comme des incompétents découvrant sans en connaître la
teneur le laboratoire secret de Stratton et les énormes dépenses qui en découlentr.
Au pire et sous cette stupidité, ce sont de vils calculateurs dont chaque
action n’est motivée que par le profit, à l’image de l’odieux Corland (Michael Gough)
fiancé intéressé délaissant Daphné (Joan Greenwood) dès que la possible association
commerciale avec son père (Cecil Parker) sera caduque.
Stratton est ainsi un
électron libre et rêveur uniquement préoccupé par ses recherches et qui ne
trouvera pas plus sa place parmi les ouvriers. Mackendrick place d’ailleurs
cette classe populaire dans des stéréotypes complémentaires à ceux des nantis.
Les riches sont refermés sur eux-mêmes et leur seul soucis de l’argent, les
ouvriers sont certes plus compétents dans ce qu’ils font mais font montre d’un
même repli avec une obsession syndicale et des formules gauchistes prémâchées,
à l’image du tea time imposé à
Stratton par une collègue. Mackendrick n’aura pas été cherché bien loin
l’inspiration pour les figures de l’usine, le patron interprété par Cecil
Parker étant tiré du patron d’Ealing Michael Balcon et l’ouvrier syndicaliste
sur Sidney Cole, producteur du film et très porté sur les droits des
travailleur au sein du studio. La catastrophe est donc déjà en marche même si
Stratton trouvera une interlocutrice plus attentive avec Daphné, personnage le
plus lucide du film et sachant écouter et comprendre la portée de ses
recherches.
Alec Guiness est une fois de plus formidable dans son interprétation
de ce personnage naïf, obsessionnel et touchant dans son autisme le détachant
complètement des réalités du monde qui l’entoure. Mackendrick tout en le
rendant très attachant dans sa nature quasi enfantine n’en est pas moins
critique envers son héros qui ne mesure pas les conséquences de son invention,
uniquement obnubilé par le résultat. Son attitude noble sera ainsi baignée
d’une légère ambiguïté lorsqu’il refusera les pots de vins des industriels du
textile pour enterrer son invention, la vraie vertu incorruptible se disputant
à son caractère obsessionnel.
Il s’avère d’ailleurs incapable de communiquer
avec le monde extérieur, ne pouvant expliquer la nature de ses recherches que
dans un charabia scientifique incompréhensible inaudible pour les patrons qui
n’auront de cesse de le congédier et il faudra la vulgarisation et l’appel du
profit de Daphné envers son père pour qu’il y trouve enfin un intérêt.
Auparavant une scène de comédie au timing et à l’ironie irrésistible nous aura
montré l’étendue de l’immobilisme et de la notion de classe paralysant
l’Angleterre d’alors.
Cecil Parker recherchant activement l’auteur des dépenses
cachées de son usine congédie dans le même temps celui qui en est l’auteur et
cherche à le voir, par pur snobisme. Il finira par le soutenir enfin le temps
de réjouissants gags où l’usine est transformée en blocos vivant au rythme des
explosions causées par les expériences de Stratton. Pourtant dès que le
résultat s’illustrera à travers un costume blanc immaculé et faisant de
Stratton une figure pure et innocente, l’entité de l’industrie en constituera
le parfait négatif avec le cortège funèbre des magnats menacés et plus
particulièrement Sir John Kierlaw (Ernest Thesiger) arborant une allure de
vautour. Un même et bien humain égoïsme va finalement lier nantis et classe
populaire, la satisfaction personnelle prenant le pas sur le progrès et
l’intérêt collectif quand les deux s’associeront pour détruire cette invention
qui menace leurs revenus.
La course poursuite finale bascule dans une forme de
féérie cauchemardesque où Stratton fuit dans l’obscurité de la ville où son
costume étincelle tandis que les ombres malveillantes de ses ennemis se font
monstrueuses et spectrales. Stratton y gagne même en grandeur lors d’un court
moment de lucidité où l’un des rares personnages s’étant montré bienveillant et
désintéressé avec lui (sa logeuse jouée par Edie Martin) le fustigera car son
tissu insalissable lui fera perdre ses revenus de lavandière. Guiness atteint
une émotion aussi profonde que subtile à ce moment, permettant à Mackendrick de
dessiner des contours bien moins manichéens qu’attendus à son récit.
Même si
l’on devine que le réalisateur penche vers les plus démunis – les patrons
s’avérant définitivement monstrueux dans cette scène où ils envoient presque
Joanne Greenwood moyennant finance se prostituer pour convaincre Stratton de
lâcher prise – cela ne se fera jamais au détriment d’une finesse constante. La
conclusion cinglante célèbre l’immobilisme du collectif plutôt que le progrès
par l’individu, même si l’ultime scène amusée nous montre que les génies n’ont
pas dit leur dernier mot pour dérégler l’ordre établi.
Sorti en dvd zone 2 français chez Studio Canal
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire